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histoire, pays-bas français

Cent ans après, l’immigration polonaise a laissé des traces dans le Pas-de-Calais

13 novembre 2019 6 min. temps de lecture

Il y a un siècle, des dizaines de milliers de Polonais rejoignaient les bassins industriels français. Cent ans plus tard, nombre d’entre eux se sont installés définitivement et ont laissé des traces dans le paysage et la culture du Pas-de-Calais.

Dourges n’est pas qu’une plateforme multimodale logistique en bordure de l’A1 à quelques encablures de Lille. C’est aussi une petite bourgade nordiste de 5 000 habitants avec sa mairie, son monument aux morts, son église. Plutôt ses églises : outre la Saint-Piat en plein centre, la commune compte un autre édifice, Saint-Stanislas. En béton, l’extérieur commence à subir d’ailleurs les outrages du temps. « Nous cherchons les financements pour les travaux », indique Edmond Oszczak, qui nous ouvre fièrement les portes pour un petit tour du propriétaire. Saint-Stanislas ne manque pas de richesses : elle possède notamment un fabuleux maître-autel, la « Chapelle de la Nativité », une sculpture en bois art déco de Jan Szczepkowski, inspirée du style zakopanien (une région de la Pologne) qui fut d’ailleurs Grand Prix de l’Exposition des Arts Décoratifs de Paris en 1925.

L’église Saint-Stanislas dispose d’une autre particularité. Elle a été érigée à partir de 1925 en même temps qu’une partie de la Cité Bruno voisine et une salle des fêtes pour accueillir les Polonais qui arrivaient en masse dans le Pas-de-Calais. Quelques années auparavant, le 3 septembre 1919, les gouvernements français et polonais avaient en effet signé une convention d’immigration visant à attirer des travailleurs dans les bassins industriels hexagonaux, mais aussi les campagnes. Le manque de main-d’œuvre y était criant. Pour les ressortissants polonais, c’était une formidable opportunité : leur pays venait seulement de retrouver une identité politique après 123 ans de partage entre Russie, Prusse et Autriche. L’économie y était exsangue. En vingt ans, 600 000 Polonais gagneront le Pas-de-Calais, le Forez (la région de Saint-Etienne), l’Alsace et la Vendée principalement. Seuls 220 000 repartiront durant la même période, ainsi que 70 000 dans l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale.

Terre de mines, le Pas-de-Calais accueillera une grande partie de ces nouveaux travailleurs. En 1931, on compte 115 200 Polonais dans le département ! Ils représentent 34% de l’effectif total des mineurs ! À Drocourt, 71% des ouvriers de fond sont Polonais ! Dans certaines villes, comme Ostricourt, Bruay-en-Artois (aujourd’hui Bruay-la-Buissière), Marles-les-Mines, les étrangers sont même majoritaires. Dans des quartiers entiers, comme la Nouvelle Cité Bruno à Dourges, la Cité des Alouettes à Bully-les-Mines, la Cité Quénehem à Calonne-Ricouart, on parle quasi uniquement la langue de Nicolas Copernic. Ils sont souvent surnommés « La Petite Pologne ».

Cent ans plus tard, le polonais ne résonne plus au quotidien. Même si de nombreux descendants vivent encore dans le Pas-de-Calais (le chiffre de 500 000 est couramment avancé, mais semble peu fondé selon les historiens), en témoignent les nombreux patronymes aux sonorités slaves sur les sonnettes du Bassin minier.

Les églises de la Pologne

Les traces physiques de cette immigration restent toujours visibles, pour peu que l’on y soit initié. Par exemple à travers les églises et chapelles spécialement édifiées pour les immigrants dans les années 20 et 30. Saint-Stanislas à Dourges donc, Notre-Dame-des-Mineurs à Waziers (ville située dans le département du Nord, le bassin minier allait jusque Valenciennes), Saint-Joseph à Oignies, chapelle du 21 à Harnes, il faut des églises pour accueillir la nouvelle communauté, très sensible à la pratique de la religion, à l’époque considérée comme un vecteur patriotique. Les constructions d’édifices continueront après la Seconde guerre mondiale : à Lens, l’église aux formes contemporaines du Millénium, à deux pas du stade Bollaert-Delelis, a été construite en 1967 par la communauté à l’occasion des mille ans de la Pologne. Les lieux de culte se cachent parfois dans des endroits étonnants : à Nœux-les-Mines, le père Piotr Szot célèbre une messe quotidienne, en français et polonais, dans la chapelle de la Miséricorde Divine, construite à l’arrière d’une maison traditionnelle. Le dimanche, il y a bien souvent 80 à 90 personnes, descendants de Polonais ou non, autour de la relique de Jean Paul II (une goutte de sang du pape).

