Au musée du Mont-de-Piété, de l’art flamand mais pas seulement
Dans la jolie Bergues se niche un musée discret qui gagne à être connu. Nous avons poussé sa porte dans le cadre de notre série «Passage» qui explore les institutions culturelles des deux côtés de la frontière franco-belge.
Quand on pense à un musée d’art flamand en Flandre française, on évoque spontanément le musée de Flandre à Cassel et ses 60 000 visiteurs à l’année. On fait moins souvent référence au musée du Mont-de-Piété de Bergues, ce que reconnaît volontiers son directeur, Patrick Descamps. «Nous avons une vraie collection intéressante même si c’est difficile à valoriser dans une petite ville. On ne boxe pas dans la même catégorie!»
© Nicolas Montard
C’est vrai… mais ce n’est pas une raison pour ne pas aller faire un tour du côté du musée berguois, intéressant à plusieurs titres. Déjà par son histoire. Il a été créé avant la vague des grands musées nationaux du XIXe siècle. «En 1791, ce qui en fait le plus ancien musée du département du Nord, rappelle notre interlocuteur. Bergues est alors un chef-lieu de district. Les saisies révolutionnaires du secteur (prises dans les établissements religieux, notamment de Dunkerque, Furnes, etc.) sont stockées dans l’abbaye de Saint-Winoc».
Soit un dépôt artistique de 540 tableaux et 50 000 ouvrages qui sert de fond pour l’origine du musée –d’abord un muséum, ouvert deux jours par semaine–, même si au XIXe siècle de nombreuses œuvres repartent en sens inverse: dans les églises dépouillées de leur patrimoine, au musée de Dunkerque, etc. «Mais il nous restait toujours un fonds intéressant, complété par celui de l’abbaye de Saint-Winoc, car les abbés collectionnaient déjà. Ils avaient 350 tableaux, c’était une abbaye prospère!»
© Nicolas Montard
Un bâtiment historique
Après avoir transité par le collège des Jésuites et l’hôtel de ville, le musée prend ensuite place dans un splendide bâtiment, ce qui constitue son second grand atout: l’ancien Mont-de-Piété, édifié entre 1629 et 1633 sur les plans de Wenceslas Cobergher. Venu d’Italie, le système du mont-de-piété permettait du prêt sur gages, «on venait déposer un fagot de bois, des chausses, avant de les récupérer avec un taux de 14% si on le pouvait!» Il y avait une quinzaine de monts-de-piété dans la région, à Valenciennes, Lille, Tournai, Gand… Bergues était le dernier. Transformé un temps en gendarmerie, le joli bâtiment d’art baroque flamand, avec de splendides fenêtres surmontées d’arcature et ses deux pignons particulièrement ouvragés, abrite les collections municipales depuis 1956: «Nombre de visiteurs rentrent aussi dans le musée pour le bâtiment».
© Nicolas Montard
Le chef-d’œuvre de Georges de la Tour
Mais aussi pour les œuvres, évidemment. La pièce majeure en est sans conteste Le Vielleur au chien de Georges de La Tour, le plus grand tableau connu attribué au peintre. Cependant, la collection est essentiellement composée d’œuvres flamandes du XVIe
au XVIIIe siècle explorant les domaines du portrait, de la femme dans l’art, de l’art religieux et de la nature morte. Parmi les artistes exposés, on trouve ainsi Jan Metsys, Robert et Jan van den Hoeck, Jacob van Loo, Pieter Soutman…
© Nicolas Montard
Le musée présente aussi une partie du trésor de l’abbaye de Saint-Winoc (démantelée ensuite pendant la Révolution), des peintures la représentant et documents d’archives. Depuis l’an dernier, la collection Jeanne Matossian, rassemblée par un couple de collectionneurs parisiens entre les années 1950 et 1980, a intégré le parcours d’exposition. Ces 530 œuvres d’art moderne (peintures, sculptures, dessins) ont beaucoup voyagé (Ostende, Chartres), avant de se retrouver à Bergues. Parmi la sélection exposée, on y découvre en ce moment des œuvres de Robert Coutelas, Sergio Storel, Roger Lambert-Loubère… «C’est un très bel enrichissement pour une ville comme Bergues!», s’enthousiasme Patrick Descamps.
© Nicolas Montard
Autre richesse du musée du Mont-de-Piété, ses dessins. Deux mille feuilles des écoles du nord du XVIe au XIXe siècle, malheureusement peu montrées pour des questions de place et de conservation! «Elle nous a été léguée par Pierre-Antoine Verlinde, natif de Bergues, peintre, restaurateur de tableaux qui s’était établi à Anvers. Ce collectionneur compulsif avait une impressionnante collection de dessins, dont le fonds de l’Académie d’Anvers. Nous possédons des dessins de Nicolas Poussin, Simon Vouet, Charles Le Brun, Sebastiano del Piombo, Maarten van Heemskerck, Pieter Aertsen, etc.»
Une dimension transfrontalière peu exploitée
Le
musée du Mont-de-Piété attire 3 000 visiteurs par an, sans scolaires, dont 15%
de Belges environ. Une fréquentation modeste à mettre en rapport avec la taille
de la ville –3 800 habitants– et
le fait que le musée, non chauffé, ne soit ouvert que d’avril à octobre,
uniquement les après-midis. D’où une certaine discrétion médiatique. Qui n’est
pas synonyme d’un manque d’ambitions. Ainsi, le directeur se fait un point
d’honneur à monter une exposition temporaire chaque année. Pour 2023, Martial
Leroux est à l’honneur. Ce peintre et créateur des couleurs fines (1886-1959)
était qualifié par un journaliste comme «le plus flamand des peintres
français».
© Nicolas Montard
De quoi évoquer la dimension transfrontalière des lieux. Si elle se trouve évidemment dans l’art flamand, elle est plus limitée dans les collaborations avec les institutions et établissements belges. «C’est vrai qu’on travaille plus avec les musées français. En Belgique, nous n’avons eu réellement qu’une collaboration avec Marche-en-Famenne pour une exposition sur Mercedes Legrand, née en Espagne, originaire de Belgique. Je me suis une fois rapproché de l’école des Beaux-Arts d’Anvers, en leur faisant part de la présence du fond de dessin de l’académie, mais je n’ai pas eu de retour. Après, vous savez, je suis tout seul dans le musée, nous n’avons pas la même échelle de temps et de moyens, certaines institutions sont hors échelle pour nous». Côté communication, il n’y en a pas de l’autre côté de la frontière, mais Patrick Descamps veille à ce que les cartels des œuvres soient trilingues et souhaiterait d’ailleurs développer les feuilles de salles trilingues également. «Même si les Belges qui viennent parlent souvent français.»
© Nicolas Montard
Bientôt transformé?
Le musée au charme désuet, le seul labellisé musée de France sur la Communauté
de Communes des Hauts de Flandre (40 communes),
devrait
évoluer. À l’horizon 2026-2027, un réaménagement est dans les cartons, ce qui
permettrait de se déployer au deuxième étage et dans les greniers, actuellement
pas exploités, de revoir les éclairages, la disposition. «L’idée est de devenir
un musée d’art et d’histoire retraçant aussi le passé de la châtellenie de
Bergues qui regroupait peu ou prou le territoire de l’actuelle communauté de
communes. Il y a de vraies perspectives avec ça.» Une belle évolution pour ce deuxième
musée de Flandre.
© Nicolas Montard