Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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À la veille de son dixième anniversaire, le Louvre-Lens peine à répondre à ses visées fondamentales
© Louvre-Lens
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Les Pays-Bas français

À la veille de son dixième anniversaire, le Louvre-Lens peine à répondre à ses visées fondamentales

Le projet du Louvre-Lens avait pour but de revitaliser le Nord et le Pas-de-Calais. Alors que le musée fêtera son dixième anniversaire en décembre 2022, Jean-Michel Tobelem, auteur d’une tribune critique publiée dans les pages du journal Le Monde en 2016, fait le bilan de la première décennie de l’institution muséale et propose des pistes pour que les ambitions ayant présidé à la naissance du Louvre-Lens puissent enfin se concrétiser.

Connaissant la région Hauts-de-France pour des raisons familiales, présent à Lens avant l’ouverture du Louvre-Lens pour participer à la réalisation d’une méta-étude ayant eu pour objet de proposer des recommandations fondées sur la synthèse et l’analyse de l’important ensemble de travaux réalisés avant la création du musée, et bénéficiant d’une double expérience de consultant et d’universitaire, il m’a paru possible dans ces conditions de proposer en 2016 au journal Le Monde une tribune présentant quelques réflexions destinées à nourrir la discussion sur ce projet hors normes.

C’est peu dire que cet article a suscité des réactions pas toujours très favorables. Certains y ont vu une attaque peu équilibrée contre ce projet. D’autres ont cru y percevoir une connaissance superficielle du contexte local. D’autres encore ont toutefois compris qu’au-delà d’un certain nombre de critiques, l’article comportait des suggestions constructives.

L’occasion des 10 ans du Louvre-Lens ouvre la possibilité d’un retour sur cette analyse avec un recul suffisant, soit une quinzaine d’années après la décision de créer cet établissement.

Il convient de noter en premier lieu que l’approche retenue est celle de l’examen des orientations stratégiques du projet, à savoir les dimensions fondamentales capables d’en déterminer les conditions de réussite, sur le fondement d’une connaissance scientifique du management des grands projets culturels, à l’échelle française et internationale.

On observera en deuxième lieu que s’il n’existe pas de consensus entre les différentes parties prenantes sur un diagnostic partagé de la situation actuelle (avec ses aspects positifs et d’autres qui le sont moins), alors il devient presque impossible d’élaborer des axes d’amélioration convaincants.

En troisième lieu, il va de soi –en tant que professeur de gestion– que la mise en évidence de difficultés liées aux choix stratégiques définis à l’origine du projet a pour seul objet de se donner les moyens de progresser collectivement dans la direction des objectifs fixés à cet important projet par les collectivités publiques (Europe, État, collectivités territoriales, musée du Louvre) et leurs partenaires publics et privés pour répondre aux besoins de la population locale.

la mise en évidence de difficultés a pour seul objet de se donner les moyens de progresser collectivement dans la direction des objectifs fixés

La question de l’implantation à Lens n’est pas discutée, car elle a fait l’objet d’une décision politique irrévocable, pour un coût supérieur à 150 millions d’euros. En revanche, le lieu choisi dans la ville soulève des interrogations. À la différence du Centre Pompidou à Metz, le Louvre-Lens est distant d’une vingtaine de minutes de la gare TGV. À ce titre, outre l’éloignement de la gare, nombre de visiteurs ne sont pas amenés à passer par le centre-ville, ce qui réduit la possibilité de création d’emplois et de richesse dans le domaine de l’hôtellerie, de la restauration et du commerce.

Par ailleurs, alors qu’il est difficile d’ignorer la présence architecturale du stade Bollaert, véritable cathédrale sportive dans la ville, le Louvre-Lens est quant à lui presque invisible. Et ce qui est présenté localement comme une qualité liée au caractère empreint de modestie et de simplicité des habitants du bassin minier ne constitue-t-il pas in fine un handicap en termes d’attractivité?

Car non content d’être isolé, protégé par un parc paysagé, le Louvre-Lens se caractérise par un bâtiment discret, à la limite de la banalité d’une architecture corporate de ton bon. Quoi qu’il en soit, il n’existe pas d’indice pouvant suggérer qu’une part notable des visiteurs du musée se rend à Lens du fait de son architecture, comme on pourrait le pressentir dans le cas du musée Guggenheim de Bilbao.