La Pologne se raconte aussi en poussant la porte des cimetières : les noms venus de l’Est défilent sur les plaques quand l’épitaphe n’est pas inscrite dans la langue slave. Ici et là, des monuments marquent physiquement l’importance de cette immigration : en face de l’église du Millénium de Lens, on trouve une stèle en souvenir de la visite de Lech Walesa et en hommage à Solidarnosc ; à Neuville-Saint-Vaast, le monument de la Targette célèbre ces Polonais qui se sont battus pendant la Première Guerre mondiale. Sans la vigueur de la communauté expatriée dans les années 20, aurait-il pu être érigé ?

Une forte activité associative

Au-delà du patrimoine bâti, au vingt-et-unième siècle, la polonité s’exprime dans un large réseau d’associations. Selon Edmond Oszczak, par ailleurs président du collectif Polonia en Hauts-de-France, le département compte pas moins de 120 associations culturelles et cultuelles ! Les objets sont divers : jumelages (une quarantaine), harmonies (à Bully-les-Mines et Houdain), chorales (à Harnes), folklore (à Dourges), organisation d’événements autour de la Pologne, etc. À ce titre, un rendez-vous est particulièrement prisé et a encore accueilli 10 000 visiteurs il y a quelques semaines : le salon de la Pologne d’Hénin-Beaumont chaque automne depuis cinq ans. Il est couplé à un marché du même genre à Pâques. Nœux-les-Mines a aussi le sien. L’enseignement du polonais, pour scolaires ou adultes, perdure également. Il connaît même une nouvelle vigueur avec des quatrième ou cinquième générations avides de retrouver les racines de leurs ancêtres.

Les descendants sont d’ailleurs servis en ce moment. Pour les célébrations du centenaire de la convention, ils peuvent découvrir une exposition sur l’histoire de cette immigration à la Maison syndicale de Lens, une autre sur la peinture polonaise du dix-neuvième au Louvre-Lens, des spectacles en tout genre dont un très prisé Stanis le Polak qui tourne dans plusieurs communes. Cette programmation devrait trouver son prolongement durant les années à venir : « les communes ont vu arriver les Polonais en 1921, ou 1922, ou 1923… chacune va pouvoir s’approprier et célébrer son centenaire ! », avance Edmond Oszczak.

Kluski et metka avant tout !

Enfin, un patrimoine vivant essentiel a traversé le siècle : la nourriture ! Le Pas-de-Calais est une vraie terre de gastronomie polonaise où l’on peut encore se restaurer comme si l’on était dans une gargote de Varsovie ou de Poznan. Sauf que l’on est à Calonne-Ricouart. Guillaume Naglik, dont les quatre arrière-grands-parents sont arrivés en France en 1922, vient d’ouvrir une charcuterie-traiteur entièrement dédiée à la Pologne. « Les six premiers mois me confortent dans mon choix », confie le quadragénaire qui a la Pologne tatouée sur le bras, avec une babouchka et la formule « Na Zdrowie » (traduire par « À la tienne »). Les habitants de Sallaumines, Harnes, Bruay-la-Buissière ont aussi leur établissement spécialisé en mets polonais, et les chalands de l’immense Auchan de Noyelles-Godault peuvent eux profiter d’un rayon consacré. Unique en France ! Iwona, revêtue de son costume traditionnel, les accueille avec un bonjour en polonais et la musique d’ambiance en fond. Ces commerces sont incontournables à la fois pour les locaux, mais aussi pour les plus jeunes générations qui ont quitté le bassin minier. « Ils reviennent lors des fêtes de famille et font le plein de de saucisses de cheminée, kluski, roulades, metka ou bières Zywiec, avant de repartir chez eux », s’amuse Iwona.

Quant à ceux qui ne savent pas cuisiner polonais, ils ont une autre option :

Comme chez Babcia en plein cœur de Lens. Pousser la porte, c’est l’assurance de retomber dans la Pologne d’il y a cinquante ans, avec une décoration soignée, chaleureuse et colorée, musique locale de rigueur bien sûr et en live le week-end. Vincent Vignacourt a ouvert ce restaurant d’une capacité de 120 couverts en hommage à ses grands-parents décédés en 2013 (Babcia se traduit par grand-mère). Depuis, il ne désemplit pas, notamment les week-ends. Toutes les générations s’y retrouvent. « Il y a eu d’autres restaurants polonais, mais au fil des départs en retraite et des fermetures, nous sommes désormais le seul restaurant polonais au nord de Paris… et au sud de la Belgique m’a dit un jour un Belge ». Au menu, des pains vapeur avec de la viande roulée farcie de choux rouge, des galettes de pommes de terre avec de la viande en sauce, des choux farcis de viande et de riz, des ravioles fourrées à la viande au fromage ou au chou… bref, des plats goûteux et copieux qui, on vous l’assure, ne vous laisseront pas sur votre faim. Une étape de choix au milieu d’un périple sur les traces de l’héritage polonais du Pas-de-Calais !

Montard

Nicolas Montard

Journaliste free-lance et cofondateur du magazine en ligne DailyNord.

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