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histoire, société

À la découverte d’un sport moins connu: la balle pelote

27 octobre 2022 8 min. temps de lecture À vos marques: sport et société

Comme dans de nombreux pays, il existe aux Pays-Bas et en Belgique des sports qui sont peu ou pas du tout connus en dehors des propres frontières. Pourtant, ils méritent une plus grande attention. Nous aurions pu choisir le fierljeppen (sauter avec une perche le plus loin possible par-dessus un fossé), particulièrement populaire en Frise. Ou le korfbal (ballon au panier, proche du basket-ball), un des seuls sports au monde où hommes et femmes jouent ensemble dans la même équipe. Toutefois, nous optons pour la balle pelote, aujourd’hui un sport faisant face à plusieurs défis mais autrefois très populaire dans une partie de la Belgique.

Quelques contrées conservent la tradition de la balle pelote, un jeu de balle à la main dont les premières traces connues remontent au XIVe siècle. En Wallonie, sa présence se manifeste du plateau brabançon à la Famenne, du Tournaisis aux confins du Pays de Liège. En Flandre, elle se concentre essentiellement dans la région de la Dendre (dans le sud-est de la province de Flandre-Orientale) et le Pajottenland (au sud-ouest de Bruxelles).

La balle pelote met en présence deux équipes de cinq joueurs, munis d’un gant de cuir permettant de frapper la balle. Si le comptage des points est quasiment identique à celui du tennis – les deux disciplines appartiennent à la famille des jeux de paume -, la balle pelote se distingue par le principe du gagne-terrain -la chasse-, consistant à faire mourir la balle le plus loin possible dans le camp de l’adversaire.

Les fiefs de la balle pelote

Le XIXe siècle est une période phare dans l’histoire du jeu de balle. Lors d’importants championnats mis sur pied par les autorités communales -dans la ville hennuyère d’Ath, notamment-, plusieurs dizaines d’équipes rivalisent, pour le plaisir de milliers de spectateurs. Au sein des divertissements de la population, la balle pelote tient le haut du pavé, au même titre que la (petite) balle au tamis, une discipline sœur. Beaucoup moins pratiquée en Flandre, celle-ci se distingue par l’emploi d’un gant et d’une balle sensiblement différents ainsi que d’un accessoire appelé tamis, utilisé lors du service.

En contact direct avec les régions wallonnes limitrophes, les localités flamandes bordant la Senne et, surtout, la Dendre sont gagnées par la balle pelote, constituant dès lors deux couloirs de pénétration du jeu de balle dans le nord du pays. Tout au long du siècle, des équipes sont attestées dans les agglomérations urbaines, mais aussi dans les villages les plus modestes. C’est le cas de Moorsel, Erembodegem, Wieze ou encore Denderbelle.

Fort de son ancrage populaire et territorial, le jeu de balle -balle pelote et balle au tamis- s’institutionnalise. Au tournant des XIXe et XXe siècles, ces jeux populaires deviennent sports à part entière, avec fédération, règlement commun et organisation de compétitions régulières. Le jeu de balle captive alors des foules d’amateurs venus en rangs serrés admirer les équipes professionnelles. À la veille de la Deuxième Guerre mondiale, la Belgique compte plusieurs milliers d’équipes, faisant du jeu de balle l’un des loisirs les plus populaires. Aux côtés des villes et localités hennuyères, brabançonnes et namuroises, des villes flamandes telles que Grammont, Ninove, Alost et Termonde se profilent comme des fiefs de la balle pelote. En 1938, Grammont remporte le titre tant convoité de champion de Belgique, ce que réalise Alost en 1941, 1947 et 1948.

Plus près de nous, dans les années 1980 et 1990, avec dix trophées de champion de Belgique à son palmarès, le village brabançon de Tollembeek fait office de capitale belge de la balle pelote. C’est ensuite du côté de Kerksken que se déplace l’épicentre du jeu de balle. Avec douze titres nationaux, ce village à mi-chemin entre Alost et Ninove manifeste avec éclat la tradition ballante de la région de la Dendre.

Jeu, sport et patrimoine immatériel

La balle pelote souffre assurément d’une définition incertaine. Folklore, jeu traditionnel ou sport à part entière, elle vogue d’une réalité à une autre, en fonction du registre et de la (mé)connaissance du média qui l’aborde.

Si l’on s’en tient à une définition classique, selon laquelle le jeu est une «activité purement gratuite, qui n’a d’autre but que le plaisir qu’elle procure», la balle pelote doit être qualifiée de jeu. Jusqu’à l’extrême fin du XIXe siècle, le jeu de balle se pratique selon des modalités variables, d’un contexte régional à l’autre, au gré de règlements à portée locale. Parmi ces gestes posés quotidiennement et transmis par la tradition, il fait partie d’un décor aux traits immuables.

Historiquement, c’est à l’aube du XXe siècle que la question du passage du statut de jeu à celui de sport se pose pour la balle pelote. Au regard des traits constitutifs du sport – une activité physique nécessitant effort et entraînement, soutenue par un esprit de jeu et de compétition, selon des règles communément admises -, le jeu de balle peut être qualifié de sport dès le moment où son organisation se structure et où sa pratique s’uniformise. C’est le cas en 1902, lorsque, dans la foulée de la balle au tamis, la balle pelote se dote d’une fédération. En Belgique, où une structure fédératrice rassemble plus de 3 000 joueurs aujourd’hui encore, la balle pelote constitue le meilleur exemple de transition entre le jeu traditionnel et le sport institutionnalisé.

