Adrien VI, le «barbare du Nord» qui voulait réformer le Vatican
Il y a 500 ans, le cardinal Adrien d’Utrecht est élu pape à la surprise générale. Premier et unique pape néerlandais, Adrien VI avait de grandes ambitions: il souhaitait notamment réformer en profondeur l’administration du Vatican. Son décès prématuré mit toutefois abruptement fin à ses projets. Malgré un pontificat de courte durée –20 mois à peine–, on aurait tort de le considérer comme une simple parenthèse dans l’Histoire.
Au cours de la première semaine de l’année 1522, le conclave composé de 39 cardinaux, pour la plupart italiens, réuni dans la chapelle Sixtine ne parvient pas à se mettre d’accord sur le choix du successeur du pape Léon X, décédé subitement. Le conclave était devenu un échiquier géopolitique sur lequel s’affrontaient les factions allemandes et françaises, et aucun des candidats ne parvenait à s’assurer une majorité des deux tiers. Au cours du onzième tour de vote, le 9 janvier, le cardinal De’ Medici propose alors d’élire un cardinal qui ne réside pas à Rome, Adrien d’Utrecht.
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«C’est un homme honorable de 63 ans, connu pour sa grande piété», en fait l’éloge en ces termes le cardinal Jules de Médicis. Alors, “comme par une intervention du Saint-Esprit”, tout le monde se range soudainement aux côtés du candidat absent. Le cardinal Adrien d’Utrecht se trouvait à ce moment-là en Espagne. Il n’apprend sa nomination que plusieurs semaines plus tard, alors qu’il se trouve dans la ville basque de Vitoria où il se prépare, en tant que représentant de l’empereur Charles Quint, à une confrontation avec l’armée du roi de France. Adrien pousse un long soupir en apprenant la nouvelle. «Si cette information se révèle vraie, ayez pitié de moi!». Après de longues années au milieu du fracas des armes au service de l’empereur, il n’aspirait qu’à retrouver le calme de sa ville natale, Utrecht. La providence divine en avait cependant décidé autrement.
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«Tout le monde doit probablement s’étonner de ce choix unanime en faveur de quelqu’un comme moi, si pauvre, si peu connu et surtout vivant aussi loin», écrit Adrien à l’un de ses compatriotes. Son vieil ami Érasme quant à lui félicite le nouveau pape en ces mots: «le monde chrétien est misérablement déchiré par le conflit meurtrier engendré par les sectes et les schismes. Le monde entier vous regarde, Adrien, comme l’homme capable de rétablir la paix au sein de l’humanité.
Comment se fait-il qu’Adrien d’Utrecht soit devenu le seul pape que les Pays-Bas aient jamais produit? Comment ce fil d’un citoyen ordinaire s’est-il retrouvé en plein cœur du pouvoir européen?
L'Église rongée par le mal
Adrien Floriszoon nait le 2 mars 1459 dans le centre d’Utrecht. Il est le fils d’un charpentier de la marine. Il fréquente l’école latine de la communauté des Frères de la vie commune (Broeders van het Gemene Leven), probablement à Zwolle, où il est initié à la sobriété et sévérité de la dévotion moderne. Ce mouvement religieux était né au XIVe siècle dans les villes néerlandaises autour de la rivière Ijssel. Ses partisans aspiraient à une vie pieuse et consciencieuse, dans le sillage du Christ. Ce mouvement fit forte impression chez Adrien et l’influencera tout au long de sa vie, inspirant notamment ses volontés de réforme. À l’âge de 17 ans, le jeune Adrien entre à l’université de Louvain en tant qu’étudiant en théologie, et ait rapidement carrière en tant que scientifique. Il deviendra ensuite recteur de l’université et doyen de la ville.
En 1507, l’empereur Maximilien d’Autriche le désigne comme précepteur de son petit-fils, le prince Charles de Habsbourg, futur Charles Quint. Ce dernier l’envoie en son nom à la fin de l’année 1515 en Espagne afin de Sécuriser la couronne de Castille en son nom. Adrien est ensuite nommé évêque de Tortosa, puis cardinal et grand inquisiteur. Lorsque Charles se fait couronner empereur du Saint Empire romain germanique en 1520, il désigne Adrien comme régent à la cour d’Espagne.
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Après son élection lors du conclave de janvier 1522, il fallut plus d’une demi-année au nouveau pape Adrien VI pour traverser toute la vallée de l’Èbre jusqu’à la côte espagnole, puis pour remonter en bateau le long des villes portuaires de la Méditerranée jusqu’à Rome. À son arrivée, son air étranger saute immédiatement aux yeux. Les Italiens regrettent déjà leur choix: ce n’est certainement pas de ce «barbare du Nord» dont ils ont besoin.