Or, si la recherche de l’exubérance architecturale ne représente pas une qualité en soi, il reste qu’une architecture plus démonstrative pourrait faciliter la réalisation des objectifs relatifs à l’impact territorial du projet. Ces mêmes objectifs que cherchent à atteindre les autorités publiques en vue de faire face aux difficultés sociales et économiques d’un territoire pauvre.

les ouvriers constituent moins de 3% de la fréquentation, alors qu’ils représentent 30% de la population active de la région

On en a la démonstration dans le fait que le musée n’attire qu’environ 15% de visiteurs internationaux, dont une bonne part venant de Belgique, ce qui n’occasionne donc pas nécessairement de nuitées hôtelières. Le musée compte aussi un pourcentage particulièrement modeste de visiteurs britanniques, pourtant présents pour la visite de lieux de mémoire liés à la Grande Guerre situés à quelques kilomètres seulement de Lens. Et cela malgré les quelques progrès réalisés dans le domaine touristique. Mais comment aurait-il pu en être autrement au vu de la mobilisation de moyens gigantesques (15 millions de budget de fonctionnement annuel pour le Louvre-Lens et plus d’un milliard d’investissements publics dans l’agglomération) et du déploiement d’une «marque» qualifiée de mondiale, celle du plus-grand-musée-du-monde?

On en a également la démonstration dans le fait que le musée attire principalement des visiteurs dont le profil sociologique correspond aux individus qui fréquentent habituellement les musées (c’est encore davantage le cas bien sûr pour les expositions temporaires). En outre, la part des ouvriers est très faible, ceux-ci constituent moins de 3% de la fréquentation, alors qu’ils représentent 30% de la population active des départements du Nord et du Pas-de-Calais. On peine aussi à discerner des outils inédits et innovants de médiation et d’interprétation des collections qui seraient capables de mobiliser un public non connaisseur.

À cet égard, la «Galerie du temps» a montré ses limites en termes de potentiel de démocratisation de la fréquentation. Dans cette salle de 3000 m2 au design dépouillé sont présentées environ 250 œuvres issues principalement de la collection du musée du Louvre et représentant 5000 ans d’histoire de l’art et de l’humanité. Au-delà de sa dimension purement esthétique, la «Galerie du temps» cherche à établir des liens, des connexions et des rapprochements entre des œuvres venant de civilisations et de périodes historiques éloignées et paraît ainsi supposer une connaissance préexistante du monde de l’art.

L’importance du «multimédia» avait été soulignée à l’envi dans le projet initial du musée. Or il suffit de constater la discrétion de sa présence dans le musée pour entrevoir que le Louvre-Lens n’a pas été en mesure de s’imposer localement comme une référence dans le domaine de la diffusion de l’art au moyen du numérique. L’installation de plusieurs «micro-folies» dans la région –des lieux culturels connectés– semble le confirmer.

ce territoire bénéficie d’atouts exceptionnels qui sont encore à valoriser

Si la construction d’une énorme institution muséale interroge, a fortiori dans une région déjà dotée de 70 musées possédant l’appellation «Musée de France», il reste que –comme nous l’établissions dans notre tribune de 2016– ce territoire bénéficie d’atouts exceptionnels qui sont, semble-t-il, encore à valoriser à ce jour. Très peuplée, facilement accessible et située à proximité d’importants bassins émetteurs, la région se caractérise par la coexistence inédite de trois «marques» mondiales: le Louvre; le classement du bassin minier au patrimoine mondial de l’UNESCO; et les sites liés à la Première Guerre mondiale, fréquentés chaque année par un grand nombre de visiteurs internationaux.

Notre hypothèse est que, au-delà d’éventuelles erreurs stratégiques initiales et de la possible absence d’une vision de l’avenir du territoire partagée par l’ensemble des acteurs locaux, c’est le manque de confiance des élus dans le potentiel touristique du territoire, d’une manière générale et dans la force d’attraction du patrimoine minier, en particulier, ainsi que la synergie inaboutie entre les acteurs du développement local qui ont conduit à une situation sous-optimale du point de vue de l’intérêt public.

c’est le manque de confiance des élus dans le potentiel touristique du territoire qui a conduit à une situation sous-optimale du point de vue de l’intérêt public

Mais tous les ingrédients ne sont-ils pas réunis pour y remédier, dès lorsqu’un diagnostic objectif serait établi, que de nouvelles orientations seraient définies, et qu’une volonté de parvenir à un développement équilibré sur le plan social, culturel, éducatif, touristique et économique serait affirmée?

Alors que le bassin minier n’est pas exempt d’une forme de complexe victimaire, et que certains élus semblent se satisfaire de l’effet d’aubaine que représente en tout état de cause la présence du Louvre en tant que catalyseur d’aides financières massives, la région est-elle prête à une discussion ouverte avec des universitaires, des chercheurs et des spécialistes désireux de partager leur regard, leurs recherches et leur expérience? Cela en vue de progresser dans le sens de l’intérêt général et des visées fondamentales du projet, qu’elles soient économiques ou sociales, au bénéfice de la population du bassin minier.

Vous habitez le bassin minier? N’hésitez pas à répondre à l’enquête menée par l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne dans le cadre de son programme de recherche pluriannuel sur les publics de la culture en cliquant ICI.
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