Jeu traditionnel, sport à part entière et patrimoine immatériel, la balle pelote combine trois dimensions

Jeu devenu sport, la balle pelote est pourtant souvent étiquetée comme folklore. Selon son acception la plus noble, une pratique folklorique émane d’une communauté culturelle spécifique et est portée par une tradition transmise de génération en génération. C’est assurément le cas du jeu de balle dans certaines zones de Flandre, de Wallonie et, il y a quelques années encore, à Bruxelles. Afin d’éviter la connotation péjorative d’un terme «folklore» trop souvent galvaudé, il est courant de placer la balle pelote dans la catégorie des traditions populaires, une façon de mettre en avant son enracinement communautaire et temporel. Aujourd’hui, et même si elle peine à s’imposer dans le vocabulaire commun, la notion de patrimoine immatériel désigne ces pratiques sociales traditionnelles bien vivaces -certains parlent de patrimoine vivant–, telles que la balle pelote. Jeu traditionnel, sport à part entière et patrimoine immatériel, la balle pelote combine ces trois dimensions. Une richesse incontestable, certes, qui, paradoxalement, provoque auprès d’un large public un déficit de clarté dans sa lisibilité et sa perception.

La balle pelote et l'espace public

Traditionnellement, la balle pelote se pratique au cœur des localités. Enraciné dans une communauté, le jeu de balle jongle avec la configuration des lieux -rues, places, parvis, trieux-, déjouant les obstacles (bordures, pignons d’habitation, arbres ou pompes à eau), domptant à chaque fois un espace qu’il fait sien. Aujourd’hui encore, l’odonymie garde une trace de cette affectation. Il existe ainsi en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles plusieurs dizaines de places et rues du Jeu de balle.

Les mutations de la société de l’après-guerre, parmi lesquelles la démocratisation et l’expansion de l’automobile, remettent en cause cette présence traditionnelle et dominante du jeu sportif sur la voie publique. La transformation des rues et places en espaces de circulation et de stationnement, au détriment de leur fonction récréative, porte un rude coup à la pratique du jeu de balle. Dans nombre d’agglomérations, les sociétés sportives trouvent une parade grâce au soutien des autorités communales. La solution prend la forme de ballodromes aménagés en site propre, que l’on voit fleurir dans les années 1980 et 1990. Dans certains cas, le terrain de jeu est délocalisé à la lisière de la localité, dans un endroit peu visible, connu des seuls initiés; dans d’autres, le nouveau ballodrome est installé à quelques pas seulement de son ancien emplacement, mais en dehors de la fréquentation de la voie publique, perdant dès lors une part importante de sa visibilité.

Une balle pelote à la croisée des chemins

Malgré sa longue et riche histoire, la balle pelote ne réussit pas à maintenir sa position privilégiée. Dans une société des loisirs qui accueille désormais un large éventail de pratiques sportives, la balle pelote, désarçonnée par les mutations brutales et profondes du mode de vie, est remise en question. En perte de vitesse dès les années 1970, elle voit inéluctablement décroître depuis lors le nombre de ses pratiquants. Fragile témoignage d’une société traditionnelle qui n’a pu résister au tourbillon de l’ère moderne, la balle pelote disparaît peu à peu, faute de pouvoir assurer sa place dans un monde auquel elle semble peu adaptée.

Le constat est particulièrement cruel pour la Flandre où, malgré la richesse du palmarès de quelques porte-drapeaux, la balle pelote ne compte plus actuellement qu’une quinzaine de sociétés et, en leur sein, de très rares formations de jeunes, ce qui pose avec acuité la question du renouvellement des effectifs d’un sport considéré comme peu attractif. Perçu comme anecdotique, voire anachronique, le jeu de balle lutte désormais pour sa survie, à la croisée des chemins entre un passé glorieux et un avenir plus qu’incertain. À côté de la disparition des équipes, les marques de la pratique ballante dans le paysage sont elles aussi menacées par le réaménagement ou la réfection d’une place. Derrière les lignes blanches des derniers ballodromes, vestiges d’une époque de plus en plus révolue, se lit pourtant l’histoire d’une pratique qui a profondément marqué la culture de nombreuses régions, faisant de la balle pelote un patrimoine immatériel d’une incontestable richesse.

Bibliographie:
Julien Desses, Les Jeux sportifs de pelote-paume en Belgique du XIVe au XIXe siècle, imprimerie du Centenaire, Bruxelles, 1967.
Benoît Goffin, La Balle pelote au cœur de notre région, éditions Aparté, Bruxelles, 2006.
Benoît Goffin et Jacques Saucin, Vous avez dit balle pelote?, éditions Aparté, Bruxelles, 2018.
Cet article a initialement paru dans Septentrion n° 6, 2022.
Benoît Goffin

Benoît Goffin

Historien – Enseignant à l'Université Libre de Bruxelles

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