Bruxelles sous tous les angles: le «Brussels Studies Institute»
Depuis dix ans déjà, le Brussels Studies Institute explore des questions et des thématiques sociétales liées à la Région de Bruxelles-Capitale, à partir d’une perspective interdisciplinaire, interuniversitaire et intercommunautaire unique en Belgique. Il contribue ainsi non seulement de manière significative à la connaissance scientifique sur Bruxelles, mais a également un réel impact sur la politique locale.
De l’organisation d’une conférence-déjeuner sur les dessous de l’économie bruxelloise à une étude sur les équipements et les besoins des personnes porteuses d’un handicap, en passant par une enquête réalisée auprès des visiteurs du bois de la Cambre pour savoir ce qu’ils pensent de la présence de voitures dans le parc: le Brussels Studies Institute est peut-être encore peu connu du grand public, mais il est présent sur tous les fronts.
Le Brussels Studies Institute, ou BSI, est une plateforme interuniversitaire bilingue de recherche sur Bruxelles. «Notre objectif est de rassembler en un seul réseau tous les scientifiques dont la recherche porte sur la capitale», explique Simon Boone, directeur du BSI depuis 2019. «Lorsque les pouvoirs publics ou des partenaires privés souhaitent mener une étude sur des problématiques ou des thèmes spécifiques liés à la région bruxelloise, nous nous occupons de mettre les experts en contact les uns avec les autres. Il s’agit principalement de recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales, depuis l’urbanisme et la géographie jusqu’à l’histoire, la sociologie ou l’économie.»
Trois mots-clés
Trois aspects principaux caractérisent le BSI. «Nous travaillons de manière interdisciplinaire: nous partons du principe que les problématiques liées à la ville de Bruxelles sont par nature complexes et qu’il est donc généralement nécessaire de faire dialoguer plusieurs disciplines scientifiques pour les cerner au mieux», déclare Boone. «Nous pouvons par exemple combiner la sociologie et l’urbanisme, ou la géographie et l’économie, afin de mieux comprendre l’implantation et le développement de divers types d’activités dans les différents quartiers de la ville».
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«Le caractère interuniversitaire du BSI est le deuxième aspect le plus important: nous travaillons toujours systématiquement avec des personnes provenant de différentes universités. Et enfin, fait tout particulièrement important dans le cas de Bruxelles, nous essayons de travailler autant que possible de manière intercommunautaire. En règle générale, nous nous efforçons donc de faire collaborer des chercheurs d’universités francophones et néerlandophones, partant du principe que, pour comprendre Bruxelles, il faut être capable d’adopter la perspective tant des néerlandophones que des francophones».
Dans le paysage belge, cette approche reste assez unique. Le BSI est financé par Innoviris, l’agence pour l’innovation de la Région bruxelloise, pour qui, contrairement à ce qui se passe en Communauté flamande et en Fédération Wallonie-Bruxelles, le critère de la langue ne rentre pas en ligne de compte au moment d’accorder un financement.
Dans le paysage belge, l'approche du BSI reste assez unique
«Au sein du BSI, nous organisons un échange permanent entre des personnes de diverses universités autour de thématiques proprement bruxelloises», explique Boone. «Au sein du contexte académique bruxellois, les difficultés communautaires sont totalement inexistantes: durant les réunions, par exemple, chacun est libre de parler sa propre langue. Une fois que vous y travaillez, vous vous habituez en fait très rapidement à ce mode de fonctionnement. Mais cela m’a tout de même surpris lorsque je suis arrivé de Gand à Bruxelles, après avoir obtenu mon doctorat en sociologie à l’Universiteit Gent».
Trois piliers
Le BSI est né des suites de la tenue, à la veille d’élections régionales, des États-Généraux de Bruxelles en 2008-2009. Une centaine de chercheurs des trois universités bruxelloises se sont alors réunis avec la société civile pour dresser un bilan sur environ seize thématiques bruxelloises, allant de la jeunesse à la culture en passant par le développement institutionnel et les inégalités au sein de la ville.
Les principaux moteurs de cette rencontre au cours des premiers jours étaient l’historien Serge Jaumain (Université Libre de Bruxelles ou ULB), l’urbaniste Eric Corijn (Vrije Universiteit Brussel ou VUB) et le sociologue et expert en mobilité Michel Hubert (université Saint-Louis – Bruxelles ou USL-B). Vu le succès de cette expérience, l’ULB, la VUB et l’université Saint-Louis signèrent en 2010 un accord-cadre pour la création du BSI. Fin 2019, la KU Leuven et l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, disposant chacune d’un campus en région bruxelloise, rejoignirent à leur tour le BSI.
