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Chutes de béton en Belgique versus solidité des digues aux Pays-Bas

Par Ewald Pironet, traduit par Jean-Philippe Riby
2 novembre 2020 16 min. temps de lecture

Les économies belge et néerlandaise sont ouvertes et prospères. Elles présentent de nombreuses similitudes. Pour autant, elles s’éloignent l’une de l’autre depuis les années 1980. La Belgique est un pays figé qui aménage et réforme trop tard ou trop peu. Les Pays-Bas prévoient et planifient mieux. Cinquante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la différence entre les deux pays, sur le plan économique, est grande et ne cesse de grandir.

En 2018, la presse internationale s’est faite l’écho d’une nouvelle insolite : «Un Néerlandais rebouche les trous dans les chaussées belges avec des fleurs». Anton Schuurmans, un Néerlandais résidant à Bruxelles, exaspéré par la présence d’innombrables nids-de-poule dans les rues et les routes belges, a décidé de remédier à cet état de fait. D’une manière ludique : il a rebouché des centaines de trous avec du terreau pour y planter des iris, des anémones et des crocus. Les Néerlandais aiment raconter la blague qui veut que leur voiture se mette à rebondir dès qu’ils franchissent la frontière belge. « Malheureusement, cette blague reflète la réalité », dit Schuurmans.

Les routes en Belgique sont en bien plus mauvais état qu’aux Pays-Bas, comme le confirme l’étude du Forum économique international (WEF). Dans son Global Competitiveness Index, le WEF établit chaque année le classement des économies en fonction de leur compétitivité. La qualité des routes est l’un des critères retenus. Les Pays-Bas arrivent au troisième rang sur 140 pays, juste après Singapour et la Suisse. La Belgique occupe la 52e
place, et se retrouve ainsi en queue de peloton des pays d’Europe de l’Ouest, tout juste devant l’Italie. Mais le pire est que les Pays-Bas continuent de progresser dans les classements, alors que la Belgique perd du terrain année après année. Ce n’est pas bon pour un pays qui se veut « la plaque tournante logistique de l’Europe ». Cette grande différence, croissante, entre la Belgique et les Pays-Bas sur un point aussi important que les infrastructures, est très frappante. Les deux pays ne partagent pas seulement une frontière, mais ont l’un et l’autre une économie ouverte et relativement modeste.

Au cours des premières décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, leur évolution est restée globalement parallèle. Après 1945, les deux pays ont connu des difficultés initiales, mais ont aussitôt mis en place un système de prévoyance sociale et un État-providence. En Belgique, l’artisan de ces mesures a été le socialiste Achiel (Achille) Van Acker, qui est devenu « le père de la sécurité sociale ». Aux Pays-Bas, Willem Drees, un socialiste aussi, a fait voter une série de lois sociales qui l’ont rendu très populaire et lui ont valu le surnom de « petit père Drees ».

Les Golden Sixties

Parallèlement, l’idée européenne a fait son chemin. Le Benelux, une union entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, a vu le jour en 1944. En 1951, le Benelux, l’Allemagne, la France et l’Italie ont fondé la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), la première institution de coopération européenne. Six ans plus tard, il y a eu à Rome la signature des traités instituant la Communauté économique européenne (CEE) puis en 1968 la suppression par les six pays fondateurs des droits de douane intracommunautaires. Cette coopération européenne interne a favorisé les échanges et la prospérité.

A la même époque, il existait une autre incitation, externe celle-là. Comme la plupart des pays d’Europe de l’Ouest après la Seconde Guerre mondiale, la Belgique et les Pays-Bas pouvaient bénéficier du plan américain Marshall pour la reconstruction. Concrètement, il s’agissait de capitaux, de marchandises, de matières premières et de denrées alimentaires fournis à l’Europe entre 1948 et 1952 par les Américains, sous forme de dons ou de prêts.

Cette aide a ouvert la voie aux multinationales américaines comme le constructeur automobile Ford, qui ont trouvé ici de nouveaux marchés de production et de vente. La culture américaine n’a pas tardé pas à suivre, peut-être le plus clairement avec la musique : à la fin des années 1950, le rock’n’roll était très populaire en Europe, on passait et on achetait les disques d’Elvis Presley, de Bill Haley, de Chuck Berry, de Buddy Holly ou autres rockeurs au déhanché provocateur. Cette vogue illustre l’avènement de la société de consommation : à l’instar du rock’n’roll, il faut que l’argent tourne et roule. Ce ne sont pas seulement des disques et des tourne-disques qu’on s’empressait d’acheter, mais aussi des téléviseurs, des réfrigérateurs, des machines à laver, des aspirateurs, des mobylettes, des voitures, etc. Comme s’il n’y avait pas de limites.

