Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

À Bokrijk, le passé inspire le présent
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En mode musée
Société

À Bokrijk, le passé inspire le présent

Quiconque veut voir et ressentir la façon dont on vivait autrefois dans la campagne flamande retirera beaucoup d’une journée au musée en plein air de Bokrijk. Pour autant, ce vaste domaine vert du Limbourg belge, qui attire annuellement un million de visiteurs, n’est pas resté figé dans le passé. Il nous invite à réfléchir à la manière dont nous souhaitons vivre, maintenant et à l’avenir.

Le musée en plein air est situé dans un domaine verdoyant de 550 hectares et jouxte la réserve naturelle De Wijers. Dans l’arboretum, des sentiers insolites nous mènent entre les bosquets de bambous et de bananiers, les étangs et les tonnelles japonaises, les collections de fougères et de rhododendrons. Ici, le goût de l’exotisme a pris le pas sur les traditionnelles plantes d’ornement indigènes. Ironiquement, le changement climatique favorise la croissance de certaines variétés lointaines.

Le domaine de Bokrijk a beaucoup pour plaire. Longues balades sur des itinéraires clairement indiqués, par exemple, plaine de jeux avec minigolf, toboggan géant et équipements ludiques adaptés aux enfants porteurs d’un handicap, véritable village réservé aux tout-petits. On peut aussi y faire des promenades à vélo et même pédaler «à travers» l’eau, sur une bande de deux cents mètres qui franchit un étang. Vues de loin, les têtes des cyclistes qui «dépassent» de l’eau offrent un spectacle amusant.

Pourtant, la véritable attraction reste le musée de plein air avec ses fermes et ses tableaux villageois des temps passés. Les premières reconstitutions de fermes existantes, comme la Langgevelhoeve («longère») de Houthalen ou une modeste hutte à moitié enterrée de la lande campinoise, remontent à 1953. À l’époque, c’est encore le projet d’un seul homme, le peintre Charles Wellens.

Son rêve est de réunir une collection de fermes campinoises pittoresques dans un environnement où les artistes trouveront l’inspiration et où les promeneurs pourront savourer l’atmosphère de la Campine d’antan. Que ce soit dans ses toiles ou dans le musée en plein air, Wellens veut immortaliser un paysage romantique qui est dans la première moitié du XXe siècle en train de disparaître face à l’industrialisation galopante. Pour commencer, il souhaite fonder dans la ferme portant son nom un atelier de peinture. Il ajoute au bâtiment quelques éléments rustiques, comme la «roue à chiens» et les lucarnes.

L’emplacement de la ferme, sous un vieux chêne, a également été choisi pour ses qualités pittoresques. La ferme originale ne s’y adapte que si elle est implantée dans l’autre sens, si bien qu’elle est reconstruite à l’envers. Grâce au successeur de Wellens, le conservateur Jozef Weyns, les fermes et bâtiments professionnels sur le point de disparaître reçoivent également un nouvel emplacement pour la postérité.

Ici, le passé est clairement une (re)construction et la plupart des visiteurs y découvrent une époque qu’ils n’ont pas connue. Pourtant, les traces reconnaissables et les éléments paysage empêchent que l’on se sente dans un parc d’attractions complètement factice. Les acteurs font revivre l’histoire à travers les scènes et les récits, notamment sur la grippe espagnole de 1919. Les similitudes avec la pandémie qui nous a touchés 100 ans plus tard sont frappantes et montrent que le passé n’est en réalité pas très différent du présent, tant les humains restent semblables à travers le temps. Seules les circonstances changent.

Ce qui rend l’atmosphère si agréable à Bokrijk, ce sont surtout l’abondance de végétation, la simplicité et l’étendue, l’espace et le temps, généreux alors qu’ils sont devenus si chers par ailleurs. Même les journées de grosse fréquentation, il règne un certain calme en dépit des auberges et des terrasses qui ne tardent pas à se remplir. Près d’une petite église où des chèvres en liberté courent sur le parvis, un groupe d’écoliers détendus, aux origines très diverses, s’amusent dans une grange aménagée à leur intention et testent leur habileté à des jeux anciens comme le bloklopen (qui consiste à marcher avec des blocs en bois attachés aux pieds), le palet, la balle pelote ou la toupie. On les dirait tout droit sortis d’un tableau de Bruegel.

Quand résonne la cloche de l’ancienne école, un autre groupe quitte les bancs en bois, anachronismes vivants dans leurs vestes fluo. Un peu plus loin, près du moulin, un guide donne des explications sur une période qu’il n’a pas lui-même vécue contrairement à beaucoup de personnes âgées de l’assistance. La reconnaissance et les souvenirs sont partagés avec enthousiasme.

La promenade nous mène le long de potagers plantés de légumes anciens, de vergers hautes tiges, d’un champ de houblon et d’un jardin de plantes médicinales. Outre les bâtiments et objets anciens, la collection du musée compte aussi différentes races «anciennes» d’animaux de basse-cour. Le patrimoine immatériel –rituels, histoires et savoir-faire– y occupe également une place importante. On peut assister à des démonstrations de vannerie ou de poterie et participer à des ateliers de travail du cuir, de boulangerie et d’impression textile. Une autre grange abrite une forge qui prend vie grâce à des projections et à des enregistrements audio. Tout tourne autour de l’artisanat, de la tradition et de l’amour du métier.

