Ça suffit. Un extrait de «Les choses que nous avons vues» de Hanna Bervoets
Dans de nombreuses représentations littéraires du sexe lesbien, la relation entre deux femmes a avant tout pour but de susciter le désir masculin. Aux Pays-Bas, de nouveaux romans viennent cependant changer la donne, où l’amour lesbien se passe allègrement du regard masculin. Dans Les choses que nous avons vues, les relations lesbiennes font tout simplement partie du décor. Elles vont de soi.
Ça suffit
Le plus gros mensonge de l’histoire, je connais cette formule. C’est par elle que commencent les films «démontrant» pas à pas qu’il n’y a quasi aucune preuve de l’existence de chambres à gaz pendant la Seconde Guerre mondiale. Que les Juifs mouraient uniquement de maladies infectieuses dans les camps, maladies qui étaient traitées par le zyklon B, le gaz retrouvé plus tard sur leurs vêtements: un «pesticide parfaitement inoffensif». Nous ne sommes autorisés à supprimer ce genre de vidéos que si elles ont été publiées dans un pays où le négationnisme est puni par la loi, et à condition que les instances locales poursuivent activement les contrevenants: l’Allemagne, la France, Israël et, aussi bizarre que cela puisse paraître, l’Australie, je les énumère dans ma tête, tandis que se déroule, en plein jour et juste sous mon nez, une collision aux allures fatales.
«Quatre cent mille Juifs tout au plus sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale», reprend Capuche, en roue libre; Casquette tente de le dépasser: «Pour vingt millions de soldats russes», précise-t-il, sur quoi Capuche enfonce à son tour la pédale d’accélérateur: «Déjà entendu parler de l’accord Haavara? Les nazis et les Juifs travaillaient main dans la main pour justifier l’annexion d’Israël.»
Louis est resté remarquablement silencieux pendant tout ce temps. Il se racle bruyamment la gorge et désigne Kyo du menton: «Et toi, t’y crois aussi?» Les yeux de Kyo se tournent vers moi, puis vers Sigrid, puis vers ses propres mains. Il ne regarde pas Louis en répondant: «Cette histoire de chambres à gaz, en tout cas, c’est pas très crédible.
– Ah non?» rétorque Louis d’un ton plus implorant qu’outré. Je me remémore sa façon de me faire signe au début de la pause et, tout à coup, je comprends ce qui est en jeu pour lui.
«Et qu’ils aient assassiné l’oncle chéri de mon grand-père, je suppose que c’est pas très crédible non plus?»
À présent, Capuche et Casquette se donnent des coups de coude: «l’oncle chéri de mon grand-père», ils trouvent ça drôle parce que ça fait vraiment gay – Louis les entend sûrement glousser, mais il se contente de fixer Kyo, celui qu’il apprécie le plus et qui, par conséquent, est en train de commettre la plus grande trahison.
Celui-ci a toujours les yeux rivés sur ses mains. «J’en sais rien.» Et là, d’un seul coup, Louis se remet à ricaner. Il hoche un instant la tête …
Puis fond sur Kyo: «Qu’est-ce que tu fous là à branler cette bande de fachos, mec, depuis quand t’as un tel complexe d’infériorité que t’en arrives à lécher les bottes de tes putains de potes du Ku Klux Klan? Bordel, mais t’es toi-même à moitié paki! Merde, Kyo, t’as pas juste l’air d’un gros porc, t’en as aussi la cervelle, et au fait, est-ce que tes nouvelles dulcinées sont au courant que la Terre est plate?
– A priori …», marmonne Capuche, mais Louis ne l’entend pas: «Eh ben, p’tite tarlouze, il est où, ton bijou tout neuf?»
Je remarque à ce moment-là seulement que Kyo ne porte plus sa montre de platiste. Il reste là à secouer la tête, comme s’il ne savait pas quoi faire: sauver sa réputation auprès de Casquette et de Capuche, ou péter la gueule de Louis, et c’est là, à ce moment précis, que Sigrid s’interpose. «Allons, les gars! dit-elle. Ça suffit!» Mon Dieu, je suis si émue que j’en ai les jambes qui flageolent. Parce que je reconnais bien là mon amoureuse, ma Sigrid: elle a commencé par un faux départ, mais à présent, elle reprend les rênes. «Ouais, les mecs, ça suffit!» j’ajoute en opinant du chef.