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Au musée Luther, l’histoire des religions résonne d’actualité

Par Edo Dijksterhuis, traduit par Alice Mevis
22 octobre 2024 8 min. temps de lecture En mode musée

À Amsterdam, la réforme de Martin Luther, fondateur du protestantisme, a suscité un engouement particulier. L’élégant musée portant son nom narre l’histoire du luthéranisme aux Pays-Bas. Il est niché au cœur d’un bâtiment classé de 1772 qui accueillait autrefois les pauvres, les personnes âgées et les orphelins luthériens de la ville.

Dimanche midi: soupe au pain blanc; soir: bière et pain. Lundi midi: pois cassés ; soir: babeurre. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que le menu de la semaine entière soit égrené. En parcourant la liste des yeux, affichée sur le mur de la salle où en 1772 était distribuée la nourriture en question, il nous semble presque entendre la mastication silencieuse des hommes et des femmes d’un âge avancé qui y prenaient leur repas deux fois par jour, et s’y rendaient également le dimanche pour assister à la messe. Aujourd’hui, cette salle paroissiale constitue le cœur du musée Luther, dont l’orgue datant du XVIIIe siècle nous ramène volontiers à cette époque révolue.

Le musée Luther est l’une des perles encore méconnues du paysage muséal amstellodamois. Situé dans un petit coin paisible de la capitale, enchâssé entre le jardin botanique Hortus, le zoo Artis et le campus de l’université d’Amsterdam, pas même le tumulte des manifestations étudiantes pro-Palestine ne sont parvenues à ébranler le calme de cet endroit.

Le musée Luther a ouvert ses portes à l’été 2019, juste avant le début de la pandémine de coronavirus, ce qui explique en partie le fait qu’il soit encore relativement peu connu. Le musée a dû attendre 2023 pour enregistrer une année normale. Ce sont alors 6 500 visiteurs qui sont venus découvrir le musée du Nieuwe Keizersgracht.

Pour d’autres musées tels que le musée de la Résistance (Verzetsmuseum) ou le musée national de l’Holocauste (Nationaal Holocaustmuseum) qui ont pourtant été inaugurés à la même période, un tel nombre parait dérisoire, mais en cette époque de sécularisation croissante, le nom de Luther est bien moins évocateur que celui de la Seconde Guerre mondiale.

La communauté luthérienne des Pays-Bas ne compte d’ailleurs aujourd’hui plus qu’entre huit et dix mille membres. Mais le nombre de disciples du prédicateur, qui en 1517 avait placardé ses 95 thèses contre Rome aux portes de l’église de Wittenberg, jetant ainsi les bases du protestantisme, a jadis été plus imposant. Amsterdam constituait alors un point de chute particulièrement prisé des Luthériens persécutés d’Allemagne et de Scandinavie. Au XVIIe siècle, on estime qu’un cinquième de la population de la ville était luthérienne.

D’hospice à musée

L’Église luthérienne comptait parmi ses fidèles non seulement des membres distingués de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales et de la Compagnie des Indes occidentales, mais également de nombreux indigents. C’est pour ces derniers que l’hospice de la Diaconie évangélique luthérienne a été construit. La commune ayant mis à disposition une partie vacante de l’expansion urbaine, le chantier a pu prendre de l’ampleur et les dimensions de l’hospice revues à la hausse.

En signe de reconnaissance, le maître d’œuvre Coenraad Hoeneker a doté la salle de l’église d’une «porte du bourgmestre» ouvragée, ornementée des armoiries de quatre familles de bourgmestres de l’époque, associées au cygne, symbole par excellence de la communauté luthérienne.

En 1769, les 500 premiers nécessiteux sont venus s’y installer. Hommes et femmes vivaient de manière séparée, et travaillaient respectivement en tant que menuisiers et couturières. Quelque temps plus tard, des orphelins y ont été également recueillis. Jusqu’en 1967, la maison d’accueil était exclusivement réservée aux membres de l’Église luthérienne. Après cette date, tout le monde y était bienvenu. Environ un demi-siècle plus tard, les dernières personnes âgées ont quitté l’hospice et la transformation en musée a pu commencer. La partie arrière du bâtiment a été convertie en hôtel de longue durée, dont les rendements sont reversés à la diaconie, et une partie au musée lui-même.

Il n’est pas rare qu’y séjournent les invités internationaux des institutions culturelles des alentours. C’était récemment le cas de la musicienne Ellen Reid, conviée par le musée Luther à composer dans l’église. Elle a ainsi pu faire usage de l’orgue, ainsi que des instruments historiques de la collection Geelvinck. Ces derniers sortent également de leur vitrine lors de la Bachweek (semaine Bach) ou de représentations d’étudiants du conservatoire. S’il est généralement nécessaire de se procurer des billets pour ce genre d’événements, le musée a gratuitement ouvert ses portes pour la récente initiative «déjeuner-rencontre entre habitants du quartier, étudiants et nouveaux résidents amstellodamois».

Les pages sombres de l’histoire

L’entraide, la charité et la solidarité sont autant de valeurs luthériennes qui imprègnent tant le lieu que la programmation du musée. Alors qu’on ne trouve qu’une seule image du Christ dans tout le bâtiment – contemplant depuis les cieux une copie du tableau de Rubens, La Conversion de Saul – le grand inspirateur est, quant à lui, omniprésent. Dans l’église, une place d’honneur a été réservée à un tableau représentant le procès de Worms, au cours duquel Luther a refusé de revenir sur ses critiques à l’égard du pape et a en conséquence été décrété hérétique par l’empereur Charles Quint.

