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Saint-Martin – Sint Maarten: Un monde complexe et transversal

18 octobre 2021 6 min. temps de lecture Passerelles entre francophonie et néerlandophonie

L’existence des territoires ultramarins européens occasionne des effets de voisinage inédits, qui, dans le cas des Petites Antilles, n’en finissent pas d’interroger les notions de continuité territoriale, de voisinage et d’exercice même de l’État, ce que met bien en évidence cette insolite île de 90 km²: Saint-Martin – Sint Maarten.

Le «cas» Saint-Martin – Sint Maarten rend à la fois bien lisibles l’héritage dont sa partition est issue et la nécessité d’une réinterprétation permanente de la frontière. Comment cette île, divisée entre une partie française au nord et une partie néerlandaise au sud, ce que beaucoup ont découvert au moment du passage du cyclone Irma en septembre 2017, n’est-elle pas vraiment le lieu d’une rencontre franco-néerlandaise?

Une frontière au-delà des mers

L’île, «découverte» par Colomb lors de son second voyage en 1493, était fréquentée par les Indiens Caraïbes et ne connut pas de réelle installation européenne avant les années 1640. Les Néerlandais, à la recherche d’une île escale qui pouvait aussi leur fournir du sel, mais aussi quelques familles françaises, venues pour y cultiver du tabac, s’y seraient peu à peu installés.

Après des tentatives d’appropriation, les deux parties signèrent rapidement un traité, en 1648, sur une montagne depuis nommée mont des Accords. Il prévoyait, entre autres, la libre circulation des biens et des personnes, le partage des ressources naturelles ou l’entraide en cas de conflit.

Établi il y a près de quatre siècles entre des communautés d’une demi-douzaine de personnes, ce traité, seul document de partage de l’île existant, est toujours à la base des relations bilatérales. La délimitation insulaire est donc une frontière de papier, de pure forme. Cependant les différences entre les deux parties de l’île sont bien visibles.

Ancienne commune de la Guadeloupe, Saint Martin obtient le statut de Collectivité d’Outre-Mer en 2007, lui conférant des compétences réglementaires développées: d’une commune, d’un département, d’une région et certaines compétences étatiques (fiscalité, urbanisme), tandis que les compétences régaliennes et celles liées à l’environnement sont conservées par l’État. Sint Maarten jouit d’une plus grande autonomie. Ce territoire est un des quatre États qui, avec les Pays-Bas, Aruba et Curaçao, forment le royaume des Pays-Bas depuis 2010.

C'est surtout une législation permissive en termes «d'adult entertainment» qui fait l'attractivité de Sint Maarten.

La partie néerlandaise possède sa propre constitution ainsi qu’un gouvernement avec ses différents ministères sauf ceux des Affaires étrangères et de la Défense; le royaume des Pays-Bas y est représenté par un gouverneur.

Les deux territoires n’ont pas le même lien à l’Union européenne: plus fort à Saint-Martin, moins étroit à Sint Maarten, qui n’est pas soumis à l’application directe du droit communautaire et de ses normes; le secteur privé y est l’acteur majoritaire d’un système économique très libéral, peu contraint, avec de faibles coûts salariaux et une fiscalité avantageuse.

Les 80 000 insulaires sont résidents européens, mais une minorité d’entre eux sont nés sur l’île, qui accueille des fonctionnaires métropolitains et de nombreux immigrés caribéens venus pour travailler dans le tourisme. Si le français est la langue d’enseignement dans les écoles du nord, les populations insulaires sont bien plus anglophones que francophones ou néerlandophones, le créole et l’espagnol sont également représentés. Sur cette île-Babel, où cohabitent une centaine de nationalités, l’influence états-unienne domine.

Deux pour le prix d’une: la double identité en vitrine

Les deux parties de l’île ont une mono-économie touristique construite sur le modèle Sand, Sea, Sun, très répandu dans les Caraïbes; ce qui les différencie, c’est leur complémentarité: une île, deux identités.

On peut voir dans les rues de Philipsburg (Sint Maarten) des éléments d’architecture communs aux Antilles néerlandaises, comme à Old Street, quartier reconstitué à la façon néerlandaise avec des maisons aux façades colorées ou une église méthodiste du XIXe siècle.

