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arts, société

Au musée «Tot Zover», la mort est avant tout culture vivante

Par Edo Dijksterhuis, traduit par Alice Mevis
7 novembre 2024 8 min. temps de lecture En mode musée

Un musée funéraire, ça ne parle pas directement à l’imagination. Pourtant, le musée Tot Zover à Amsterdam a su créer la surprise avec des expositions instructives qui incitent à la réflexion, touchent une corde sensible et font parfois même rire. Ici, les tabous n’ont pas leur place, et il y est aussi bien question d’un gâteau d’enterrement que de portraits post-mortem du XVIIe siècle ou de masques mortuaires.

Durant les derniers jours d’octobre, les fournées se comptent par centaines: les petits pains prenant des formes humaines sortent tout chauds du four pour orner les petits autels installés dans chaque foyer pour le Dias de muertos, ou Jour des Morts, aux côtés de la boisson favorite et du portrait de l’être cher disparu. C’est du moins le cas en Amérique latine, où la préparation et l’exposition de tels pan de muertos (pain des morts) est une coutume solidement ancrée. Aux Pays-Bas, c’est beaucoup moins répandu, «sauf si ça ne tenait qu’à la chaîne de supermarchés Albert Heijn», comme on peut le lire dans l’une des salles du musée Tot Zover. Juste en dessous, on y voit une publicité via laquelle l’enseigne tente d’inciter les clients à acheter des produits culinaires à haute teneur historique et culturelle à réaliser soi-même.

Un tel commentaire, non dépourvu d’ironie, est l’une des marques de fabrique de Tot Zover. Le musée s’intéresse de près à différents rituels funéraires du monde entier et en fournit des explications détaillées, mais il n’hésite pas non plus à les pimenter d’une boutade ou d’une observation critique. Ce ton a déjà surpris de nombreux visiteurs. Ceux-ci arrivent le plus souvent avec assez peu d’attentes –un musée sur la mort, qui plus est assez décentré par rapport au centre-ville– mais y restent habituellement plus d’une heure, ce qui est relativement long pour un si petit musée.

Ce manque d’expectative est en grande partie dû à l’absence de musées comparables. Tot Zover est le seul musée funéraire des Pays-Bas, et même à l’international, peu lui ressemblent. Le Museum für Sepulkralkultur en Allemagne, à Cassel, est l’une des rares exceptions et, sans surprise, un partenaire officiel de Tot Zover. Cette rareté est pourtant étrange, si l’on considère que ce musée traite finalement de quelque chose qui nous concerne tous: la mort, le deuil, les souvenirs.

Le musée fournit des explications détaillées sur différents rituels funéraires du monde entier, mais il n’hésite pas non plus à les pimenter d’une boutade ou d’une observation critique

Le point de départ pour Tot Zover a été fourni par Henk Kok, représentant en articles funéraires et spécialiste d’histoire funéraire. À la fin du siècle passé, sa collection privée a intégré une fondation et quelque temps plus tard, le cimetière De Nieuwe Ooster à Amsterdam a rendu un bâtiment disponible pour que la collection puisse à terme y être exposée. En 2004, l’historien de l’art et muséographe Guus Sluiter se joint au projet qui petit à petit prend forme. Trois ans plus tard, l’institution ouvre finalement ses portes.

Sur sa façade extérieure, le nom du musée, avec ses deux T en forme de croix, forme d’emblée un logo accrocheur. Le symbole par excellence de notre mortelle condition est contrebalancé par l’ouverture suggérée par le nom: Tot Zover, à bientôt. La mort n’a ici pas de caractère définitif: elle est plutôt perçue comme le début d’un processus de deuil, ponctué de rituels autour de la mémoire, du souvenir et de l’acceptation. À Tot Zover, la mort et tout ce qui l’entoure est synonyme de culture qui, elle, est bien vivante.

La programmation du musée montre à quel point celle-ci peut être abordée de diverses manières. Il y a des expositions dédiées aux fleurs utilisées aux enterrements, aux rituels autour de la mort d’un animal de compagnie, à la conception de cercueils et d’urnes funéraires et au rôle que la musique peut jouer lors d’un enterrement. Chaque perspective est abordée de manière sérieuse et approfondie, les tabous n’ont pas leur place.

De ce fait, il y a également déjà eu des présentations sur le cancer (Kwaadaardig Mooi, insidieusement beau), et même sur le suicide (De Vogelvanger, l’oiseleur). Tot Zover souhaite encourager le dialogue autour de la mort, non pas envisagée comme quelque chose de sombre et désespérant, mais comme une part essentielle de la vie. Ou comme le formule Rainer Maria Rilke dont on retrouve la citation sur le site du musée: «La mort blesse, mais elle nous élève en même temps vers une meilleure compréhension de nous-mêmes».

Son succès, Tot Zover le doit principalement à la légèreté avec laquelle il aborde son domaine d’intérêt. La dernière exposition, Een lekkere dood (Une mort savoureuse, 2023-2024) sur le rôle que joue la nourriture et les boissons autour d’un décès, en a été bon exemple. On y trouvait des photos de verres de vin que levés autour du cercueil pour porter un dernier toast au défunt, ou encore un pot de la sauce pickles préférée d’un grand-père, qui a été placée dans la tombe de ce dernier.

