Anke Verschueren: «C’est la pluie»
Avec Besmette Stad (Ville contaminée), projet multimédia de la maison flamando-néerlandaise deBuren à Bruxelles, quelque soixante artistes flamands et néerlandais apportent une réponse artistique à la crise sanitaire d’aujourd’hui. Ils ont été inspirés par le recueil de poésie de renommée internationale Bezette Stad (Ville occupée) dans lequel l’écrivain flamand Paul Van Ostaijen (1896-1928) se penche sur la Première Guerre mondiale. Anke Verschueren a lu son poème Eenzame stad (Ville solitaire), ce qui a donné lieu à la vidéo C’est la pluie.
C’est la pluie
il pleut
des milliards
de petits monstres mauves
aux yeux ignivomes
aux dents acérées
de petites sphères mauves
à longues ventouses
se fixent
dans nos gorges
sur nos bronches
dans nos têtes
sur nos cœurs
et nous montrent
ce monde contaminé
en chiffres sur une carte
touchés décédés guéris
et oui
c’est un privilège d’être un chiffre
d’être incommodée par un coton tige
enfoncé au fond du nez
et puis les résultats de votre test
positif
traitement sous respirateur
une catastrophe espérons-le évitée
mais
nous aimerions qu’on nous dise aussi
combien de gens
voudraient appeler un médecin chaque jour
mais n’ont pas de téléphone
ni même de quoi manger
dans ce pays contaminé
je danse dans les rues vides
mais quid des gens qui dorment
sous la pluie
dans cette ville contaminée
où les façades
se transforment en visages
derrière lesquels
se cachent
la sociabilité les rires
le danger les secrets
heureusement que nous pouvons nous faire de grands signes de la main
ohé!
dans ce village contaminé
nous ne nous engonçons plus
dans nos épaules
en croisant les voisins
nous faisons un signe de tête encourageant
comme si
la compétition étant suspendue
tout le monde s’était soudain mis
à encourager le même club de foot
tous ensemble tous ensemble
ouiouioui
restons chez nouuus
on en viendra à bout
cela finira bien
partout
ici aussi
dans cette rue contaminée
où chaque jour on taille une haie
on tond une pelouse
alors que nous avons enfin appris
à sourire les uns aux autres
seuls les yeux sourient
alors que les masques sont enfin tombés
il nous faut en mettre un pour sortir
assise
dans ma chambre immaculée
qui a déjà connu trois nettoyages de printemps
je suis seulement
solitaire
combien
combien de temps encore?
je vois mes amis
en deux dimensions
disposés en petits carrés sur l’écran
et j’espère sincèrement
que ce sont là les seuls cases
à l’intérieur desquelles nous nous imaginerons jamais
il pleut
plic plic plic
sur mon velux
que j’ouvre tout grand
je lève la tête
ferme les yeux
sens les gouttes
sur ma peau
plic plic plic
la pluie
est seule
à me toucher