Catholiques et patriotes : les catholiques dans la République des Provinces-Unies 1570-1750
Officiellement, l’Union d’Utrecht, de facto la constitution de la nouvelle République des Provinces-Unies, accordait la liberté religieuse à tous ses citoyens. Cependant, pour la communauté catholique la réalité quotidienne était différente. L’historienne Carolina Lenarduzzi va à la recherche des raisons qui ont permis aux catholiques néerlandais de se réinventer et de persister.
Les Pays-Bas que nous connaissons aujourd’hui sont apparus relativement tard et, de même que pour la France toute proche, leur histoire est assez heurtée. Les Pays-Bas bourguignons étaient constitués d’un ensemble de provinces rassemblées par les ducs de Bourgogne et dont la maison d’Autriche et Charles Quint, empereur du Saint-Empire romain germanique et roi d’Espagne, ont ensuite hérité.
© «Rijksmuseum», Amsterdam.
Durant 40 ans (1515-1555), ce dernier régna sur les Dix-Sept Provinces, territoire couvrant approximativement le Benelux et une partie du nord de la France actuels. Cette période a vu l’établissement de l’Inquisition pour combattre le protestantisme. En 1579, pour s’émanciper de la tutelle espagnole, sept provinces formèrent alors une confédération connue sous le nom d’Union d’Utrecht. La République des Provinces-Unies en est issue.
Dans les faits, le gouvernement de la République a, dès le début des années 1580, promulgué un certain nombre d’édits anti-catholiques, concernant tant le culte en lui-même que son expression publique. Les catholiques ne bénéficiaient d’aucun soutien, financier ou autre, de la part des autorités. Ils ont par ailleurs été progressivement interdits de fonctions dans la vie publique car suspectés de former une cinquième colonne au service de la couronne espagnole. De culture dominante, le catholicisme est ainsi devenu une sous-culture dominée. Les catholiques sont passés du centre de la société à sa périphérie alors que les réformés ont fait le chemin inverse.
C’est dans ce contexte qu’il faut situer Katholiek in de Republiek (Catholique dans la République). À l’époque étudiée par Lenarduzzi, les catholiques étaient, pour reprendre l’expression de Gayatri Spivak, des subalternes, soit un groupe absent de l’historiographie officielle et dont on n’entendait pas forcément la voix. Or, ils n’étaient pas pour autant muets. Ils s’exprimaient, notamment par écrit, et résistaient à la violence qu’ils subissaient. Mais il a fallu la ténacité de l’historienne pour savoir ce qu’ils disaient et mieux connaître leur histoire.
Malgré les mesures discriminatoires qui lui étaient appliquées, cette communauté n’a pas disparu. Au contraire, ce sont même les limitations de la liberté de culte et les contraintes subies qui lui ont permis de se réinventer et de perdurer. C’est cette idée contre-intuitive qui est au cœur de l’essai de Lenarduzzi et qu’elle se propose d’illustrer et d’expliquer.
L’histoire sociale des catholiques ne se limite pas à leur histoire institutionnelle. Elle ne se limite donc pas à l’Histoire racontée «d’en haut» mais incorpore les histoires racontées «d’en bas». Ces histoires «d’en bas» sont issues de sources diverses: correspondances privées, journaux intimes, poésie, pamphlets, pièces de théâtre, etc. Il est de fait qu’elles révèlent surtout les états d’âme des fidèles les plus fervents et de ceux appartenant aux couches supérieures de la société. Cela étant, elles permettent aussi d’appréhender indirectement les pratiques religieuses des fidèles des classes sociales inférieures.
Ces sources révèlent notamment que les catholiques n’étaient pas des victimes passives et résignées. Certes, ils ne formaient pas un groupe monolithique et tous n’ont pas manifesté le même attachement à leur identité. Face au nouveau pouvoir, certains sont restés inébranlables. D’autres, en revanche, n’ont pas hésité à faire des concessions pour jouir d’avantages matériels, au point de n’être plus considérés comme catholiques par certains de leurs coreligionnaires. Mais au-delà de ces cas extrêmes, Lenarduzzi montre que le fait d’évoluer dans un environnement hostile a poussé les catholiques à reconsidérer leur identité et la façon de l’exprimer. Ils ont dû faire revivre leur passé, se doter d’une mémoire commune, ce qui a renforcé leur conscience de soi. Mais l’expérience religieuse ne fut pas liée qu’au souvenir.
Elle a aussi pris une dimension matérielle, s’appuyant sur des objets, des vêtements, des sons particuliers. Cela les a amenés à s’engager dans le présent, dans l’espoir qu’ils pourraient à nouveau vivre au grand jour leur confession.
Puis, vers la fin du livre, Lenarduzzi élargit géographiquement son analyse en se demandant si les conclusions de ses recherches sur le nord du pays s’appliquent aussi aux Pays de la Généralité (Generaliteitslanden). En effet, ce n’est qu’en 1648 que ces territoires, majoritairement catholiques, sont définitivement passés sous l’autorité de la République.
Katholiek in de Republiek est une version remaniée d’une thèse de doctorat soutenue à l’université de Leyde en octobre 2018. Lenarduzzi en a gommé certains aspects trop théoriques pour la rendre accessible à un public plus large. L’ouvrage qui en résulte demeure néanmoins très riche (475 pages dont 76 pages de notes et une bibliographie de 34 pages!) et contient de nombreuses informations qu’on ne peut digérer que si on a une connaissance préalable de l’histoire néerlandaise. De ce fait, il n’est pas forcément accessible à un lecteur lambda et semble plutôt devoir être réservé à un public averti et motivé.
© «Rijksmuseum», Amsterdam.
Le livre en tant que tel est un bel objet, richement illustré. Il apporte un éclairage bienvenu sur une dimension de l’histoire néerlandaise peu connue en France et peut-être même également aux Pays-Bas. Mais il a aussi une portée plus générale et peut être utile pour comprendre certains problèmes contemporains. Il montre clairement que les individus ont une marge de manœuvre par rapport aux règles édictées. L’empowerment d’un groupe dominé ne passe pas forcément par la prise de pouvoir politique («par en haut») et peut se faire «par en bas». On a vu en effet comment les catholiques composaient avec des règles qui n’étaient pas les leurs et qui étaient à leur désavantage. Sur la question de l’identité, l’étude de Lenarduzzi donne à réfléchir. Sous la République, les catholiques n’étaient pas que catholiques, ils étaient aussi patriotes. Ainsi, si l’invasion française de 1672 a eu des conséquences heureuses pour eux en matière de culte, ce n’est pas pour autant qu’ils ont massivement soutenu l’envahisseur français. Au contraire, ils ont souvent été fidèles à la République. L’ouvrage met ainsi en lumière le fait que les identités individuelles, quoique multiples, ne sont donc pas forcément conflictuelles. Et rien que pour cela, il mérite d’être lu.