Le moteur se grippe

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les deux pays – et à vrai dire l’ensemble du monde – connaissaient une forte croissance économique quand, dans le premier tiers des années 1970, une crise pétrolière a frappé de plein fouet la Belgique et les Pays-Bas. En 1973, la guerre du Kippour a éclaté. Les combats entre Israël et des pays arabes comme la Syrie et l’Égypte ont entraîné une hausse spectaculaire des prix du pétrole. Ce choc pétrolier a ébranlé les fondements des économies occidentales. L’une des conséquences a été l’instauration de dimanches sans voitures entre novembre 1973 et janvier 1974 : six fois en Belgique et dix fois aux Pays-Bas, non pour des considérations d’environnement comme aujourd’hui, mais en raison du risque de pénurie de carburant. C’est ainsi qu’ont pris fin les Trente Glorieuses, pour reprendre l’expression de l’économiste français Jean Fourastié, qui désigne la période de prospérité entre 1945 et 1973.

Le réveil à l’aube des années 1970 a été brutal. Aux Pays-Bas comme en Belgique, le chômage a explosé. Les secteurs traditionnels et vieillissants comme les mines, la sidérurgie ou le textile en Belgique ne pouvaient plus survivre et les grandes multinationales récentes comme Philips ont « rationalisé », c’est-à-dire licencié en masse. De plus en plus de gens ont reçu un revenu de remplacement. Les prix se sont envolés, les syndicats ont réclamé des hausses de salaires, les chefs d’entreprises les ont répercutées dans leurs prix. Un cercle vicieux pernicieux en somme. Les pouvoirs publics ont vu leurs recettes diminuer et leurs dépenses augmenter. L’Occident a connu une crise existentielle : la Belgique et les Pays-Bas ont dû passer eux aussi d’une économie industrielle à une économie post-industrielle.

Si le premier choc pétrolier (1973) a porté un coup très rude à l’économie belge, le second choc pétrolier (1979) lui a été fatal. Le shah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, a dû s’enfuir lors de la révolution iranienne et céder la place au leader de la révolution islamique, l’ayatollah Ruhollah Khomeini. Les cours du pétrole ont connu une nouvelle flambée. Les salaires étaient indexés à l’inflation selon un mécanisme unique, celui de la liaison des rémunérations au coût de la vie. La Belgique s’est ainsi exclue du marché. L’explosion du taux de chômage et des dépenses sociales a entraîné une forte hausse du déficit public, qui a elle-même provoqué une hausse vertigineuse de la dette. Trois chiffres à titre d’illustration : En 1975 la dette publique belge représentait 60 % du produit intérieur brut (PIB), dix ans plus tard elle avait plus que doublé et correspondait à 122 % avant d’atteindre près de 140 % au début des années 1990. La Belgique était devenue « l’homme malade de l’Europe ».

Aux Pays-Bas, l’économie a aussi beaucoup souffert des effets du premier choc pétrolier en 1973. Les gouvernements progressistes n’ont cessé de mettre l’accent sur les revenus garantis, les nouvelles allocations, la redistribution, les projets en matière d’emploi et autres, au prix de dépenses publiques considérables. La seconde crise pétrolière, six ans plus tard, a été, pour les Pays-Bas, le choc de trop. Les entreprises ont mis la clé sous la porte les unes après les autres et le chômage a atteint un sommet en 1983-1984. Trois chiffres à retenir à propos de la dette publique néerlandaise : en 1975, elle représentait 45 % du PIB, dix ans plus tard 76 % et au début des années 1990 elle se situait juste au-dessus de 70 %. Il faut noter la grande différence avec la Belgique : En 1975, la dette publique belge ne se situait que 15 points au-dessus du pourcentage de la dette néerlandaise, alors qu’au début des années 1990 elle était au moins deux fois plus élevée que celle des Pays-Bas.