Deux questions brulantes tiennent particulièrement à cœur au pape néerlandais lorsqu’il est finalement ordonné pape dans la basilique Saint-Pierre le 31 août 1522. Tout d’abord, il souhaite unir les princes européens au sein d’une croisade contre les armées musulmanes du sultan Soliman, qui menacent Rhodes et la Hongrie. Il désire également tenter de réformer l’administration centrale du Vatican, la Curie romaine. Selon lui, c’est là qu’est né le mal qui ronge actuellement l’Église, c’est donc de là que viendra la guérison.
Lors de son entrée en fonction, il s’adresse ainsi fermement à ses cardinaux en ces termes: «Saint Bernard a dit: celui qui est couvert de péchés ne sent plus la puanteur de la saleté». Il les enjoint à vivre sobrement et à penser uniquement au bien de l’Église et du monde. Adrien espère de cette manière mettre un frein à la réforme initiée par le moine dissident Martin Luther. Cinq ans plus tôt, avec ses thèses contre les indulgences, celui-ci avait déclenché une révolution à Wittenberg, en Allemagne, contre l’élite sacerdotale corrompue, qui incitait à un schisme pur et simple avec l’Église mère de Rome.
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Le nouveau pape occupe à contrecœur ses appartements princiers du Palais apostolique du Vatican. Il vit au rythme des offices liturgiques. Les Italiens se plaignent que le Vatican est en train d’adopter l’allure austère d’un couvent. Artistes et écrivains quittent peu à peu le Vatican. Ils n’ont que bien peu de considération pour l’élan réformateur d’Adrien ou son manque d’argent. Durant l’année où le pape Adrien réside au Vatican, peu de ses velléités de réformes voient le jour. Il ne parvient pas à endiguer le commerce au sein du clergé: l’opposition italienne est trop puissante, et il manque de temps.
Au début de l’année 1523, lors de la Diète de Nuremberg, Adrien VI s’excuse publiquement envers les princes et prélats allemands pour les nombreux maux et péchés qui affligent son Église, mais cela n’est pas suffisant pour ranger Luther à ses côtés. Celui-ci l’insulte d’ailleurs en le traitant de «pausezel», c’est-à-dire de «laquait». Adrien supplie son vieil ami Erasme de le rejoindre à Rome pour le soutenir dans sa lutte verbale avec les Réformateurs, mais celui-ci décline en alléguant ne pas vouloir se retrouver au milieu du «nid de guêpes». La plus grande déception d’Adrien est de ne pas être parvenu à unir les princes chrétiens contre les armées turques du sultan.
La réévaluation de son pontificat
Après un pontificat d’à peine 20 mois, Adrien d’Utrecht décède inopinément le 14 septembre 1523. Tout de suite, on suspecte un empoisonnement, mais il semblerait en réalité qu’il ait été affaibli par le stress de sa fonction et aurait succombé à une septicémie. Les Romains sont soulagés d’être débarrassés de ce «Fiammingo, mai non visto e senza nome», ce Flamand que personne n’avait jamais vu et dont personne n’avait entendu parler. Après Adrien VI, ce n’est qu’en 1978 qu’un pape non-italien sera à nouveau élu, le Polonais Karol Wojtyla.
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Adrien est entré dans l’histoire comme une parenthèse entre deux grands papes de la Renaissance. Mais cinq siècles plus tard, il est enfin reconnu pour ses ferventes tentatives de réforme de l’Église romaine. De nombreux changements en faveur desquels le pape néerlandais avait œuvré en vain en son temps, furent finalement mis en œuvre une dizaine d’années après sa mort à la suite du Concile de Trente, la réponse catholique à Luther, qui débuta en 1545. Adrien VI est d’ailleurs reconnu comme le premier pape de la Contre-Réforme, notamment du fait que ses coreligionnaires de Louvain ont joué un rôle considérable dans les réformes de Trente. L’actuel pape François a par ailleurs révélé juste après son ordination en 2013 qu’il avait envisagé d’adopter le nom de l’unique pape des Pays-Bas, «car Adrien VI était un réformateur, et que des réformes s’imposent encore aujourd’hui».
Quant à l’héritage plus tangible qu’il a laissé derrière lui, il comprend deux impressionnants bâtiments que le pape Adrien n’a jamais eu l’occasion de contempler de ses propres yeux. En 1517, il se fait construire une éminente résidence –aujourd’hui la Paushuize ou maison du Pape– en prévision de son retour d’Espagne. Quant au Collège du Pape à Louvain, il fut commandité par testament pour fournir un logement aux étudiants en théologie sans moyens. Les quelque 200 étudiants qui y résident actuellement se surnomment les papistes, et y tiennent leur propre Pausbar, ou «bar du Pape».