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littérature

Anne Marijn Voorhorst: À votre service

Par Anne Marijn Voorhorst, traduit par Noëlle Michel
17 décembre 2021 3 min. temps de lecture Jeunes écrivain·es sur le travail invisible

Dix-huit jeunes auteurs et autrices ont donné vie à des objets du XIXe siècle provenant du Rijksmuseum. Ils et elles se sont inspiré·es de la question suivante: que voyez-vous lorsque vous regardez ces objets en portant attention au travail invisible? Avec Anne Marijn Voorhorst, nous nous intéressons à un pot de moutarde fabriqué vers 1819 par Jean-Baptiste-Claude Odiot. «Monsieur, tout le personnel vous prie d’avaler votre nourriture un peu plus calmement.»

À votre service

Avec votre bénédiction, nous allons déposer ceci à votre intention. Nos têtes s’inclinent devant vous, nous vous souhaitons un dîner salutaire et succulent. Nous nous prosternons devant la vaisselle que nous avons fait reluire ce matin.

Vous ne bronchez pas, lorsque nos bras vous frôlent tandis que nous couvrons la table de plats. À votre service. Cela ne nous dérange pas.

Nous nous tenons derrière vous. Nous vous assistons depuis notre poste, entre les colonnes et les palmiers qui bordent la salle à manger. Nous courbons volontiers l’échine pour votre confort.

Aujourd’hui, vous souhaitiez quelque chose de fort pour accompagner votre poisson, nous nous en sommes chargés. Aucun problème. Permettez-nous de badigeonner les écailles d’une mouche de ce puissant condiment jaune doré.

Nous espérons qu’il vous plaira. Que le mur de corps irradiera votre dos de chaleur, pour votre plus grande satisfaction. Qu’il saura apaiser les rougeurs de vos joues.

À présent, vous découpez franchement la tranche de chair rose. Vous commencez à mâcher et nous remarquons que vous arrosez de salive les couverts autour de vous. Les anges au plafond vous tiennent aussi à l’œil. Ils reposent sur un nuage –la main sous le menton. Malgré leurs regards blasés, ils parviennent à tirer des notes de leur harpe.

Vous postillonnez de plus en plus, votre mastication est visible de derrière, vos omoplates tressautent. Les anges et nous, vos gens de maison, nous notons ce changement.

Monsieur, tout le personnel vous prie d’avaler votre nourriture un peu plus calmement. Même chose pour votre convive, Monsieur. La queue du poisson a atterri près de votre chaussure.

En cet instant, vos bras volent comme des pales autour de votre corps. Non! gronde votre voix au-dessus de la table. La cargaison de tabac ne fera pas demi-tour, saisissons-nous au vol.

Nos dos se penchent plus bas, pour essuyer la moutarde sur votre chaussure. Vous grognez et recrachez une arête qui se coince dans votre lacet.

Nous nous agenouillons devant vous, Monsieur, nous ramassons les débris qui jonchent le sol et disparaissons sous la nappe afin de récupérer tous les morceaux.

Avec votre permission, nous quittons à présent la salle en rampant à reculons, nous vous saluons d’un signe de tête et vous abandonnons là avec votre corps uniquement recouvert de haillons. Vous roulez sur le sol, le visage mouillé.

Nous espérons que vous ne serez pas trop gêné de nous voir nous joindre à la foule dansante hétéroclite, à l’extérieur. Ôter nos uniformes et revêtir un autre déguisement. La musique harmonieuse de la harpe cède la place au son des trompettes.

Chahut. Une femme de cinq mètres de haut tire la langue et tourne sur elle-même. Laissez-nous sourire, voulez-vous? Une irrépressible avalanche de confettis recouvre nos rictus.

Nous avons une dernière prosternation en réserve pour vous, Monsieur. Voulez-vous regarder par la fenêtre? Vous nous verrez grouiller dans les rues, affublés en crabes. Des pompons accrochés à nos membres, nous disparaîtrons bientôt dans cette marée humaine. Nous avons des ciseaux entre les mains et nous essaimons autour du palais de justice, de la banque, du commissariat de police.

Anne Marijn Voorhorst2 0035 SDW 8981 8x8cm

Anne Marijn Voorhorst

Elle écrit de la poésie, de la prose et des critiques d'art. Elle dessine aussi et fait partie d'un duo de DJ. Elle a complété le bachelor en Image & Langage à la Gerrit Rietveld Academie et le master de littérature anglaise dans la culture visuelle à la VU Amsterdam. Son travail a été publié dans nY, de Internet Gids, Deus Ex Machina en Metropolis M. Pour elle, la poésie est un moyen d'enquêter sur le monde étrange et parfois abject. À la façon d’un personnage lâché dans un univers construit, elle enregistre l'expérience sensorielle d'espaces artificiels, mais ordinaires, comme un centre commercial ou un grand magasin.

Photo © Sanne De Wilde

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