La salle des régents, à droite de l’entrée, est également entièrement consacrée à Luther. Si son masque mortuaire et les moulages de ses mains donnent quelque peu la chair de poule, un grand tableau dépeint un peu plus loin le théologien comme un sympathique père de famille jouant du luth pour sa progéniture. Le chef-d’œuvre de cette pièce est un tableau de Ruysdael représentant la conversion de l’eunuque, chambellan de la reine d’Éthiopie. En choisissant cet épisode biblique issu des Actes des Apôtres, l’artiste souhaitait montrer que, loin d’être une religion exclusivement européenne, le christianisme a vocation à être universel.

Le musée ne passe cependant pas sous silence le fait que, au nom de ce même christianisme, des millions d’Africains ont été réduits en esclavage, vendus et tués – des crimes dont des Luthériens se sont également rendus coupables. Au contraire, ces pages sombres de l’histoire ont été abordées de façon exhaustive lors de l’exposition Églises et Esclavage, l’une des toutes premières expositions créées par le musée. À cette occasion, l’artiste Nelson Carillho a réalisé une œuvre qui donne des frissons d’effroi, désormais placée juste en dessous du Ruysdael: un personnage africain cloué au sol, son corps mutilé, une croix enfoncée dans la tête.

Escalier secret

Une telle prise de conscience contemporaine contraste nettement avec l’intérieur de la pièce, décorée à outrance. C’est ici que les intendants se retrouvaient pour régler les questions administratives et financières de l’hospice – ce qui constituait une raison suffisante pour munir la salle d’une double porte afin d’éviter tout risque d’écoute clandestine. Dans l’intimité de leur salle de réunion, les administrateurs se laissaient souvent aller à l’abus d’alcool. En cas de réel excès, un escalier secret menant directement au jardin leur permettait de sortir à l’abri des regards. Pour les habitants de l’hospice, en revanche, il existait une interdiction stricte de consommer de l’alcool, dont toute transgression était strictement sanctionnée.

Ce raccourci quelque peu hypocrite se trouve dans la pièce où était autrefois rangé le linge, et qui abrite aujourd’hui la collection d’argenterie. La dernière des trois pièces communicantes était réservée aux régentes responsables de la partie féminine de l’hospice. Le fait que cette pièce soit aussi vaste que la pièce réservée aux hommes en dit long sur l’égalitarisme au sein de la communauté luthérienne.

La maison d’accueil a d’ailleurs à une époque bénéficié d’une direction mixte, dont témoigne un grand portrait de groupe. Tout à gauche se tient Georgine Schwartze, la célèbre portraitiste et sœur de la non moins célèbre Thérèse Schwartze. Leur père, peintre lui aussi, est toujours resté dans l’ombre de ses filles, mais à l’automne prochain, le musée Luther prévoit de le mettre à l’honneur.

Expositions et thèmes de société

Le musée fait preuve d’un soin tout particulier à alterner entre des expositions consacrées à l’histoire de l’art et des présentations centrées sur des thèmes de société plus actuels. Parmi ces dernières, l’exposition Welkom in Nederland? (Bienvenue aux Pays-Bas?) s’est particulièrement distinguée. Elle racontait l’histoire de 789 Luthériens expulsés de Salzbourg en 1732, et qui, à l’invitation des États-Généraux, se sont rendus aux Pays-Bas. À leur arrivée, ils ont cependant envoyés dans un coin reculé de Zélande et abandonnés à leur sort. Il est facile d’établir des parallèles actuels avec l’accueil des demandeurs d’asile qui, pour des raisons de mauvaise volonté administrative, se voient contraints de dormir en plein air et de se soumettre à des procédures admnistratives sans fin.

Principalement composée d’objets historiques, l’exposition Welkom in Nederland? a toutefois été propulsée à un autre niveau par l’adjonction de khatas contemporains. Ces foulards multicolores ornés de vœux de bienvenue ont été confectionnés par le Rainbow Soulclub, un collectif de sans-abri, (anciens) toxicomanes et migrants sans-papiers. À l’issue de l’exposition, une partie de ces khatas a été incluse dans la collection permanente du musée. Celle-ci se compose d’œuvres historiques d’une part, mais est de plus régulièrement enrichie d’œuvres commanditées à des artistes contemporains.

Koen Taselaar a par exemple confectionné une nappe de la Dernière Cène à l’occasion du jour de l’Ascension 2024. Tout comme d’autres objets de la collection (tels les calices), cette œuvre n’a pas vocation à être conservée dans une vitrine ou à prendre la poussière dans une armoire, mais va bientôt voyager dans différentes églises luthériennes à travers le pays, où elle sera utilisée au cours des services religieux. Ainsi, même si la communauté luthérienne a aujourd’hui pratiquement disparu, le musée Luther réinsuffle de la vie à son histoire.

Site web du musée Luther

Edo Dijksterhuis

Edo Dijksterhuis

journaliste intéressé par les arts, le design, le cinéma et la littérature

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