Câliner fougueusement à un mètre cinquante de distance: les mots de l’année 2020
Knuffelcontact (contact-câlin) a été élu mot de l’année en Flandre. Aux Pays-Bas, le choix s’est porté sur anderhalvemetersamenleving (vivre ensemble à un mètre cinquante de distance). Quels sont les sentiments qu’évoquent ces mots?
Puis-je commencer par un aveu un peu douloureux? Je n’aime pas câliner. D’accord pour mon épouse et mes deux enfants, cela va de soi, mais c’est à peu près tout. Je trouve ces cajoleries bizarres. Vous prenez l’autre maladroitement dans vos bras et il ou elle fait exactement la même chose avec vous. À deux, vous vous tenez gauchement enlacés et, pire, vous ne savez pas quand vous pouvez desserrer votre embrassade. Si vous tardez trop, cela devient gênant, mais si vous libérez l’autre une seconde trop tôt, ce sera à coup sûr interprété comme un manque de tendresse. Et je n’ai encore rien dit de ce que vous devez faire de votre visage. Avec un peu de malchance, les deux visages entrent brusquement en collision dès le début du câlin. Rien que des problèmes. Il en va de même pour la bise. Cela varie d’un pays à l’autre: chez les uns, on se limite à une seule bise, chez d’autres c’est obligatoirement deux ou même trois. Vive la confusion.
© Ekaterina Shakharova
Il faut croire que, dans la partie néerlandophone de Belgique, je suis bien seul avec mon point de vue sur le câlin. Sinon, comment expliquer que knuffelcontact y ait été choisi à une écrasante majorité comme mot de l’année 2020. Aux Pays-Bas, c’est le mot anderhalvemetersamenleving qui l’a emporté. Van Dale Lexicografie, qui édite le dictionnaire explicatif néerlandais le plus connu et organise annuellement le sondage menant à l’élection du mot de l’année aux Pays-Bas et en Flandre, s’est fait un plaisir de livrer son commentaire. Un knuffelcontact est, en dehors des membres de votre foyer, la personne dont vous pouvez vous approcher à moins d’un mètre cinquante et même, le mot le dit, que vous pouvez câliner. Par anderhalvemetersameleving, il faut entendre une société au sein de laquelle, dans l’espace public, les gens respectent une distance d’un mètre cinquante au minimum entre eux.
© Cottonbro
Un mot de l’année doit par définition être un néologisme. Que les mots lauréats de cette année aient, de près ou de loin, un rapport avec le coronavirus était écrit dans les étoiles. C’est d’ailleurs également le cas de pas mal de concurrents malheureux de knuffelcontact et de anderhalvemetersamenleving. Quelques exemples: covidioot (se dit de quelqu’un qui rejette catégoriquement les mesures anti-COVID-19), hoestschaamte (honte de la toux, ou gêne que vous éprouvez d’avoir toussé en présence de personnes qui vous croient contaminé) et viruswappie (bouffon du virus, manière injurieuse de cataloguer quelqu’un qui nie la gravité de la pandémie du corona et/ou tente de répandre à ce sujet une autre vérité dans les médias ou sur les réseaux sociaux). Seul fabeltjesfuik, sorte d’attrape-nigaud, faisait figure d’intrus dans la compétition – à moins que le risque de tomber dans le panneau de théoriciens du complot sur les réseaux sociaux ait aussi, indirectement, un rapport avec le corona.
Le tour du monde
Difficile d’y échapper: de l’un des deux vocables du corona à l’autre, il y a de la marge. Quoi que l’on puisse penser des câlins, et cela n’a sans doute rien à voir avec la prétendue différence entre le Sud plus expansif et le Nord plus sobre, knuffelcontact sonne nettement plus chaleureux que anderhalvemetersamenleving. Notez d’ailleurs l’origine curieuse de knuffelcontact. Les mordus d’égalité sociale n’aimeront pas beaucoup cela, mais le mot knuffelcontact émane d’un ministre, plus précisément du ministre belge de la Santé publique Frank Vandenbroucke. Le gouvernement fédéral, à peine formé, s’est trouvé confronté à des chiffres de contamination qui grimpaient en flèche. Il fallait prendre d’urgence des mesures draconiennes et Vandenbroucke a lâché son knuffelcontact. Le mot a rapidement été repris à l’étranger. Le quotidien italien Corriere della Sera l’a mentionné dans ses colonnes et le China Global Television Network a même réalisé un film d’animation pour expliquer ce que renfermait cette notion de contact-câlin. La variante britannique hug-buddy est partie à la conquête des réseaux sociaux. Tout cela avait de quoi rehausser encore le côté spectaculaire du retour aux affaires de Vandenbroucke après une dizaine d’années d’absence de la scène politique.
Est-il permis de faire un pronostic pour fin 2021? Si oui, quels seront les néologismes qui paraderont alors en tête? J’y verrais de préférence des mots aussi éloignés que possible du corona. Ou des mots qui montrent que le pire est déjà loin derrière nous. Vain espoir? Tentons un essai. Snuffelcontact (contact-flair), comme l’a suggéré un collègue facétieux, mais cela baignerait justement encore trop dans l’atmosphère corona. Massacontact (contact de masse) me paraît déjà meilleur. Omarmdrang (propension à enlacer) serait également possible, mais à une condition: que j’aie le droit de m’abstenir.