Bavay abrite le plus vaste forum antique découvert en France
Entre Valenciennes et Maubeuge, la petite ville de Bavay abrite le plus vaste forum antique découvert en France. Fermé pour travaux, celui-ci rouvrira ses portes au public le 14 mai 2022.
© Nicolas Montard
Plutôt restaurant Le Nervien, auto-école Le Forum ou la boulangerie La Romaine? Quand on se balade dans le petit centre-ville de Bavay, difficile de manquer la référence à un passé lointain. D’ailleurs, au détour de l’église, l’atout XXL du bourg se dévoile: un immense forum antique. Les trois parties sont encore bien délimitées. La basilique, centre de l’activité judiciaire et politique est au premier plan. Puis vient l’esplanade centrale, ex-cœur civil autrefois bordé de commerces et d’administrations. Au fond se trouvent des élévations cachées sous une sorte d’immense préau contemporain: il s’agit de l’ancienne aire sacrée, où l’on peut encore voir les restes du magnifique cryptoportique, des arches souterraines de 4 mètres de haut qui soutenaient à l’époque les portiques. L’ensemble parait vaste. Pas étonnant: avec 240 mètres sur 110, Bavay est le plus grand forum découvert en France et se situe parmi les plus imposants dans l’Occident romain.
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Au croisement de voies romaines
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Bavay. Entre Valenciennes et Maubeuge, cette cité est aujourd’hui modeste avec ses 3300 habitants. Mais il y a deux mille ans, elle a eu un rôle majeur. C’était au Ier siècle. Situé entre les rives de la Sambre et de l’Escaut, le territoire des Nerviens englobait les actuelles Bruxelles et Cambrai, et s’est retrouvé incorporé au sein de la Gaule Romaine. Quelques décennies après la soumission des Gaulois, l’empereur Auguste décide de réorganiser le territoire avec une soixantaine de chefs-lieux. Des villes sont parfois créées ex-nihilo, comme Bagacum. «Nous ne connaissons pas de chef-lieu antérieur pour les Nerviens, indique Pierre-Antoine Lamy, directeur du forum antique de Bavay. Mais Bagacum se trouve au carrefour de sept voies romaines, dont celle entre Cologne et Boulogne-sur-Mer.» Un emplacement stratégique symbolisé dans le village actuel par une colonne, située en face de la mairie. Chacune de ses faces indique le nom de la ville à laquelle la voie romaine aboutit. Certains de ces axes, d’interminables lignes droites, sont d’ailleurs aujourd’hui empruntés par les automobilistes dans la campagne nordiste. Ils portent souvent le nom de chaussée Brunehaut.
Preuve de son importance dans le dispositif romain, Bavay est répertoriée sur la Table de Peutinger, ce document majeur de l’histoire de la cartographie, indiquant les routes de l’Empire romain. Il est dès lors logique qu’on y ait construit un forum deux générations après la fondation de la ville. Cette vitrine de la vie de Rome à Bavay est monumentale: le forum est l’un des plus grands de tout l’Empire. En réalité, il y en a eu deux. Dans les années 160, un incendie ravage les lieux. Le second sera reconstruit vingt à trente ans plus tard sur les fondations du premier. «Cela montre que nous avons ici un pouvoir local et aristocrate suffisamment fort et important pour décider d’un programme de construction impérial.»
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Bagacum est alors à son apogée. Cela ne durera pas. La cité décline à partir du IIIe siècle, quand les invasions barbares déferlent sur l’Empire. Ici, ce sont les Alamans, qui fonctionnent par raids. On construit alors des fortifications s’appuyant sur le forum. Avec huit mètres de haut, une partie d’entre elles est encore visible aujourd’hui et le Forum antique se plait à dire qu’elle est deux fois supérieure au célèbre mur d’Hadrien en Angleterre! Vers le IVe-Ve siècle, le transfert du diocèse à Cambrai signifie certainement que Bavay perd son statut de chef-lieu. Peu à peu, son passé glorieux sombre dans l’oubli, bien qu’on en ait toujours conscience au fil des siècles, une partie des murailles restant visible: «Les chroniques nous parlent de la visite de la comtesse du Hainaut au XIVe siècle, dans les ruines d’une ville qui serait fondée par les descendants de Priam, roi de Troie», reprend Pierre-Antoine Lamy. Des constructions s’élèvent sur les lieux: sur la partie basilique, un couvent, côté nord, des maisons et des jardins. Dans les caves dort le cryptoportique.
À la recherche du bel objet… et du faux!
