Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Avec «Benedetta», Paul Verhoeven confirme qu'il est bien plus qu'un cinéaste sulfureux
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Avec «Benedetta», Paul Verhoeven confirme qu'il est bien plus qu'un cinéaste sulfureux

Connu notamment pour ses blockbusters tels que Robocop, Showgirls et Basic Instinct, le cinéaste néerlandais Paul Verhoeven revient avec Benedetta, un film basé sur l’histoire vraie d’une nonne du XVIIe siècle, mystique et lesbienne. Le film fait partie de la compétition officielle au Festival de Cannes.

Il suffit de quelques images de Benedetta, en compétition au Festival de Cannes 2021, pour savoir qu’on se trouve dans un film de Paul Verhoeven. Un récit mené au pas de charge, sans trop de souci pour la subtilité et pour la psychologie, et un goût prononcé pour le sexe et la violence; ces mêmes ingrédients qui ont valu une réputation de cinéaste sulfureux à ce «Hollandais violent».

Il s’agit du deuxième film français de Paul Verhoeven, après Elle (2016) avec Isabelle Huppert, déjà présenté au Festival de Cannes. Au départ, Benedetta devait sortir il y a deux ans déjà, mais des soucis de santé du réalisateur ont empêché sa finition. L’année dernière, en raison de la crise sanitaire, le producteur et le distributeur ont préféré attendre encore un an, au lieu de sortir le film en catimini.

L’histoire de Benedetta, basée sur des faits véridiques, est celle d’une nonne dans l’Italie du début du XVIIe siècle, Benedetta Carlini, qui vit une relation homosexuelle au sein de son couvent, tout en proclamant que, sans elle, toute la population de la ville de Pescia périrait de l’épidémie de la peste.

Ce n’est pas la première fois que Verhoeven cherche son inspiration cinématographique dans l’histoire. On se souvient de sa fresque La Chair et le Sang (1985) avec le regretté Rutger Hauer, déjà située en Italie – quoique tournée en Espagne. Ce film s’était librement inspiré du grand livre de l’historien néerlandais Johan Huizinga L’Automne du Moyen Âge (1919), qui décrit le difficile passage de Moyen Âge à la Renaissance, une période de crise profonde marquée par le pessimisme et la violence. Verhoeven, et son scénariste attitré de l’époque Gerard Soeteman, avaient traduit cette atmosphère par un récit extrêmement noir, sans aucun personnage empathique ou sympathique.

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Pour Benedetta, le même Soeteman lui avait passé un livre de l’historienne américaine Judith C. Brown, Immodest Acts. The life of a lesbian nun in Renaissance Italy (1987), mais le réalisateur a finalement choisi l’Américain David Birke, déjà scénariste d’Elle, pour l’adaptation.

Le livre de Brown a été critiqué par plusieurs historiens car la notion «lesbienne» est un anachronisme pour l’époque. Benedetta était alors considérée comme une «nonne possédée» ou «une mystique trompeuse». Pour d’autres en revanche, l’étude de Judith Brown était précurseure dans la redécouverte de l'histoire des femmes et de la sexualité. Il paraît en tout cas évident que le comportement transgressif et iconoclaste de Benedetta a fasciné Verhoeven. La vie de Benedetta est en effet le signe d’une crise profonde que traverse l’Église catholique, incapable de trouver une réponse à la peste qui sévit en Italie.

Verhoeven s’interroge dans le film sur la nature même de la foi

Mais résumer le film à un simple réquisitoire contre l’Église, ce qu’ont fait plusieurs critiques français, serait faire injustice à la démarche de Verhoeven. C’est un provocateur, certes, il n’a pas le moindre respect pour l'Église catholique, mais son véritable dessein avec ce film est bien plus complexe. D’abord parce que Benedetta elle-même est un personnage ambigu, voire inquiétant. Elle est manipulatrice et mystérieuse comme Sharon Stone dans Basic Instinct (1992), ou comme Renée Soutendijk dans Le Quatrième homme (1983). Verhoeven, auteur d’un livre sur le personnage historique de Jésus – livre qu’il a promis d’adapter au cinéma – s’interroge dans le film sur la nature même de la foi, sujet qui a préoccupé le réalisateur toute sa vie. Aujourd’hui agnostique, il a connu une expérience mystique, un thème que nous retrouvons dans son chef-d'œuvre absolu Spetters (1981).

Dans la structure du Benedetta, cette complexité et cette ambiguïté se traduisent notamment par plusieurs retournements de situation, qui font que le spectateur s’interroge, vacille, se perd, tout en restant scotché à son siège. Benedetta est tout à la fois drôle, grave, moqueur et terrible. À 82 ans, Paul Verhoeven n’a rien perdu de son mordant; il dérange, voire choque, mais nous fait réfléchir, tout en montrant, une fois de plus, la pleine possession de ses moyens de cinéaste.

En somme, pour bien aborder ce film – dont on ne prétend pas donner ici la clef, si tant est qu'elle existe –, il est essentiel de le replacer dans la lignée d’une œuvre abondante et polysémique, fondamentalement marquée par le thème de l'ambiguïté humaine.

La Cinémathèque française à Paris consacre actuellement une grande rétrospective à Paul Verhoeven, jusqu’au 1er août.

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