pays-bas français, société

À Cassel, un jardin inspiré des maîtres flamands

Sur les pentes du mont
des Récollets, dans la commune de Cassel, un fabuleux jardin invite à la balade
et à la contemplation. Il offre un merveilleux voyage dans la culture flamande.
Rencontre avec le maître des lieux, Emmanuel De Quillacq. «J’ai commencé ce
jardin dans l’idée de retrouver nos racines flamandes, celles de la Flandre
historique».

Des buis et ifs taillés
en pyramide, d’autres en berlingots, certains en damiers. Des tulipes encore
détrempées de l’averse de la veille, qui luisent sous le soleil matinal. Mais
aussi, selon les saisons, des helenium, liatris, des hydrangeas,
des aubépines, des narcisses, des geranium macrorrhizum…. Un festival de
plantes et de fleurs dont la forme des coupes et l’ordonnancement des
plantations se découvrent petit à petit par des passages plus étroits et plus
sombres.

De quoi augmenter le contraste visuel et de fait, la surprise et l’émerveillement chez le visiteur quand il débouche sur une plus grande étendue. Notamment dans la fameuse «Chambre sur cour», qui, derrière les taxus taillés en forme de différents plateaux et ses nombreux bulbes en saison, cache une magnifique ferme flamande de briques et de tuiles restaurée Ou quand à travers les multiples haies qui bordent ce jardin, d’astucieuses fenêtres offrent des vues d’exception sur la Flandre (parfois jusqu’à Dunkerque), tout en contraste. «C’est le clair-obscur propre aux Flamands, glisse notre accompagnateur. On ménage des ouvertures pour ne pas étouffer dans nos chambres de verdure…»

L’esprit flamand en jardin

Bienvenue au jardin du mont des Récollets, situé à Cassel, mais sur un mont voisin de celui où s’est développé la jolie cité flamande. Ce jardin est devenu une référence dans et au-delà de la région. Labellisé «Remarquable», il a participé à la célèbre émission télévisée de Stéphane Bern, Le Jardin préféré des Français. Il a aussi été désigné Jardin de l’année France 2011 par l’Association des journalistes de jardin et d’horticulture et a reçu le prix du Jardinier du Département du Nord par les Vieilles maison françaises. Et encore, cette liste n’est pas exhaustive.

Au-delà des plantes, ce jardin repose sur une conception et une véritable philosophie du maitre des lieux, l’architecte-paysagiste Emmanuel De Quillacq. «Quand j’ai commencé ce jardin, c’était dans l’idée de retrouver nos racines flamandes, celles de la Flandre historique, d’Amsterdam à Saint-Valery. Nous avons une identité tellement forte, je voulais montrer cette richesse. Et que, dans ces jardins, l’on se sente en Flandre et nulle part ailleurs.»

Cheminer dans les différentes «chambres» est donc un voyage à travers la Flandre, mais surtout les Flandres sous toutes leurs composantes. Dans la chambre d’automne, les fusains côtoient malus et persicaires, dans celle d’été, les romarins poussent à côté des aubépines; la «ronde» affiche des floraisons jaunes et orangées tandis que la «rose», sans surprise, préfère le rose. «Je m’inspire toujours de la Flandre, de ses jardins, mais aussi et surtout des peintures, lithographies, notamment de la Renaissance flamande».

Mais qu’est-ce qui différencie réellement un jardin à la flamande d’un jardin à la française? «Un jardin à la française offre de grandes perspectives vers l’habitation. Ici, elle doit se deviner. D’où les chambres de verdure, qui sont comme les pièces d’une maison, dans lesquelles on passe de l’une à l’autre par des corridors avec ce côté clair-obscur».

Une propriété familiale transformée

L’effet est donc réussi,
et il l’est d’autant plus quand on connaît l’histoire des lieux. Le mont des
Récollets a été acheté par l’arrière-grand-père d’Emmanuel qui l’a exploité en
tant que sablière avant de le boiser. Son fils a transformé la chaumière
d’origine en y ajoutant des dépendances et en lui donnant la forme des fermes
traditionnelles flamandes en L. Louée ensuite, elle a été laissée quasi à
l’abandon dans la deuxième moitié du XX^e siècle jusqu’à ce qu’Emmanuel ne se décide à réaménager les lieux en jardin en plus de ses autres
activités.

«Nous étions en 1990. Il n’y avait plus un arbre ici, à part un noyer et quelques saules». Il a d’abord fallu déblayer les gravas, se servir des pierres pour bâtir de nouvelles allées, puis planter les premiers arbres avec des essences locales comme des érables, des fusains ou des pruneliers. En pratiquant une fauche tardive, le jardinier favorisera ainsi l’introduction d’une autre flore et d’une microfaune, tels que des orchidées, des cardamines, et des salicaires… Le tout en restaurant la vieille demeure flamande, avec un sens du détail assumé. «J’ai beaucoup travaillé sur le patrimoine rural flamand, donc j’ai refait les pilastres du portail en pas de moineaux en ce sens. La maison flamande a, elle aussi, ses pignons et ses volets vert-bleu correspondent au “vert flamand” utilisé à Cassel».

Inspiré des peintres flamands

Pour maintenir son jardin de 1,5 hectare et les vingt-deux chambres qui le composent, Emmanuel De Quillacq y met du sien. On l’imagine, l’entretien est régulier et les buis et ifs sont taillés chaque semaine. En se baladant avec lui dans les allées et les chambre de verdure, on saisit aussi le travail de préparation en amont, via l’observation des peintures. «Les peintres flamands avaient l’habitude de cadrer leurs peintures. Pour réaliser la chambre bleue, entre carrés et rectangles, je me suis par exemple inspiré de Joss II de Momper et d’Isaak Van Ooten.»

Tout est exécuté au prisme du caractère flamand et du territoire qui l’inspire: «On est le pays de la bière, de la ducasse, au lieu de faire une simple boule de buis, on la taille dans tous les sens, et au lieu de faire une haie toute droite, on lui donne du volume. C’est la fantaisie flamande. On appelle ça des jardins maniéristes.» Chaque chambre a également son nuancier de couleurs: ici les bleus, là les pourpres, plus loin les blancs. La disposition des plantes elle-même ne doit évidemment rien au hasard: «Ce sont essentiellement des plantes de la région, mais plus on s’approche de la maison, plus je plante des plantes rares, comme des staphylea coccinea, des viburnum carlcephalum ou encore des leycesteria formosa, l’arbre aux faisans. C’est logique, le Flamand était voyageur dans l’âme», ajoute celui qui a travaillé avec des historiens pour la réalisation de ce jardin.

Cette nature se déguste aussi dans l’assiette. Fort de son potager et de son verger, le jardin du mont des Récollets est aussi un estaminet du jeudi au dimanche (on peut y déjeuner sans passer par le jardin et vice-versa): carbonnades, flamiches, welshs, croquettes de crevettes font partie des classiques à la carte, basée sur les produits frais et locaux. En dessert, ce sera aussi, selon la saison, à base de pommes (dont les «cabarettes», une espèce ancienne locale), de pêches, de groseilles, de framboises. Petite indiscrétion: il parait qu’il ne faut pas manquer la tarte cassonade bière…

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