Aire-sur-la-Lys : préservée de la démolition
«Petite ville historique de caractère, aux nombreuses maisons anciennes, mais délaissées et délabrées.» C’est en ces termes que Jozef Van Overstraeten décrit Aire-sur-la-Lys. Un de ces lieux privilégiés à revisiter cinquante ans après la publication de son guide De Nederlanden in Frankrijk
(Les Pays-Bas en France). J’y ai trouvé une petite ville incroyablement jolie, pleine de caractère.
© Michaël Depestele
Une place forte
Aire-sur-la-Lys, comme son nom l’indique, est située au bord de la Lys, dont la largeur ici n’excède pas quatre mètres. La rivière suit en gros le côté nord du centre-ville. À l’ouest, là où elle pénètre dans l’agglomération, on peut très bien voir comment elle était intégrée dans les fortifications qui ont protégé la ville pendant des siècles. Celles-ci ont été entièrement démantelées, mais il en reste ici un vestige : la tour de Beaulieu, qui faisait partie d’un bastion construit à la demande de Charles Quint. Le passé militaire d’Aire demeure très présent dans la ville, avec deux casernes gigantesques devenues aujourd’hui des lieux d’habitation. Les casernes Listenois et Taix ont été classées parmi les monuments historiques.
Le long de la Lys, d’anciennes manufactures (de textile) utilisaient la force hydraulique. A divers endroits de la rivière, une dérivation, toujours visible, alimentait les ateliers. Un agréable sentier longe la rivière. À Aire, de nombreux ruisseaux et petites rivières se jettent dans la Lys, de sorte que l’eau réapparaît çà et là dans la ville. Sur l’un de ces cours d’eau, l’aube du moulin des Invalides, construit au XVIIe siècle par d’anciens soldats réformés, tourne toujours.
© Michaël Depestele
Une profusion de monuments
Quel que soit l’endroit par lequel on pénètre dans la ville, la silhouette imposante de la collégiale Saint-Pierre attire le regard. C’est une église gigantesque dont la reconstruction aurait été «bâclée vers 1738», peut-on lire dans le guide de Van Overstraeten. L’auteur reconnaît néanmoins qu’il s’agit de « l’un des plus impressionnants édifices de style gothique flamboyant et Renaissance». Impressionnant, certainement, mais quant au bâclage, reste à voir. En 1969, les dégâts occasionnés par les bombardements de 1944 étaient encore visibles, apparemment, et mon guide mentionne la «laideur du néogothique et des peintures murales de 1864». Les peintures murales ont subi l’outrage du temps, mais je trouve justement qu’elles ont du cachet. Elles traduisent la volonté de rehausser la grandeur de cet imposant monument.
Aire-sur-la-Lys ne manque pas de monuments. Il y a d’admirables demeures et hôtels particuliers, avec de superbes façades ornementées, le beffroi restauré, la jolie chapelle de l’ancien collège des jésuites et l’élégante chapelle Beaudelle). Sur la grand-place, des façades sans ostentation, de style français ou flamand. Le Bailliage, qui abrite l’office de tourisme, est un très bel exemple de l’architecture Renaissance flamande. Le nouvel hôtel de ville édifié en 1722 devait quant à lui symboliser le retour définitif de la ville au royaume de France, après le traité d’Utrecht de 1713. Ce bâtiment de pierre blanche comporte déjà tous les éléments ultérieurs du classicisme.
© Michaël Depestele
Un centre historique remarquable
Pourtant, ce n’est pas pour ses monuments qu’Aire-sur-la-Lys «vaut le voyage», à mon avis, mais pour l’homogénéité du centre-ville dans son ensemble. J’ai été bluffé de voir combien chaque rue ou chaque place avait été préservée. Le temps, en effet, semble avoir suspendu son vol. Le délaissement et le délabrement de la ville constaté par Jozef Van Overstraeten dans la seconde moitié des années soixante, s’avère aujourd’hui un bienfait pour Aire. C’est précisément dans les années 60 et 70 du siècle dernier que des démolitions aveugles ont débuté dans les villes flamandes ou belges, de Bruxelles et d’Anvers à Courtrai ou Poperinge. Des quartiers anciens, remontant parfois au Moyen Âge, ont ainsi été rasés, et des rangées de façades démolies pour faire place au béton, jugé fonctionnel. On ne trouve plus de rues homogènes, dans leur état d’origine, à Gand ou Audenarde, à Hasselt ou Aarschot. Partout, quelques constructions affreuses et informes rompent l’unité de façades authentiques, et même, le plus souvent, elles sont majoritaires. Pour une raison simple : l’argent ne manquait pas en Flandre, alors que ce n’était manifestement pas le cas dans le Nord et le Pas-de-Calais. C’est pourquoi de nombreuses petites villes du nord de la France ont été décrites comme délaissées et délabrées par Van Overstraeten dans les années soixante. Elles sont restées dans cet état presque jusqu’à la fin du XXe siècle. Entre-temps, la région s’est rendu compte que l’authenticité représentait un atout précieux à préserver. Une conscience qui n’existe toujours pas dans la Flandre belge, si l’on en juge par l’explosion des constructions d’appartements dans de nombreuses petites villes provinciales.
© Michaël Depestele
Suivez mon conseil ! Allez à Aire-sur-la-Lys, garez votre voiture en bordure du centre-ville et déambulez au hasard des rues, peu importe que ce soit la rue du Doyen, la rue des Tanneurs ou la rue des Clémences, la place des Béguines, la place d’Armes ou la Grand’Place, et appréciez l’authenticité d’une petite ville flamande, avec son plan de rues médiéval et ses maisons construites entre le début du XVIIe et la fin du XIXe siècle. Goûtez aux spécialités culinaires qui font la fierté de la ville : aux andouilles (à ne pas confondre avec les andouillettes !), aux mastelles, ces petits gâteaux secs à base d’amande en poudre, de cassonnade et de fleur d’oranger, que l’on trouve entre autres au Fournil de la Lys et soyez heureux qu’Aire soit demeurée une petite ville de fonctionnaires, de petits commerçants et d’ouvriers travaillant à la verrerie d’Arques et à l’aciérie d’ArcelorMittal à Dunkerque. Il reste sans doute des maisons à retaper ou des façades à rénover, mais elles paraissent bien avoir échappé pour de bon à la démolition.