Les plats pays continuent leur exploration des lieux culturels de part et d’autre de la frontière. Pour cette nouvelle étape, arrêt à Abele, village justement frontalier, où depuis près de trois décennies, une galerie, De Queeste Art, fait partie du paysage local tout en s’offrant un rayonnement international.
Autant l’avouer tout de suite: ce n’est pas exactement l’endroit où on s’attend à trouver une galerie d’art. Avec 640 habitants, Abele (Poperinghe) est posée dans la campagne flamande, à la frontière franco-belge. Plutôt un lieu où on pense trouver un estaminet pour faire une pause sur le chemin d’une randonnée, quitte à sombrer dans le cliché… «C’est vrai que c’est un endroit un peu insolite pour une galerie, reconnait Theun Vonckx, avenant quadragénaire aux manettes d’une sorte d’exception culturelle. Ici, c’est un bled. Mais ça fait près de 30 ans que ça dure!»
© Nicolas Montard
Ce pari est à mettre à l’actif du père de Theun, Dirk, qui lance d’abord une galerie, sans murs, puis dans un petit local de Locre. Rapidement à l’étroit, il a l’occasion, avec son épouse Monique, de reprendre l’ancien cloître d’Abele. D’où l’aspect finalement peu conventionnel de De Queeste Art dans le monde des galeries. Ici, on pénètre bien dans une maison, avec plusieurs petites pièces sur deux niveaux. «Ce sont les anciennes chambres. Cette disposition permet de confronter différents artistes et univers ce qui est plus difficile dans un espace sans murs».
Une galerie internationale sur la frontière franco-belge
Et des artistes, De Queeste Art en présente régulièrement. Avec cinq à six expositions par an, la galerie a un fichier d’une cinquantaine d’artistes, dont une vingtaine reviennent régulièrement. Quelques Belges (Isidoor Goddeeris, Evelien Hiele, Frans Masereel, Jules Schmalzigaug, Vera Vermeersch, Godfried Vervisch…), quelques Français (Eric Monbel, Eddie Panier, Marc Ronet, Eve Servent… ) et surtout une flopée d’artistes internationaux (Steph Goodger, Kate McCrickard, Paula Rego, Marcelle Hanselaar, George Grosz, Max Beckmann, Otto Dix, Frank Auerbach…). La galerie est spécialisée dans l’art contemporain plutôt figuratif et expressionniste, mais présente parfois des œuvres du XIXe siècle.
© Peter Stuijk
L’action de la galerie se situe aussi hors les murs. «Nous avons de nombreux partenariats avec des musées, des centres culturels», reprend Theun Vonckx qui a rejoint son père, désormais à la retraite, après des études en langues et cultures africaines.
© Nicolas Montard
Bozar à Bruxelles, musée De Reede à Anvers, le musée d’Art contemporain d’Anvers, mais aussi Pitzhanger Manor & Gallery à Londres, font partie des établissements avec lesquels la galerie travaille. Parfois, des projets plus inhabituels débouchent sur une collaboration. Ainsi, il y a quelques années, de fil en aiguille, Theun s’est retrouvé cheville ouvrière d’une exposition autour de photos de la Commune de Paris pour le Grand Curtius à Liège. Il mène aussi des projets avec des hôpitaux, des entreprises, des communes, etc.
Comme une famille
Mais c’est bien à Abele
que le public est au rendez-vous depuis près de trois décennies. Il vient de
Bruxelles, Louvain, Anvers, des Pays-Bas aussi durant l’été, de France
évidemment, même si là, ça dépend plus de la nature des expositions. Ce public,
comme les artistes, doit entrer en symbiose avec la philosophie des lieux. De
Queeste Art est avant tout une grande famille.
© Peter Stuijk
Theun n’expose que des gens avec qui il a un feeling, et les visiteurs entrent dans une galerie-maison où on peut aussi prendre le temps de partager un café. «Quand nous avons des personnes qui viennent de Louvain, nous commençons par discuter, de tout, de rien, après ils peuvent découvrir les expositions… Ici, contrairement à des galeries urbaines, les visiteurs restent un peu de temps, parfois une heure. Venir à De Queeste Art fait partie d’un parcours de visite dans la région, qui mène parfois à Cassel, à la Brasserie St.Bernardus ou dans les monts de Flandre.»
© Peter Stuijk
Cette relation de proximité avec artistes et public va même plus loin: il est arrivé que des visiteurs proposent de futurs artistes à exposer. «On est vraiment dans l’échange. Certes, nous sommes une galerie commerciale, nous devons vivre, mais la discussion est primordiale».
Par sa position frontalière et son objet, De Queeste – soit la quête en néerlandais- est forcément imbriquée dans l’Eurorégion. Mais paradoxalement, elle était finalement plus en lien avec l’Angleterre que la France… avant le Brexit. «Depuis, c’est plus compliqué de transporter des œuvres d’art là-bas. Nous sommes plus en Espagne désormais. Avec la France, nous avons eu des projets, notamment via la Biennale de Beauvoorde il y quelques années, mais ce n’est pas assez.»
© Nicolas Montard
Comme chez nombre de nos interlocuteurs de la série «Passage», les strates décisionnaires différentes selon les pays jouent dans cette absence de collaboration, tout comme les changements réguliers de personnels politiques qui remplacent les directeurs de culture et ainsi de suite. Le paradoxe d’une galerie à deux cents mètres de la frontière, alors que Theun l’affiche clairement: s’il vit à Bruxelles la semaine, les week-ends quand il est à De Queeste Art, l’Hexagone est une destination naturelle pour ses achats ou ses sorties.