Les créations de Maarten Baas, au carrefour de l’imperfection et de la perfection
Maarten Baas est un designer de réputation internationale. Il a opté pour une création aux confins de l’art et du design.
Les films d’animation du célèbre réalisateur américain Tim Burton, l’auteur de bijoux visuels tels que L’Étrange Noël de Monsieur Jack, James et la Pêche géante et le décoiffant Mars Attacks!, mettent en scène des personnages des plus grotesques. Ses créatures dotées de membres extrêmement longs ont une apparence particulièrement désincarnée et dégingandée. Dans nombre de ses productions, on voit apparaître des personnages qui paraissent assemblés avec des éléments recyclés. Manifestement, leur création n’a pas pris plus de quelques secondes. Leur beauté réside dans leur imperfection. Les créations d’apparence nonchalante du designer et artiste néerlandais Maarten Baas (°1978) auraient certainement leur place dans le monde de l’absurdité spontanée de Tim Burton. En revanche, dans la réalité qui est la nôtre, elles forment des silhouettes pour le moins inattendues.
Au feu!
Maarten Baas est l’un des représentants les plus emblématiques du mouvement Dutch Design. Ce terme désigne une esthétique de création pratiquée par un groupe bigarré de designers néerlandais non dénués d’humour, pour atteindre des résultats d’apparence minimaliste, expérimentale, innovante et souvent non conventionnelle.
La
percée du Dutch
Design,
que l’on situe vers le début des années 1990, est attribuée
à la possibilité que ces créateurs ont eue d’accéder à de
nouvelles formations au design de haute qualité, notamment à la
Gerrit
Rietveld Academie d’Amsterdam
et à la Designacademie
d’Eindhoven.
C’est
avec Smoke,
son projet de fin d’études dans ce dernier établissement, que
Maarten Baas a attiré l’attention dès 2002. Il y présentait une
série de meubles et d’objets utilitaires qu’il avait auparavant
traités au chalumeau à gaz. Il avait mis le feu, de manière très
contrôlée, à des chaises, des armoires, des pianos et même au
fauteuil Rietveld rouge et bleu, l’icône du design néerlandais
par excellence, jusqu’au point où la forme brûle mais où la
structure reste intacte. Le résultat carbonisé était ensuite
pourvu d’une couche de résine protectrice et de vernis satiné,
avant d’être regarni avec du tissu pour pouvoir reprendre du
service dans sa fonction originelle. Avec cette première affirmation
professionnelle, Maarten Baas indique d’emblée ce qui, pour lui,
importe par principe dans le design: tendre vers la beauté en
balançant sur la limite entre la perfection et l’imperfection.
Se
mettre au premier plan
Les objets de la
série Treasure semblent
fabriqués de façon quasi identique aux personnages de Tim Burton:
ils paraissent assemblés n’importe comment et tenir ensemble avec
du papier collant, des bouts de ficelle et des agrafes. Avec cette
deuxième collection datée de 2005, Maarten Baas mise sur
l’importance de l’improvisation et de la spontanéité dans sa
vision sur le design. C’est à croire qu’il a cloué ensemble,
n’importe comment, des morceaux de panneaux de fibres MDF recyclés,
sans se soucier qu’ils soient trop courts ou trop longs. Il a
poursuivi son assemblage jusqu’à atteindre une forme ressemblant,
de loin, à une chaise ou à une table. Il a ensuite peint le tout à
la bombe, d’une seule couleur, pour lui apporter une certaine
cohésion.
© M. Baas
À
première vue, tout semble indiquer que ce créateur nonchalant fait
n’importe quoi. Mais en réalité, rien n’est moins vrai… Les
objets de Treasure
sont autant de témoins uniques de la façon dont on peut, au départ
de la fantaisie et de l’imperfection, tendre vers le beau et, de
manière très ciblée, donner forme à son intuition.
Dans la poursuite de
l’élaboration de son œuvre, nous voyons que Maarten Baas se place
de plus en plus au premier plan en tant qu’individu créateur. Dans
la série Clay
de 2006, il façonne à la main, sans recourir à des esquisses
préparatoires ni à des moules, une série de meubles et d’objets
utilitaires uniques. Le résultat d’allure naïve porte à chaque
fois la griffe du designer, de façon visible ét tangible.
C’est avec
ce type d’œuvres que Maarten Baas a assis sa réputation
internationale en tant que créateur autonome. Il ne travaille pas
sur instruction de tiers, mais part uniquement de sa propre exigence
créatrice. Cette autonomie explique aussi pourquoi sa création ne
compte guère d’objets produits en série. Il se tient exprès à
distance de cette approche industrielle pour protester contre la
superficialité des nombreuses créations de design qui sont
produites de cette manière. Aussi, dans les interviews, se
montre-t-il critique envers le rôle social des designers et la
relation entre le marketing et le design.
© M. Baas
Dès
le début de sa carrière, Baas a résolument opté pour une création
située aux confins de l’art et de la conception. Nombre de ces
objets sont uniques et relativement coûteux. Il ne prône pas le
principe de la démocratisation du design. Dans la rubrique ludique
des FAQ sur son site web, il se montre très pragmatique sur la
question: «La démocratie fonctionne bien en tant que méthode sur
laquelle on peut asseoir un système politique, mais dans le
processus créatif ce concept est moins utile. Je préfère une
approche où la vente peut soutenir la production de nouvelles
créations. De toute façon, tout le monde peut en profiter
gratuitement sur Internet ou dans des revues.»
Enfermé dans une grande
horloge
Heureusement, il y a
d’autres manières encore de jouir gratuitement de l’œuvre de
Maarten Baas. Ainsi, le terminal n° 2 de l’aéroport de
Schiphol près d’Amsterdam mérite une visite. On y trouve la
fameuse œuvre vidéo Schiphol Clock
de 2016. Cette installation de plus de trois mètres de haut se
compose d’une horloge à hauteur d’homme, accessible par une
porte latérale via une échelle.
© M. Baas
Derrière le cadran en verre opaque, les spectateurs devinent la silhouette projetée d’un homme qui, minute après minute, efface les aiguilles avant de les repeindre. Comme si l’horloge renfermait vraiment un homme qui créait sans cesse le temps. En effaçant littéralement chaque minute puis en le redessinant sans cesse, Maarten Baas crée une ode extrêmement poétique à l’éphémère.
Comme Tim Burton, Baas réussit d’une façon bien à lui à générer de la beauté en mariant l’imperfection à l’éphémère. Grâce à la spontanéité et à une bonne dose d’humour, il crée des objets et des installations qui ne laissent pas le spectateur indifférent.