2020, l’année de Jan van Eyck, innovateur technique et «pictor doctus»
Après Rubens en 2018 et Bruegel en 2019, la Flandre se prépare à honorer en 2020 la mémoire de Jan van Eyck. À cette occasion, le musée des Beaux-Arts de Gand organise l’exposition Van Eyck. Une révolution optique. Outre cette exposition, plusieurs autres initiatives et expositions braqueront les projecteurs sur Van Eyck et ses contemporains.
Les panneaux extérieurs du retable L’Agneau mystique, qui se trouve dans la cathédrale Saint-Bavon à Gand depuis 1432, récemment restaurés par l’Institut royal du patrimoine artistique (IRPA), occuperont une place centrale dans l’exposition au musée des Beaux-Arts. Du 1er février au 30 avril 2020, ces panneaux seront, à titre très exceptionnel, exposés comme des tableaux isolés à l’extérieur de la cathédrale, et ce à hauteur des yeux, de sorte que tout le monde aura la possibilité d’admirer de près les magnifiques couleurs, les détails somptueux et la représentation palpable des tissus. Plus de la moitié des œuvres connues de Jan van Eyck seront présentes à côté de ces panneaux. Des musées de Vienne, Berlin, Madrid, Londres, Turin et Washington notamment ont consenti à prêter des tableaux.
© www.Lukasweb.be - «Art in Flanders vzw».
Jan van Eyck (vers 1390-1441) était probablement issu d’une famille d’artistes du pays mosan limbourgeois. À l’instar de son père, ses frères Hubert et Lambert ainsi que sa sœur Margareta peignaient également. Sa carrière est indissolublement associée à la vie de la cour bourguignonne. En 1425 il entre, à titre de peintre de la cour et de valet de chambre, au service de Philippe le Bon, qui, cinq ans plus tard, réunira les Plats Pays au sein des Pays-Bas bourguignons. Dans la vie sociale à la cour de ce duc flamboyant, la magnificentia, l’étalage explicite du faste et de l’apparat, revêtait une importance capitale et stimulait la demande d’articles de luxe. Outre la cour bourguignonne, l’exposition consacre également une attention particulière à l’environnement plus vaste dans lequel vivait et travaillait Van Eyck. Celui-ci englobait sa famille et le métier, le milieu artisanal et le circuit des artisans mobiles, de l’économie florissante de villes telles que Gand et Bruges ainsi que les nouveaux commanditaires bourgeois.
© «National Gallery of Art», Washington.
Jan van Eyck est souvent présenté comme l’inventeur de la peinture à l’huile, ce qui n’était pas le cas. Il a affiné ce nouveau média et l’a utilisé d’une façon qui lui permettait de reproduire le monde extérieur avec un réalisme absolument nouveau. La révolution optique qu’il a ainsi suscitée résulte de sa technique de peinture à l’huile extrêmement sophistiquée, de son don aigu d’observation ainsi que de sa connaissance avancée des phénomènes lumineux optiques. Non seulement du jeu de la lumière et de l’ombre, mais aussi de la manière dont la lumière se déplace dans l’espace, est absorbée entre les plis, se reflète sur des parties convexes et concaves d’une armure et se fraie un chemin naturel à travers des surfaces transparentes telles que l’eau, le verre ou des pierres précieuses. Ainsi naît un espace imaginaire créant l’impression d’une réalité telle que nous réprimons difficilement notre envie de nous y introduire.
L’art de Van Eyck était non seulement novateur sur le plan technique mais également érudit. Il renvoie non seulement à l’Ancien et au Nouveau Testaments mais également à l’Antiquité gréco-romaine. Pictor doctus avant la lettre, artiste érudit qui suivait de près les débats artistiques de son époque, il était à la fois connaisseur en géométrie et en optique et familiarisé avec les belles lettres. Qu’il ait été l’un des premiers artistes à signer son œuvre témoigne d’une grande conscience de soi. À l’instar de la tradition aristocratique, il se choisit également une devise: als ich kan (littéralement: «comme je peux»), ce qu’on peut interpréter comme: «je fais vraiment le maximum pour peindre le mieux possible».