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Le BSI fait partie intégrante d’une triade de collaborations interuniversitaires de recherche sur Bruxelles. Un grand nombre de chercheurs qui travaillent pour le BSI rédigent également des articles pour la revue scientifique Brussels Studies, créée en 2006 et disposant d’une source indépendante de financement. «Il s’agit d’une organisation distincte, mais les gens qui y sont actifs le sont globalement aussi au sein du BSI», explique Simon Boone. «Les chercheurs du BSI publient parfois aussi des «notes de synthèse» dans Brussels Studies: il s’agit de résumés rassemblant toute la littérature existante sur un thème en particulier. La revue bénéficie d’une large audience à Bruxelles et est de plus souvent évoquée lors des débats du parlement bruxellois.
Le troisième pilier est la Brussels Academy, l’espace de débat et de formation du BSI, qui a pour but de diffuser les connaissances sur Bruxelles auprès du grand public. La Brussels Academy organise depuis 2013 des conférences, débats et cours gratuits, financés essentiellement par les communautés.
Principales missions
Le BSI favorise non seulement la coopération entre les cinq universités membres, mais étend également son réseau au-delà. «Nous avons par exemple des relations avec des universités à Montréal, en raison des similitudes qui existent entre les villes», explique Boone.
«Des chercheurs de l’université d’Anvers ont aussi déjà participé à des projets de recherche, justement parce que la connaissance sur Bruxelles est encore trop dispersée. Les informations ne se trouvent d’ailleurs pas uniquement au sein des universités, mais aussi entre autres dans les administrations bruxelloises telles que Perspective.Brussels1, l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale ou Bruxelles Environnement. Notre objectif est de rassembler en un seul lieu toutes les connaissances existantes pour faciliter leur diffusion».
Pour rendre les connaissances sur Bruxelles accessibles à un plus grand nombre, le BSI a lancé en 2020 un MOOC (massive open online course), un cours en ligne accessible gratuitement à tous ceux qui souhaitent en apprendre plus sur la capitale. «Notre but est d’accroître le savoir relatif à Bruxelles.
Pour cela, nous organisons également des journées d’étude, comme nous l’avons fait par exemple après une ambitieuse étude de quatre ans sur l’impact de la zone piétonne dans le centre-ville», continue Boone. «Lors de ces séminaires, nous ne souhaitons pas uniquement voir des scientifiques et des journalistes, mais aussi des membres de la société civile ou du secteur associatif, ainsi que des acteurs des administrations bruxelloises, pour engendrer le débat autour de ce savoir».
Une initiative flambant neuve a pour nom BSI Position Papers, dont n’a paru à ce jour qu’un seul exemplaire, sur la question des sans-abri à Bruxelles. Un groupe d’experts et de chercheurs y donnent leur avis éclairé sur la question, sur base de la recherche existante.
Pour rendre les connaissances sur Bruxelles accessibles à un plus grand nombre, le BSI a lancé en 2020 un cours en ligne gratuit
En plus de la centralisation et de la diffusion de toutes les connaissances disponibles sur la capitale, le BSI s’est assigné une autre mission centrale: le développement de projets de recherche. Simon Boone explique: «Si un service public, comme Bruxelles Logement par exemple, ou une organisation privée telle que VOKA Metropolitan lancent un appel pour réaliser une étude, nous nous occupons de trouver les chercheurs les mieux qualifiés et de les mettre en contact.
On leur fait parvenir une demande écrite afin de savoir s’ils sont intéressés par la participation à un projet qui regroupe plusieurs disciplines. Nous essayons ensuite de former une équipe qui pourra collaborer sous la bannière du BSI. De notre côté, nous mettons tout en œuvre pour que la collaboration se déroule sans heurts, tandis que l’argent issu du financement de la recherche va quant à lui directement aux chercheurs.»
Selon Boone, l’un des grands mérites du BSI réside dans le fait que les spécialistes confirment rapidement leur participation. «Ils hésitent moins à s’engager car nous assumons entièrement la coordination: nous organisons les réunions, nous coordonnons les contacts avec le commanditaire, nous aidons à réaliser le suivi financier et administratif, etc. Nous veillons à ce que les informations détenues par les universités soient rendues disponibles le plus rapidement possible pour des projets socialement pertinents. Sans cela, les universitaires réagiraient peut-être moins rapidement à ces petits appels d’offres pour la recherche, moins attrayants que les budgets de recherche plus importants alloués par l’Union européenne par exemple».