Il faudra attendre le XVIIIe mais surtout le XIXe siècle pour que le passé antique de Bavay resurgisse. En 1716, les pères de l’Oratoire découvrent une inscription mentionnant le passage de Tibère, quelques chapiteaux et fragments de dallage. En 1792, un trépied de Bacchus est retrouvé. Bavay devient connue des érudits, antiquaires, amateurs éclairés, qui viennent fouiller et humer un air antique à la recherche du bel objet. La description d’Henri Derbigny, antiquaire venu de Douai, en 1833, est révélatrice de l’ambiance: «La voilà devant nous cette ville qui fut peut-être la contemporaine de Troie et la rivale de Rome! Bavai, devenue l’une des plus importantes cités des Gaules asservies à la domination romaine, Bavai où viennent aboutir ces grandes et merveilleuses chaussées percées à travers les immenses forêts de la Gaule et de la Germanie et par où César donne rendez-vous, en ligne droite et à vol d’aigle, à toutes les légions qu’il commande… réduite aujourd’hui à la dimension d’un bourg de troisième ordre1.»
En devenant un des pôles d’attraction d’une archéologie encore balbutiante, l’ancienne Bagacum se transforme aussi… en petite plaque tournante du faux. À l’instar de ce qui existait dans la Somme où des ouvriers taillaient grossièrement de faux silex préhistoriques pour gagner quelques sous auprès de collectionneurs crédules, sur cette terre où chaque famille a des vestiges à vendre, des petits malins en profitent pour proposer quelques vieilleries sans valeur… D’autres en font une véritable activité.
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L’une de ces affaires est revenue récemment sous les feux de l’actualité. En novembre 1834, un certain Hector Bochard prétend avoir trouvé une urne en bronze à patine vert, représentant un homme blessé accompagné d’un serviteur. Elle contient des poussières et des fragments d’os. Grâce à la titulature, elle avait été attribuée à Hirtius, lieutenant et ami de César, auteur d’un volume de la Guerre des Gaules. Une sacrée trouvaille… sauf que rapidement, une cohorte de doutes apparait. Il n’y a aucune raison pour que les restes d’Hirtius, décédé à Modène, se trouvent dans le nord de la Gaule… Une représentation presque christique, une erreur de transcription dans les chiffres romains, une différence de qualité entre le bas-relief et les végétaux du couvercle, invitent aussi à la prudence. En 1869, après avoir changé plusieurs fois de mains, l’urne disparaît de la circulation. On sait désormais que son prétendu inventeur était spécialisé dans le commerce de contrefaçons. Il avait même réussi à tromper un préfet. Cette urne a fait sa réapparition en 2019 chez un agriculteur retraité et a été rachetée l’an dernier par le forum antique qui souhaite dorénavant l’exposer! En tant que faux évidemment.
Des trésors encore à découvrir
Car l’aventure de Bavay ne s’arrête pas à la découverte des sites au XIXe siècle. Dès 1906, un premier musée voit le jour sous l’impulsion de Maurice Henault, un archiviste de la ville de Valenciennes, qui permet d’éviter la dispersion des objets y ayant été trouvés. Les bombardements de 1940 sont paradoxalement une étape positive pour les ruines antiques: on décide de ne plus reconstruire sur l’emplacement du forum qui devient ainsi essentiellement consacré aux fouilles. De quoi excaver les plus grands vestiges, dont le fameux cryptoportique. Mais aussi de véritables trésors, comme en 1969, celui des Bronzes, un ensemble de plus de 300 pièces constitué de statuettes de divinités, d’objets du quotidien, d’ornements décoratifs, probablement enfoui au tournant des IIIe et IVe siècles. L’une des pièces maîtresses du musée devenu propriété du Département du Nord, que l’on peut visiter en plus des ruines.
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Fin de l’histoire? Pas tout à fait. Alors qu’on constate une appétence des Français pour l’archéologie (40 000 visiteurs en 2019 contre 25 000 en 2010 pour Bavay), le forum s’est doté d’une couverture partielle au-dessus de ses vestiges qui s’abimaient à la lumière du jour et aux intempéries. 6400 mètres carrés de préau géant… qui servent aussi de scénographie permettant de restituer l’ambiance de pénombre des lieux comme leur hauteur originelle. Après quelques mois de travaux et de fermeture, le forum antique ouvrira ainsi à nouveau ses portes le 14 mai. Et n’a certainement pas fini de révéler tous ses secrets. Car comme dans tous les sites archéologiques majeurs, une importante réserve non fouillée a été laissée à disposition des archéologues du futur. Ici dorment certainement encore des trésors qui prolongeront la grande histoire gallo-romaine de Bagacum.