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arts, société

Bruxelles Ma Belle: la diversité sur scène

27 avril 2022 5 min. temps de lecture Bruxelles au pluriel

Mohamed Ouachen joue un rôle de premier plan dans les tentatives d’accroître la diversité sur et autour de la scène culturelle bruxelloise. Ses propos trahissent à la fois une certaine impatience et une grande volonté de remettre en cause une réalité imprégnée d’idées et de structures traditionnelles.

Je m’appelle Mohamed Ouachen, je suis d’origine marocaine (sud du Maroc), je suis né wallon, issu d’une troupe de théâtre néerlandophone bruxelloise (Dito’Dito) où j’ai commencé ma carrière de comédien, et j’ai grandi dans un quartier populaire.

J’ai passé mon enfance à Laeken (nord de Bruxelles), rue de Molenbeek, où la culture italienne, espagnole, portugaise, chinoise, vietnamienne, grecque, roumaine, turque, algérienne, tunisienne, française, … animait mon environnement. Aujourd’hui je suis un peu de tout ça. Je suis cuisine, musique, poésie, philosophie, pensée, dans une ville où les communautés se rencontrent et surtout se frottent les unes aux autres. De nouvelles couleurs peignent cette ville que j’aime.

Accepter la diversité, c’est accepter de perdre une partie de son identité

C’est à travers cette acceptation d’ouverture qu’il y a transformation. J’en fais l’expérience chaque jour en questionnant mes réflexes qui sont le reflet de mon histoire personnelle. Se dépasser pour transcender vers l’universel.

Sans que nous en soyons conscients, notre histoire collective influence ce que nous devenons collectivement. La diversité c’est la boîte de Pandore pour celles et ceux qui ont peur de se perdre et d’oublier une partie de leur identité, mais, pour moi, Bruxelles, c’est Bruxelles Ma Belle. Oui, cette ville est si belle que je veux en être. Je me laisse vibrer dans ses bras pour qu’elle me porte et j’espère être une de ses étoiles parmi tant d’autres.

Une culture bruxelloise inclusive: un exercice de tous les jours

Et si les institutions culturelles décidaient aujourd’hui de s’intégrer, corps et âme, dans cette ville? Qu’elles soient à son image! Elles feront briller nos ciels communs.

Quand on parcourt une ville, on peut se sentir «faisant partie» de cette ville ou juste être «content d’y vivre» grâce à sa diversité culturelle. Bruxelles est, effectivement, la ville d’Europe où résident le plus de nationalités. Elle est le laboratoire d’une ville modèle qui manque, malheureusement, de bonnes pratiques.

Accepter la diversité, c’est remettre en question son rapport à l’autre considéré comme un corps étranger à soi. On est le résultat de son histoire. Grandir dans un environnement favorable rendra difficile la connexion avec le public défavorisé. On est le résultat de son mode de vie. Dis-moi qui tu es, je te dirai ce que tu feras.

Accepter la diversité, c’est accepter de sacrifier une partie de son identité, et sacrifier une partie de son identité permet d’engager la lutte contre les inégalités. Laissez ensuite la nature de l’humain, dans cette perspective, illuminer ces fameuses «MAISONS» (théâtres) d’expressions artistiques, aujourd’hui trop repliées sur elles-mêmes. En somme, une pratique de l’art comme un moyen politique de penser et d’engendrer une utopie nouvelle. Repolitiser ces lieux pour qu’ils puissent disputer, avec conviction, les hégémonies en place et contribuer à l’invention d’un nouveau monde basé sur l’égalité.

Je crois qu’être à la tête d’un lieu culturel c’est faire l’expérience de vivre une «ville dans la ville» avec toutes ses composantes. La diversité au sein d’une institution culturelle fera de ce lieu un lieu pluriel où toute la variété de la société sera représentée.

Il faut du courage pour faire d’un lieu un espace commun, agréable, libre, égalitaire et fraternel

Aujourd’hui, malgré les bonnes intentions et multiples tentatives, nous voyons bien que ces lieux ont peine à attirer un public divers. Il est plus qu’urgent que la culture dominante parvienne véritablement à saisir la richesse et la vitalité des propositions artistiques actuelles dans ces fameuses «MAISONS» qui ont hérité de codes culturels parfois dépassés.

C’est la faute à personne, mais c’est de notre responsabilité. Nous sommes les enfants de l’histoire que nous devons, à la lumière de notre contexte, questionner. Je n’accuse donc pas, j’interpelle.

J’interpelle les «MAISONS», je les somme de susciter le débat sur les inégalités sociales, économiques et culturelles. Je somme les «MAISONS» de sortir du cloisonnement «privilège blanc» et de rendre visibles les personnes «de couleur», non-blanches, depuis le conseil d’administration jusqu’à la scène. Je somme les «MAISONS» de faire leur introspection à la lumière des synergies qui font culture, sous le radar, afin de discuter et questionner, ensemble, les hégémonies du monde, sur le radar. Je somme les «MAISONS» d’être un toit pour l’émoi des artistes qui veulent vivre leur «ville dans la ville» aujourd’hui et y faire coexister le pour et le contre, la cohérence et l’incohérence, l’excellence et la fragilité. J’interpelle les «MAISONS» pour qu’elles soient un lieu culturel accessible à toutes et tous sans distinction aucune, de genre, d’origine, de couleur de peau, de langue, de religion,… («Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité» – Déclaration universelle des droits de l’homme).

La culture, ces derniers temps, a été très peu mise en valeur. Il a fallu un ras-le-bol pour que sa voix soit entendue. J’espère tellement que la même intensité et la même force seront mises au service de la voix des sans-voix. Ne nous reposons pas sur nos acquis. Il a fallu de longues luttes pour conquérir les droits et libertés dont nous jouissons aujourd’hui. La lutte pour plus d’égalité doit être le combat qui nous rassemble toutes et tous. Et je dirais surtout la lutte pour l’accessibilité des créations artistiques et la visibilité des personnes «de couleur».

Soyons vigilants, car la génération qui arrive est complètement déconnectée des
«MAISONS» et hyperconnectée sur le web. Les jeunes qui arrivent ne demanderont pas, ils et elles se serviront.

L’expérience de la fraternité

Brasser une activité loin du web, c’est ce qui me semble la plus belle expérience pour la cohésion sociale. J’en ai fait l’expérience à travers le projet BrassArt Digitaal Café, sis 28, place Communale à Molenbeek, un bar où chaque événement est inspiré par ceux et celles qui le fréquentent. En une année, plus de 280 rencontres culturelles y ont été organisées: concerts, spectacles de théâtre, projections, rencontres et débats. Des personnes de tous âges, issues de tous milieux sociaux, d’origines et de cultures différentes s’y sont rencontrées. Un espace dont chacun et chacune ont fait leur lieu, leur maison. Sans viser l’excellence, qui se veut exclusive, mais en recherchant une expression inclusive, universelle et humaniste.

Il faut du courage pour oser s’ouvrir à ce qui nous est inconnu, pour s’offrir l’occasion de se transformer vers une nouvelle vision et de changer de prisme, pour faire d’un lieu un espace commun, agréable, libre, égalitaire et fraternel.

Oser créer un lieu avec une vision de fond ouverte a débouché sur une forme où l’on peut facilement s’identifier, un peu plus. Un lieu où l’on peut apporter sa propre identité en acceptant de se frotter à d’autres identités et de laisser la magie de la transformation s’opérer. Faites-en l’expérience avec fraternité. Bruxelles deviendra ce que nous décidons, collectivement, d’être.

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Mohamed Ouachen

acteur - metteur en scène - fondateur de la plateforme Diversités sur scènes

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