«Certains spécialistes viennent parfois même vers nous avec une idée de projet, parce qu’ils cherchent des partenaires et savent que nous disposons d’un vaste réseau. Plus rarement, il arrive qu’un chercheur attaché directement au BSI participe lui-même à un projet. Nous sommes par exemple en ce moment occupés à la recontextualisation du parcours BD à Bruxelles-Ville. Plusieurs images du parcours datant des années 1950, 1960 et 1970 font polémique, car elles sont aujourd’hui considérées comme racistes ou sexistes, et sont ressenties comme choquantes, voire offensantes par certaines personnes.
La ville de Bruxelles est alors partie à la recherche de quelqu’un qui puisse replacer ces images dans leur juste contexte. Nous avons donc mis sur pied une équipe de chercheurs de la VUB, l’ULB, l’USL-B et même de l’UGent, mais la personne qui s’occupe des recontextualisations proprement dites est attaché au BSI pour cette mission. Cela reste toutefois relativement rare.»
Trois études concrètes
Un récent appel auquel le BSI a répondu en mobilisant une équipe de chercheurs de la VUB et de l’ULB a été lancé par Bruxelles Logement, l’administration régionale en charge de logement. Celle-ci souhaitait qu’une méthode soit développée pour aider à estimer le nombre de propriétés inoccupées dans la ville. La Région bruxelloise rencontre en effet des difficultés à estimer le taux d’inoccupation des bâtiments, car toutes les communes n’assurent pas la tenue à jour et/ou la transmission de ces informations.
Des économistes et des géographes ont donc travaillé ensemble sur ce projet afin de déterminer quel recoupement d’informations pouvait s’avérer le plus judicieux. Ils ont finalement rassemblé des données relatives à la domiciliation, au registre foncier, à la consommation d’eau, aux secondes résidences et aux taxes sur les immeubles inoccupés. Sur cette base, ces experts sont parvenus à établir un score entre 0 et 1 indiquant la probabilité qu’un immeuble soit vacant. Résultat: l’inspection des logements de la Région bruxelloise va désormais concentrer son attention sur les bâtiments qui présentent les scores les plus élevés afin de vérifier s’ils sont réellement inoccupés. Si ceux-ci s’avèrent en effet vides, leurs propriétaires seront soumis à une amende et leur dossier transféré à la commune, laquelle reçoit un soutien financier pour faire le suivi des dossiers relatifs aux propriétés inoccupées.
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Ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres de la manière dont le BSI peut avoir un impact concret sur la politique régionale. Boone nous fournit un deuxième exemple: «Nous avons presque terminé une autre étude pour la ville de Bruxelles, sur la «ville à dix minutes». Ce concept figure dans l’actuel accord de gouvernement de la coalition rouge-verte, l’idée étant que chaque habitant devrait pouvoir accéder à n’importe quel service en 10 minutes à pied environ.
Des centres de recherche des cinq universités membres se sont penchés sur les aspects pratiques d’une telle proposition, mais également sur sa viabilité et son bien-fondé, en se demandant s’il s’agit d’une réelle demande de la part des citoyens. Par conséquent ont pris part à l’étude non seulement des géographes et des urbanistes, mais également des sociologues.
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À la demande de la Commission communautaire commune de Bruxelles-Capitale (COCOM), l’instance régionale en charge de la gestion de la crise sanitaire dans la ville, le BSI a récemment entrepris une étude qualitative sur les initiatives locales de vaccination dans la Région bruxelloise encouragées par la COCOM.
La Région souhaitait savoir, pour pouvoir si nécessaire ajuster sa politique, comment les gens se positionnaient par rapport à la vaccination dans les centres de quartier ou dans les bus mis à disposition à cet effet. Les résultats ont été rendus publics fin décembre 2021. Ils démontraient que ces initiatives locales ont en effet contribué à convaincre ceux qui hésitaient encore à se faire vacciner, en plus du dialogue avec des personnes de confiance telles que le médecin de famille. Cette étude a de plus révélé qu’une communication claire et univoque au sujet de la vaccination, et centrée principalement sur des questions de santé publique, jouait également un rôle essentiel.
«Rien qu’à travers la recherche que nous effectuons, nous parvenons à avoir un impact certain sur la politique, sur la manière dont certaines problématiques liées à la ville sont perçues, ainsi que sur la manière dont les pouvoirs publics prennent leurs décisions», souligne Boone. «S’il fallait définir un agenda pour le BSI, il s’agirait avant tout de promouvoir l’idée que Bruxelles est vraiment une ville complexe et passionnante.»
Le MOOC (en français, néerlandais et anglais) sur Bruxelles est accessible gratuitement ici.
Note:
1. L’administration de planification régionale.