Tous les acquis de cette révolution optique se sont cristallisés dans L’Agneau mystique, la première œuvre datée de Jan van Eyck que, d’après l’inscription sur le cadre des panneaux extérieurs, son frère Hubert avait commencé à peindre mais qu’il a achevée lui-même après le décès de ce dernier. Les panneaux extérieurs de ce retable exceptionnel guideront le visiteur du musée des Beaux-Arts de Gand à travers l’exposition et feront le plus souvent office d’introduction à différents thèmes tels que «Chute et Rédemption» avec Adam et Ève, «L’Espace», «Mère et Enfant», «La Parole de Dieu» avec l’Annonciation, «La Madone à l’église», «les Saint-Jean sculptés» (saint Jean Baptiste et saint Jean l’Évangéliste), «L’Individu» (avec les portraits de Joos Vijd et de son épouse Élisabeth Borluut) et «Le Portrait divin».
Le parcours alternera vastes horizons panoramiques et espaces clos contemplatifs, évoquera l’interaction entre les aspects matériels et spirituels, détaillera le chemin du macrocosme au microcosme et esquissera la transition de la communauté de la fin du Moyen Âge vers l’individu.
Afin de situer la révolution optique de Van Eyck dans une perspective plus large, ses œuvres seront confrontées à des tableaux de contemporains italiens tels que Gentile da Fabriano, Fra Angelico, Pisanello, Masaccio et Benozzo Gozzoli, qui eux aussi ont initié une révolution picturale à Florence avec la peinture a tempera et en recourant à la perspective mathématique.
© «Albertina», Vienne.
À l’issue de l’exposition, les panneaux extérieurs de L’Agneau mystique
retourneront à la cathédrale Saint-Bavon, où ils retrouveront leur place dans la nouvelle présentation du célèbre retable de Van Eyck. Le 6 juin 2020 s’ouvrira dans la cathédrale un nouveau centre de visiteurs. À partir de 2021 sera entamée l’ultime phase de la restauration, qui durera probablement jusqu’en 2024.
Outre l’exposition au musée des Beaux-Arts de Gand, plusieurs autres initiatives et expositions braqueront les projecteurs sur Van Eyck et ses contemporains. Sous le dénominateur OMG! Van Eyck was Here, la ville de Gand organisera en coopération avec Toerisme Vlaanderen un programme culturel et touristique comprenant notamment une exposition au Design Museum, une reprise de la pièce de théâtre de Milo Rau L’Agneau mystique ainsi que des événements particuliers dans le cadre des Floralies de Gand, du Festival de Flandre et de la fête musicale Odegand.
À Malines, le musée Hof van Busleyden récemment restauré, où trois générations successives de princes et de princesses de Habsbourg ont passé leur enfance, servira de cadre à l’exposition Enfants de la Renaissance, qui rassemblera pour la première fois une sélection exceptionnelle de portraits d’enfants réalisés pour la cour malinoise. Des portraits d’enfants de Jan Gossaert, Juan de Flandes, Pieter van Coninxloo et Bernard van Orley notamment accrocheront le public.
Le Groeningemuseum à Bruges présentera une exposition documentaire sur la période brugeoise de Jan van Eyck et sur la figure de Joris Van Der Paele, le chanoine qui a fait une carrière impressionnante à la Curie papale à Rome. Van Der Paele était le commanditaire d’une des principales œuvres de Jan van Eyck. À l’église Saint-Pierre de Louvain sera réalisée une installation de mixed reality où le célèbre triptyque La Cène du primitif flamand Dieric Bouts évoquera le Louvain trépidant de jadis et d’aujourd’hui. Le 15 mai 2020 doit être marqué comme une date particulière: ce jour-là s’ouvrira à la Bibliothèque royale à Bruxelles la Librairie des ducs de Bourgogne, un nouveau musée intégralement consacré à cette collection du XVe siècle qui comporte un nombre considérable de manuscrits somptueusement enluminés.