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Ari Marcopoulos, l’art contemporain au prisme du skate

24 juin 2024 5 min. temps de lecture Chronique parisienne

Le photographe et vidéaste d’origine néerlandaise Ari Marcopoulos, emblème de la contre-culture, porte son regard sur la culture savante à l’occasion de son exposition et de la projection de son court-métrage Brown Bag, récente acquisition du musée d’Art moderne de la Ville de Paris.

L’esplanade du musée d’Art moderne de la Ville de Paris est depuis plusieurs décennies le lieu privilégié des skateurs qui l’ont rebaptisée le «Dôme». L’institution accueille aujourd’hui le photographe et vidéaste d’origine néerlandaise Ari Marcopoulos, l’un des représentants majeurs d’une contre-culture portée par les amateurs de skate et de snowboard.

En 2021, le skateboard faisait son entrée aux Jeux olympiques de Tokyo après avoir longtemps été une pratique marginale dont Ari Marcopoulos se fera le témoin dès son installation à New York. Né à Amsterdam en 1957 d’un père grec pilote de ligne et d’une mère mannequin néerlandaise, Marcopoulos se passionne dès l’adolescence pour la photographie et réalise à l’âge de 15 ans ses premiers courts métrages. Le skate, son autre passion, constitue l’ADN de son œuvre. En 1979, il quitte sa ville natale pour s’installer à New York où il découvre une scène artistique qu’il fera sienne. En véritable anthropologue, il devient le documentariste d’un milieu incarné par les kids du skate, ainsi qu’il les nomme, autant que par les personnalités exceptionnelles de la scène artistique et musicale.

Dans les années 1990, Ari Marcopoulos déambule sous le pont de Brooklyn et observe ces jeunes skateurs new-yorkais se livrant à d’interminables slides. Le skate façonne dès lors sa vision. Il est un monde en soi fait de musique, que le support de la vidéo lui permet d’ajouter à l’image. Le court-métrage Brown Bag réalisé en 1993 évolue au rythme du jazz, d’un hip-hop alors émergeant et du premier concert de Jeff Beck que le photographe immortalise. Acquis par le musée parisien, Brown Bag est emblématique de ce monde en mouvement qui dynamise ses films et ses images. Tourné en 1993, le film, oublié dans un sac de papier kraft (brown bag en anglais), n’a été développé par son auteur que trente ans après sa création.

Dans le contexte des années 1990, le photographe arpente aussi les galeries du Lower East Side où il croise Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol, Keith Haring, Robert Mapplethorpe ou Jeff Koons, incarnations d’un art contemporain intrinsèquement liées dans sa mémoire aux sons de John Cage, Iggy Pop ou d’Alan Vega, chanteur mythique du groupe Suicide. Ce sont autant de portraits photographiques dont il chronique l’époque.

La rencontre des cultures

Le musée d’Art moderne invitait également Ari Marcopoulos à dialoguer avec quelques-unes des 14 000 œuvres des collections permanentes. Ce dialogue dans la cour des grands lui a d’ailleurs inspiré le titre de l’exposition Beware, «prendre garde», qui traduit bien l’audace pleine d’inquiétude qu’il y a eu à accepter le défi d’une confrontation écrasante et vertigineuse avec des figures historiques de l’art contemporain. À l’issue d’une exploration à perte de vue, ce sont quarante artistes, autour des thèmes du corps, des blessures et de l’architecture, qui côtoient ses images.

Les choix sont parfois déroutants, comme celui de Chirico et ses places italiennes, ou celui du minimaliste Noir interrompu II, sculpture en aluminium anodisé de Joan Pala (1922) ou de (WHSC 44102 Bar), une barre d’acier inoxydable de Daniel Turner (1983). Marcopoulos aborde ces références à la culture savante en skateur épris d’espaces urbains et toujours en quête de ledges, ces blocs quadrangulaires support de slides. Brown Bag évoque à l’envi le graphisme de New York, ses lignes verticales que les graffitis perturbent et l’obsession des emmarchements et margelles à grinder.

La sélection des photographes est plus attendue, avec Brassaï (1899-1984) pour sa série Graffiti. Marcopoulos retient le regard profondément humain du plus méconnu Jean-Philippe Charbonnier (1921-2004), «figure centrale de son panthéon artistique», souligne la commissaire Olivia Gaultier Jeanroy. Du photographe humaniste, il élit le grand angle porté sur l’immensité des ruines d’un Caen déserté au lendemain des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Marcopoulos nous renvoie ainsi à l’engouement des skateurs et des graffeurs pour les paysages en déshérence et la décrépitude des ruines modernes. Bruce Nauman, dont le musée expose pour la première fois Life Fly Lifes Flies (1997), est cette autre personnalité artistique majeure de son musée imaginaire.

Le portraitiste de la contre-culture

Dans Brown Bag, le vidéaste saisis à la volée le sourire de l’adolescence et son aveu d’insouciance. Les portraits constituent l’alter ego de son œuvre, souvent aux antipodes du skate par leur immobilisme. On ne fige plus l’envol dans l’instantané ou les expressions fugitives, mais, à l’inverse, la pérennité des traits et des regards qui éludent rarement le face-à-face avec l’objectif. Ses photos tutoient Iggy Pop, les stars du skateboard comme Harold Hunter, mort à 31 ans d’une overdose et, qu’en hommage, il place au seuil de l’exposition. Mais il y a aussi ces anonymes du skate qu’il considère comme des amis, ses enfants et beaucoup de portraits de son épouse. Pas de pathos ou de sentimentalité dans «cette sphère de l’intime où la photographie favorise les rencontres et crée du lien», indique Olivia Gaultier Jeanroy. L’ensemble de ces visages dessine le portrait de l’artiste, de ce qui le compose au travers de ceux qui composent son existence.

«Beware», créée pour l’exposition dont elle emprunte le titre, est un assemblage dense d’images, photos, portraits, peintures et photocopies. L’horreur du vide transparaît dans la mise en page que Marcopoulos conçoit pour tous ses livres et fanzines, autre volet de sa créativité. Ce sont des livres-objets, des œuvres en soi souvent dérivées de sa passion pour les fanzines. Conforme à l’esprit du skate, la valeur ne tient pas compte d’un marché et de ses tirages sur papier glacé. Dans l’exposition, ses photographies sont parfois simplement punaisées.

Les sujets abordés dans les fanzines rejoignent les centres d’intérêt, pour ne pas dire les engagements de la communauté skate dont s’empare Ari Marcopoulos. Dominent les thèmes alternatifs de la contre-culture, l’importance de la musique, la liberté de penser, l’absence de préjugé ou la cause LGBTQ+ illustrée par plusieurs portraits. Ils dictent l’authenticité de ses photographies et en prolongent les convictions. Ari Marcopoulos n’est pas qu’un documentariste, il fait œuvre de ses passions.

Carte blanche à Ari Marcopoulos, jusqu’au 25 août, musée d’Art moderne de la Ville de Paris
Ari Marcopoulos, BEWARE, Roma Publications, 2024
Geneviève-Nevejan

Geneviève Nevejan

critique d'art

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