Le nom même de l’aéroport Princess Juliana
et le jour de l’anniversaire du roi comme jour férié indiquent une forme d’attachement à la Couronne. La présence d’une communauté néerlandophone composée de journalistes, d’artistes et de professeurs comme ceux du lycée public Milton Peeters, les panneaux indicateurs en néerlandais témoignent d’une réalité linguistique. Quelques lieux de restauration rapide servant des spécialités néerlandaises (frikandel, bitterballen, etc.) et l’existence de la Heineken Regatta, course dont la marque de bière néerlandaise est devenue le sponsor principal en 1983, moment de l’essor touristique de l’île, participent d’une ténue identité néerlandaise.

Mais c’est surtout une législation permissive en termes d’adult entertaiment avec une douzaine de casinos, des dizaines de discothèques et de maisons closes, qui fait l’attractivité de Sint Maarten. C’est également dans la partie néerlandaise que se trouvent les structures hôtelières all inclusive de grande ampleur (plus de 400 chambres) et des boutiques de «luxe» détaxées.

La partie néerlandaise n’apparaît pas comme un petit morceau des Pays-Bas, les sites Internet touristiques n’usent jamais de cet argument, contrairement à Saint-Martin, mis en scène comme un bout de France aux Antilles.

On peut en effet y retrouver certains aspects de la culture française. Présentée comme le côté «nature» de l’île, avec ses plages plus nombreuses et réputées, partiellement ouvertes au naturisme, la partie française est moins densément construite et les petites structures hôtelières y sont privilégiées.

La French Touch est particulièrement mise en avant dans la gastronomie, via les restaurants de Grand-Case aux noms évocateurs (Le Tastevin, L’Auberge gourmande), mais aussi les boutiques de Marigot et les luxueuses villas des Terres-Basses ou de la Baie orientale.

L’envers de la frontière

La partition de l’île constitue un facteur de développement touristique mais également de concurrence intra-insulaire, voire de vulnérabilité pour Saint-Martin, moins attractive financièrement et économiquement dépendante de sa voisine. Plus de 90% des touristes arrivent sur l’île par Sint Maarten, les principales infrastructures de transport de l’île s’y trouvant (aéroport international, port de Pointe blanche pouvant accueillir les plus gros bateaux de croisière).

À Saint-Martin on peut retrouver certains aspects de la culture française

L’existence de cette frontière a aussi des effets moins patents. Saint-Martin bénéficie d’une forme de rente insulaire accrue par la partition, dans une zone que le compartimentage historique rend particulièrement propice aux trafics. Elle est connue pour être une plaque tournante des trafics de drogue caribéens et les saisies y sont régulières.

Au-delà, la contrefaçon y est l’enjeu d’une lutte constante des services douaniers et le blanchiment d’argent dans les casinos de la partie néerlandaise n’est pas sans incidence sur l’économie globale de l’île. La partition pose donc des difficultés d’ordre légal, sans qu’une réelle coopération n’existe entre les deux parties.

La délicate communication entre les autorités, à la fois locales et nationales, s’est aussi manifestée dans la diffusion de fausses informations qui ont eu un impact sur la gestion de la crise du cyclone Irma, en 2017. La domination touristique de Sint Maarten se retrouve incontestablement dans sa reconstruction, plus rapide. Notons toutefois le récent Memorrandum of Understanding signé entre les acteurs du tourisme du sud et du nord, visant à promouvoir l’île de Saint-Martin comme une seule destination. In fine, l’île, en tant que produit touristique, reprend corps.

La liberté de circulation permet aux habitants et aux touristes de vivre des deux côtés de la frontière au gré de leurs envies et des opportunités réglementaires. Il existerait donc plusieurs strates de citoyenneté: locale, nationale, régionale, mais également transnationale et les Saint-Martinois semblent précisément en train d’expérimenter cette pluricitoyenneté. L’île est un archétype de notre âge de complexité et de transversalité: la frontière y existe sans y exister, mais la centaine de nationalités qui y cohabitent représentent une humanité bien trop nombreuse pour que les heurts soient inexistants.

Marie Redon

Marie Redon

maître de conférences HDR en géographie à l’université Sorbonne Paris Nord

Delphine Grancher

Delphine Grancher

directeur adjoint du laboratoire de géographie physique de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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