L’ambiance nostalgique qui règne ici n’enchante pas seulement les visiteurs, elle les fait aussi réfléchir au regain d’intérêt suscité par l’artisanat et la satisfaction offerte par le travail manuel. À la durabilité des matériaux de qualité, au vintage et à la consommation, ou encore à la folie de la course au progrès. Quel est le coût de notre évolution technologique irrépressible, quelle qualité de vie avons-nous dû abandonner en chemin?

Ce thème est abordé de manière non intentionnelle, mais tangible dans la zone Golden Sixties. Il s’agit de l’unique période traitée séparément alors que le musée est divisé géographiquement, en fonction des régions de Flandre. Cette répartition peut sembler aléatoire, mais elle s’explique par des motifs financiers, l’évolution historique du lieu et des choix politiques. De ce fait, les Sixties sont bizarrement hébergées dans un quartier composé de répliques de bâtiments et de façades authentiques des XVe et XVIe siècles, venus du centre d’Anvers.

Quel est le coût de notre évolution technologique? Quelle qualité de vie avons-nous dû abandonner en chemin?

Le but original était d’offrir un tour d’horizon de l’architecture urbaine entre les XVe et XXe siècles. L’interaction entre ville et campagne devait aussi être abordée. Mais, par manque d’argent, seul un tiers de cet ambitieux projet a été réalisé. Les maisons ont reçu au cours des années différents aménagements, mais le succès espéré n’a jamais été au rendez-vous. En 1995, la «Ville ancienne», a fermé ses portes.

Avec l’exposition consacrée aux Sixties, cette partie urbaine de Bokrijk a toutefois repris vie. Elle illustre l’élan bâtisseur et la culture de démolition des années 1960. Cette partie du musée communal est elle-même le résultat de la foi immodérée dans le progrès des années 1960, une trace symbolique de la furie de démolition de cette période. Une partie du patrimoine démoli à Anvers a reçu une place à Bokrijk. Il en résulte l’image typiquement flamande d’un centre urbain associant des étages médiévaux et des vitrines modernes au rez-de-chaussée.

La partie consacrée aux années 1960 illustre l’élan bâtisseur et la culture de démolition de cette période

Dans cette section, on se plonge avec délice dans le passé grâce à une cuisine en formica rose, à une chambre d’ado, à un salon de coiffure ou à une taverne typique. Accompagné par le son des années 1960 et les enregistrements de vedettes comme l’actrice Paula Semer ou le chanteur populaire Will Tura, dont les récits sont reconnaissables et uniques à la fois. Des phénomènes comme les camps de jeunesse, le désir de posséder une maison, le début du tourisme pour les simples ouvriers, tout cela est évoqué. Ici et là, on trouve aussi des références politiques ou historiques, mais le souvenir collectif de la vie familiale et sociale des années d’or qui ont suivi l’exposition universelle domine largement.

Bokrijk est-il trop romantique? Trop flamand, peut-être même trop nationaliste? Exagérément nostalgique, trop large ou au contraire trop étriqué dans ses objectifs? Certains de ses aspects sont sans doute critiquables, mais aucun d’eux n’est appuyé au point d’en être dérangeant. Le site est né de la nostalgie personnelle d’une âme romantique attachée au patrimoine. Depuis lors, il s’est transformé en un musée de plein air où le passé inspire le présent avec le généreux concours de la Communauté flamande.

Nostalgie et romantisation côtoient aussi des thèmes comme la durabilité et les conséquences de la crise de la biodiversité

Lentement mais sûrement, la nostalgie et la romantisation pures laissent une place au futur et à des thèmes comme le lien entre ville et campagne, la production alimentaire et la santé, la durabilité et les conséquences de la crise de la biodiversité et du changement climatique pour l’agriculture. Ces sujets sont abordés à contrecœur dans une vidéo tournée dans la ferme qui voisine la grange du boulanger. On peut aussi voir le chef Kobe Desramault cuire du pain à la Kilbershoeve et cuisiner à partir de produits issus de jardins-forêts et de la permaculture. Le designer Tim Van Steenbergen nous interpelle à propos de notre comportement face aux vêtements, à l’industrie textile, à la consommation, au gaspillage, à l’exploitation ou encore à la surproduction de produits médiocres. Et surtout, il réfléchit à la façon de changer les choses, depuis la conception jusqu’à la réalisation.

L’organisation d’entrepreneurs Unizo propose déjà des ateliers pour les débutants qui veulent se lancer dans une micro-brasserie, l’orfèvrerie ou toute autre activité artisanale. L’intérêt renouvelé pour la culture des fruits et légumes, l’alimentation biologique de circuit court, les marchés paysans, le pain au levain… toutes ces tendances contemporaines pourraient encore recevoir bien plus d’attention à Bokrijk. Nulle part ailleurs, ce qui semblait si précieux, organique et évident dans le passé ne serait mieux revalorisé et réintroduit qu’ici. Qui sait, l’expression encore souvent railleuse de «retour à Bokrijk!» deviendrait alors soudain un label de qualité et de durabilité.

Une chose est sûre, vous pouvez passer en tant que visiteur une agréable journée (ou plus) à Bokrijk. Flâner à votre rythme en pleine nature. La satisfaction procurée par le travail manuel et l’expérience directe d’objets chargés d’histoire, sans l’intermédiaire d’écrans numériques, vous incitent à vous arrêter un moment. «Vous le vivrez à Bokrijk», dit le slogan. Et il se révèle judicieusement choisi.

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