Un pays figé

Que s’est-il passé vers 1980 qui puisse expliquer une évolution de l’économie aussi différente entre la Belgique et les Pays-Bas ? Les causes sont certainement multiples. Certains remontent loin dans le temps et invoquent l’austérité calviniste des Néerlandais, ou leur sens du commerce, dont la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, la Vereenigde Oostindische Compagnie (VOC; 1602-1800), est un bel exemple. L’esprit d’entreprise aussi. De nombreuses sociétés néerlandaises ont su conquérir le monde : Philips, Royal Dutch Shell, C&A, Unilever, Heineken, etc. En Belgique, il en est allé autrement. Le pays a perdu ses grandes entreprises, souvent au profit de la France, comme Petrofina, Tractebel, Electrabel, pour ne citer que celles-là.

Il ne faut pas oublier non plus, bien entendu, la découverte en 1959 du gisement de gaz naturel de Slochteren, qui a permis aux Pays-Bas de devenir le deuxième producteur de gaz de l’Union européenne. L’exploitation du gaz a procuré à l’Etat néerlandais entre 1965 et aujourd’hui plus de 400 milliards d’euros. De quoi boire du petit-lait !

Mais ces particularités existaient avant que les deux économies, belge et néerlandaise, ne prennent des chemins différents. A dire vrai, cette divergence tient surtout au fait que la Belgique était (et demeure) un « pays figé », pour reprendre le titre que les deux historiens de Louvain, Kristof Smeyers et Erik Buyst, ont donné à leur histoire économique de la Belgique (2016) : il n’y a eu aucun mouvement, aucune initiative, et même aucune tentative pour sortir du marasme économique, dans lequel les deux chocs pétroliers successifs avaient plongé le pays. Comme si la Belgique n’avait pas compris ou voulu comprendre la gravité de la situation.

En 1981, le déficit de financement des pouvoirs publics belges a atteint 15 %, mais le ministre du Budget d’alors, le socialiste francophone Guy Mathot, ne se faisait aucun souci. C’est lui l’auteur d’une phrase devenue légendaire : « Le déficit est apparu tout seul, il disparaîtra de la même façon. » Entre 1979 et avril 1981, quatre gouvernements sont tombés, pour des raisons liées aux communautés, aux partis et à la crise. À l’époque, le Premier ministre chrétien-démocrate Wilfried Martens n’est pas parvenu à mener une politique vigoureuse. Les oppositions entre employeurs, employés et chômeurs se sont accentuées.

En 1982, la Belgique a dévalué sa monnaie de 8,5 %. Une dévaluation nécessaire pour ne pas trop perdre en compétitivité. Trois ans plus tard, Wilfied Martens, le Premier ministre, a affirmé qu’il y avait « la lumière au bout du tunnel », mais la Belgique a continué de stagner. Jusqu’à ce jour, il a été impossible ou tout juste possible, au prix de certaines manipulations, d’obtenir un budget à l’équilibre. En 2008, quand la crise financière a éclaté, la dette publique belge représentait 90% du PIB, moitié plus que les 60 % prescrits par le pacte de stabilité et de croissance européen.

Le modèle des polders

La différence est grande avec les Pays-Bas durant la même période. En 1982, le déficit public néerlandais a enregistré son niveau le plus élevé, soit 9 % du PIB. Cette année-là, le chrétien-démocrate Ruud Lubbers a formé son gouvernement et pris comme ministre des Finances Onno Ruding, du même parti que lui et considéré comme un « homme de chiffres sans états d’âme ». On ne peut imaginer de contraste plus frappant avec son homologue belge Mathot. Sous Lubbers, une politique vigoureuse et rigoureuse a eu un triple objectif : réduire le déficit budgétaire en limitant les dépenses publiques, grâce notamment à la modération des rémunérations de la fonction publique, remettre davantage de personnes au travail, et enfin rogner sur les dépenses de sécurité sociale.

C’est également au cours de cette même année 1982 qu’a été signé aux Pays-Bas l’accord de Wassenaar, dans lequel les salariés ont accepté la modération salariale en échange de la réduction du temps de travail et de la redistribution du travail par les employeurs. Ce modèle de consensus néerlandais par lequel patrons, syndicats et pouvoirs publics se mettent autour de la table pour négocier les conditions de travail et les salaires a été dénommé par la suite « modèle des polders » ou « modèle néerlandais ». Entre 1985 et 1994, les Pays-Bas ont enregistré, à la stupéfaction générale, une croissance moyenne de 2,5 % par an. On a alors parlé de « miracle économique néerlandais ». En 2008, la dette publique a représenté 55 % du PIB, bien en dessous donc du taux d’endettement de 60% imposé par l’Europe.

