Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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À l’état brut: le brutalisme néerlandais soulève les passions
© Bart van Hoek
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À l’état brut: le brutalisme néerlandais soulève les passions

Bien que le brutalisme n’ait pas la cote auprès du grand public, ces édifices bruts en béton, souvent majestueux, en ont tout de même séduit plus d’un. Dans le livre Bruut (À l’état brut), cinq passionnés du brutalisme décrivent une centaine de bâtiments néerlandais en poursuivant un double objectif: relancer ce mouvement architectural et préserver le patrimoine du béton de la démolition.

Le groupe Facebook «The Brutalism Appreciation Society» compte déjà plus de 200 000 membres. Créé en 2007, il était la première manifestation d’un regain d’intérêt pour les structures en béton majestueuses, bien souvent intimidantes, qui ont fait leur apparition dans le monde entier entre les années 1950 et les années 1980. Le style brutaliste n’était généralement pas au goût du grand public, mais, au cours des dernières décennies, l’avenir de ces impressionnantes bâtisses, qui avaient connu leur heure de gloire, a suscité de plus en plus de questions dans l’esprit des architectes et autres esthètes.

En 2014, la ville de Francfort s’est vue amputée de sa tour AfE, un gratte-ciel en béton de plus de 100 mètres de haut, érigé au début des années 1970. D’autres bâtiments brutalistes ont également été détruits au Royaume-Uni ainsi qu’aux États-Unis. Ces événements ont donné lieu, trois ans plus tard, à la grande exposition SOS Brutalism à Francfort. Cette exposition –tout comme le livre du même nom– présentait les principaux bâtiments brutalistes des années 1950, 1960 et 1970, et avertissait, comme son titre l’indiquait, du danger qui les guettait.

Dans l’intervalle, cette thématique a également touché les Plats Pays. Récemment, un comité d’action a protesté contre la démolition de la piscine brutaliste d’Ostende, une œuvre de Paul Felix et Jan Tanghe inaugurée en 1978. Cette opposition s’est toutefois soldée par un échec: la province a entretemps accordé un permis pour la démolition du bâtiment. La population s’est également dressée contre le projet de démolition d’un autre établissement de cette même province, la piscine Ter Leie de Wervik. Il était inconcevable à ses yeux de réduire en miettes l’œuvre extraordinaire de l’architecte Lucien Cnockaert.

Aux Pays-Bas aussi, les débats font rage en ce qui concerne la valeur patrimoniale des bâtiments brutalistes. Il y a quelques années, les habitants se sont ainsi battus pour préserver le bâtiment en béton Leeuwenburg de Piet Zanstra, qui a longtemps abrité l’université des Sciences appliquées d’Amsterdam, sur l’Amstelplein, et pour qu’il soit reconnu comme un monument municipal. Leurs efforts ont été vains. Par conséquent, une partie du bâtiment de Piet Zanstra sera abattue et le reste sera complètement rénové. Ces travaux s’inscrivent dans un projet de réaménagement de l’environnement.

En outre, voilà longtemps qu’il ne reste plus rien d’un autre édifice de Piet Zanstra: le bâtiment Burgemeester Tellegenhuis (qui signifie maison du bourgmestre Tellegen), plus connu sous le nom de Maupoleum, en hommage au tristement célèbre Maup Caransa, qui a participé au financement de la construction. Cette bâtisse a été détruite en 1994, à peine 23 ans après avoir été érigée. À l’époque, très peu sont ceux à avoir versé une larme lors de la démolition de cet établissement, connu comme l’un des bâtiments les plus hideux des Pays-Bas. Et aujourd’hui encore, certains restent indifférents face à la disparition de monuments brutalistes, comme en témoigne le groupe Facebook «Society for the Nonpreservation of Brutalism», qui, à l’heure où je rédige ces lignes, compte quelque 1 700 membres.

Paru récemment, l’ouvrage Bruut-Atlas van het brutalisme in Nederland (À l’état brut-Atlas du brutalisme aux Pays-Bas) prend position dans ce débat. Ce livre est né de la plume de cinq amoureux du brutalisme: Arjan den Boer, Martijn Haan, Bart van Hoek, Martjan Kuit et Teun Meurs. Ils défendent «la préservation du patrimoine brutaliste» et considèrent leur ouvrage comme un moyen «de faire découvrir ce style architectural à un large public». Les auteurs de ce beau livre illustré osent même formuler deux objectifs très concrets. Ils espèrent que grâce à leur livre, «au moins un bâtiment échappera à la démolition» et qu’un autre bénéficiera du «statut de monument classé».

Cette dernière ambition n’a rien de fantaisiste, comme le montre le livre. Parmi les 100 bâtiments sélectionnés, plus de 20 ont obtenu le statut officiel de monument tantôt municipal (comme l’établissement Sterrentoren de l’université d’Utrecht, une œuvre de Sjoerd Wouda), tantôt classé (comme le bâtiment Aula de l’université technique de Delft de Van den Broek et Bakema ainsi que le centre sportif communal de Breda du bureau Margry en Van Hoytens). Le bâtiment le plus susceptible d’être reconnu d’ici peu comme monument classé est probablement l’autre chef-d’œuvre de Van den Broek et Bakema: l’hôtel de ville de Terneuse (Terneuzen). «Une arche de béton surplombant la digue, nichée dans la Flandre zélandaise», écrivent les auteurs. «L’un des seuls bâtiments des Pays-Bas que tout le monde s’accorde à qualifier de brutaliste».