Le désormais célèbre White Funeral Meal, grâce auquel la designer culinaire Marije Vogelzang a obtenu son diplôme à la Design Academy en 1999, a fait, comme toujours, grande impression avec ses petits bols en porcelaine dans lesquels sont servis des aliments d’un blanc éclatant. La vidéo du Studio Lernert & Sander était tout bonnement hilarante. Elle met en scène le duo, entouré de sacs de farine et d’une palette d’œufs, en train de fabriquer un gâteau d’enterrement géant dans un four crématoire, avec un cercueil en guise de moule.

Ce genre d’œuvres incite plus facilement les gens à parler de choses qu’ils ont en général tendance à refouler. Tot Zover interpelle de plus activement ses visiteurs, par exemple en leur demandant quel serait leur souhait pour un dernier repas dans l’exposition Une mort savoureuse. L’un répond laconiquement «frites belges» sur un petit papier, un autre donne la liste d’un diner cinq services, un autre encore mentionne «chili préparé par maman».

L’exposition en cours, Doodleuk (mortellement drôle) prend une veine humoristique avec le travail du bédéiste Peter de Wit et son fameux personnage du cynique docteur Sigmund. En plus des dessins rassemblés dans son livre du même titre, Peter de Wit y présente plus de cinquante nouvelles bandes dessinées. Si le thème de l’exposition est la mort comme source d’humour, les dessins n’en sont pas moins sensibles, affectueux et même parfois poétiques.

Tot Zover travaille beaucoup en collaboration avec des artistes et designers contemporains, ce qui livre des présentations assez étonnantes. C’est ainsi que la réalisatrice Vanesa Abajo Perez a produit une installation qui met en scène des patients en phase terminale apprenant à appréhender le monde depuis une autre perspective que celle de leur corps défaillant. Sarah Grothus a quant à elle transformé les espaces du musée en un mystérieux entre-deux-mondes où esprits, squelettes et autres êtres hybrides errent librement. L’exposition d’herman de vries, enfin, n’a certes pas été spécialement conçue pour le musée, mais de nombreux visiteurs ayant pu admirer sa version originale lors de la Biennale de Venise y ont trouvé les installations méditatives composées de bâtons et de pierres plus à leur place dans un tel musée.

À côté des expositions temporaires, Tot Zover dispose aussi d’une installation permanente. Une grande partie des 300 objets que compte la collection y est exposée, exception faite des calèches, bien trop grandes pour les modestes dimensions des salles. À leur place sont exposées des miniatures, aux côtés de plusieurs générations de corbillards (le musée en possède la plus grande collection d’Europe…).

Les porteurs de cercueils et autres accessoires connexes brillent par leur absence. On s’attendrait pourtant à les retrouver dans un musée qui est somme toute en grande partie financé par les pompes funèbres. L’accent est plutôt mis sur l’expérience en tant que client de services funéraires. Dans ce cadre, une attention toute particulière est consacrée aux différentes pratiques culturelles en usage autour de la mort. On trouve par exemple une série de portraits photos de 180 Amstellodamois –soit un représentant par nationalité présente dans la ville– qui ont été interviewés au sujet de leur interprétation de la fin de vie.

Le musée présente une haute densité d’information, via des panneaux explicatifs et des fragments audio sous forme de code QR, mais l’offre est si variée qu’on ne se lasse ni ne s’ennuie facilement. Les pièces maitresses de la collection sont gardées pour la fin: dans la dernière salle au fond à gauche, on peut admirer une partie de l’impressionnante collection de mèches de cheveux. Il s’agit d’un phénomène issu des rituels de deuil de l’époque romantique qui consiste en la fabrication de médaillons ou de petits tableaux à partir de cheveux de personnes défuntes. Tot Zover a également en sa possession un bouquet en trois dimensions exceptionnellement grand, dont les pétales sont formés par des mèches de cheveux et les tiges constituées de cheveux tressés.

Dans cette même salle se trouve une autre œuvre phare: un portrait d’enfant peint par Nicolaas Maes (1634-1693), acquis en 2021. Lors de sa restauration, il s’est avéré que les yeux à demi fermés et le teint rosé de l’enfant étaient un ajout postérieur, probablement pour pouvoir vendre plus facilement le tableau. Mais cet enfant était déjà mort au moment où le tableau a été peint. Le fait qu’il s’agisse d’un tableau post-mortem –la couronne de fleurs ceignant la tête de l’enfant en était un solide indice– a en effet été confirmé.

Grâce à son travail spécialisé et à l’exploitation d’un sujet peu traité, Tot Zover est parvenu à s’imposer en tant qu’expert dans le domaine de la culture funéraire. Le savoir acquis est volontiers partagé avec tous les potentiels intéressés, et une plateforme a même été créée afin de mettre en relation les scientifiques qui s’intéressent au sujet à partir d’angles et de perspectives différentes: De Funeraire Academie, l’Académie Funéraire. On a du mal à imaginer que le musée accomplisse tout cela avec un effectif d’à peine cinq personnes et des moyens limités. Mais cela n’empêche en rien Tot Zover de concevoir des plans ambitieux. Il est par exemple en train de concocter une suite à Afterlife, le grand événement intérieur et extérieur de 2011.

 

Site web de Tot Zover

Edo Dijksterhuis

Edo Dijksterhuis

journaliste intéressé par les arts, le design, le cinéma et la littérature

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