Car même si ce style architectural fait couler beaucoup d’encre, l’essence même du brutalisme demeure un sujet de débat. Le Corbusier, Suisse naturalisé français, est le premier à avoir utilisé le terme «béton brut». Toutefois, le caractère brut de la façade en béton de son Unité d’habitation à Marseille, connue dans le monde entier et pour laquelle il avait inventé ce terme, tenait davantage à un budget serré qu’à une esthétique mûrement réfléchie. Par la suite, le terme «brutalisme» a été utilisé par des architectes ainsi que des historiens de l’architecture comme Hans Asplund, Alison Smithson et Reyner Banham.

Les auteurs de Bruut ne se perdent pas dans des détails d’ordre académique et décrivent le brutalisme comme un «ensemble de caractéristiques» et non comme un style. Le titre de leur livre n’est par ailleurs pas anodin. Il s’agit en réalité d’un acronyme, chaque lettre représentant une caractéristique de l’architecture brutaliste: B comme béton, R comme rugueux, U comme unique (l’agencement du bâtiment est visible), U comme ultra (massif, imposant) et T comme texture (l’aspect de la surface en béton).

Bien entendu, tout cela est très approximatif. Qui plus est, ces caractéristiques ne s’appliquent pas nécessairement à tous les bâtiments repris dans le livre. Ainsi, une question se pose: le minimalisme austère du célèbre immeuble de bureaux Stichthage (avec ses bandes horizontales noires surplombant la gare de Den Haag Centraal) et le complexe futuriste pour personnes âgées Zonnetrap d’Enrico et de Luzia Hartsuyker à Molenvliet, à Rotterdam, ont-ils leur place dans un livre traitant du brutalisme?

Au bout du compte, parmi près de 500 bâtiments, les auteurs en ont sélectionné 100. «Il ne s’agissait pas d’un processus objectif», reconnaissent-ils, mais plutôt d’un choix subjectif tenant compte de l’utilisation du béton, de la période à laquelle le bâtiment a été érigé et de la répartition régionale. En effet, cet ouvrage est avant tout divisé sur une base géographique. Les bâtiments se situent dans cinq régions: la Hollande-Septentrionale, la Hollande-Méridionale, les régions du sud, du centre et du nord-est.

Les parties consacrées aux régions, qui font la part belle à plusieurs bâtiments brutalistes, sont chacune suivies de trois chapitres plus détaillés: un portrait d’architecte (de Ben Ingwersen à Hugh Maaskant, Sier van Rhijn, Piet Zanstra ainsi que Van den Broek et Bakema) et deux chapitres thématiques mettant en lumière des disciplines architecturales bien précises. Nous retrouvons ainsi très peu de maisons d’habitation brutalistes aux Pays-Bas, à l’exception de la villa Parpart à Geleen.

Le brutalisme s’est davantage manifesté à travers des équipements collectifs tels que des bâtiments scolaires (notamment le prestigieux Eerste Christelijke LTS Patrimonium de Ben Ingwersen sur la Wiebautstraat à Amsterdam), des bâtiments universitaires (les campus de l’Université libre d’Amsterdam, l’université Érasme de Rotterdam, l’Université technique de Delft, l’Université technique d’Eindhoven, l’université de Twente et l’université d’Utrecht) ainsi que des infrastructures civiles (des viaducs, comme celui de la Lelylaan, au-dessus de la Huizingalaan à Amsterdam; des installations pour l’approvisionnement en eau, comme le site de production Berenplaat à Spijkenisse; d’autres infrastructures relatives au climat, comme l’élégantissime brise-vent le long du Calandkanaal dans le port de Rotterdam). Des bâtiments administratifs et des bureaux ont également été érigés dans le style brutaliste. Pensons par exemple à la maison provinciale du Brabant-Septentrional à Bois-le-Duc ('s-Hertogenbosch) ainsi qu’à l’immeuble de la Johnson Wax à Mijdrecht, tous deux signés Hugh Maaskant.

Grâce à sa diversité (régions, bâtiments, architectes, thèmes, superbes photos prises par le photographe d’architecture Bart van Hoek), Bruut est un livre illustré très agréable à lire et à contempler. Les manquements sur le plan scientifique sont compensés par son accessibilité. Il s’agit d’un livre conçu par et pour les passionnés, ni plus ni moins. L’on peut tout de même espérer que Bruut parvienne réellement à convaincre davantage de personnes de l’importance du patrimoine brutaliste.

En revanche, savoir s’il est judicieux de protéger chaque bâtiment constitue là une tout autre question. Ainsi, la majestueuse église Saint-Joseph datant de 1952, un ouvrage magistral de Gerard Holt et Karel Tholens dans le quartier amstellodamois de Bos en Lommer, n’a pas perdu de sa prestance. Elle possède même le statut de monument classé. Le projet de démolition dans les années 1990 n’ayant finalement pas abouti, l’église a été réaffectée. Aujourd’hui, ce sombre colosse abrite... le parc pour enfants Candy Castle Speelparadijs. Voilà qui en vaut la peine!

Bart van Hoek, Martijn Haan, Teun Meurs, Arjan den Boer & Martjan Kuit, Bruut. Atlas van het brutalisme in Nederland, WBooks, Zwolle, 2023.
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