Deux fossés

La crise financière de 2008 a plus affecté les Pays-Bas que la Belgique, car elle s’y est doublée d’une crise de l’immobilier résidentiel. Selon certains économistes, la bulle immobilière pourrait bien encore éclater en Belgique. Le chômage a davantage augmenté aux Pays-Bas qu’en Belgique et les pertes de revenus y ont été plus importantes. La Belgique a mieux résisté à cette crise profonde que la plupart des autres pays de l’Union européenne, Pays-Bas compris, les gouvernements belges ayant mené une politique sociale et laissé filer le budget. Les Pays-Bas ont réagi très différemment : ils ont procédé à une taille sévère dans leurs dépenses et à d’importantes réformes.

Grâce à des réformes structurelles, les Pays-Bas vont aujourd’hui mieux que la Belgique.

En 2012, les Pays-Bas ont décidé de relever l’âge légal de départ à la retraite (pension) de 65 à 67 ans, et de faire en sorte que la période transitoire pour la mise en œuvre de cette réforme soit relativement courte. Aujourd’hui, l’âge légal de départ est de 66 ans et 4 mois. En 2024, il sera de 67 ans. En Belgique, le relèvement de l’âge de la pension a été mis en œuvre en 2015 seulement et étalé sur une période bien plus longue : l’âge légal de départ à la pension passe de 65 ans à 66 ans en 2025 et à 67 ans en 2030. À cet égard, la Belgique a donc six ans de retard sur les Pays-Bas.

Grâce à des réformes structurelles, les Pays-Bas vont aujourd’hui mieux que la Belgique. Le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, l’a récemment fait remarquer. Lorsqu’il avait du mal à défendre sa réforme fiscale aux Pays-Bas, il a laissé échapper : « Si les Pays-Bas ne suppriment pas la taxe, ils finiront comme la Belgique. On voit en Belgique ce qui se passe quand on ne change pas les balises à temps. » Ces propos ont été mal pris par les voisins belges. Son ami libéral, Charles Michel, Premier ministre de Belgique, a réagi, mécontent, mais Rutte n’a pas présenté ses excuses : « Je n’aurais peut-être pas dû faire cette remarque de cette manière, mais je crains d’avoir raison sur le fond », a-t-il indiqué.

Les chiffres donnent raison à Rutte. L’économie néerlandaise progresse d’environ 3 % par an, l’économie belge de la moitié à peine. Les Pays-Bas dégagent depuis quelques années des excédents budgétaires, qui ont même représenté 2 % du PIB l’an dernier, soit 12 milliards d’euros. La Belgique, en revanche, enregistre, bon an mal an, des déficits budgétaires, de 0,7 % encore en 2018, soit plus de 3 milliards d’euros. La dette publique néerlandaise avoisine les 52 %, alors que la dette belge est supérieure à 100 %. On pourrait multiplier les exemples. Les Pays-Bas sont bien mieux armés pour faire face à une nouvelle crise, qui viendra tôt ou tard.

En Belgique, les différences entre les provinces sont considérables

On rappelle souvent que les chiffres belges sont tirés vers le bas par les mauvaises performances de l’économie bruxelloise et wallonne. C’est exact. Prenez le taux de chômage, pour lequel les statistiques régionales et provinciales sont disponibles. Aux Pays-Bas, il est de 3 %, en Belgique de 6 %. Un examen plus attentif de ce chiffre montre que le taux de chômage s’élève à 3,5 % en Flandre, à près de 9 % en Wallonie, et à plus de 13 % à Bruxelles. En Belgique, les différences entre les provinces sont considérables : le taux de chômage le plus élevé se trouve dans la province wallonne de Hainaut (12 %), le plus bas dans les provinces flamandes voisines de Flandre-Occidentale et de Flandre-Orientale (un peu plus de 3 %). A titre de comparaison : aux Pays-Bas, le taux de chômage le plus élevé est en Groningue (5 %) et le plus bas en Zélande (3 %).

Pour autant, les performances flamandes sont inférieures à celles des Pays-Bas : s’agissant du taux d’emploi, par exemple, les actifs de 20 à 64 ans représentent 75 % en Flandre et 80 % aux Pays-Bas. Le nouveau gouvernement flamand, dès son entrée en fonction, en octobre 2019, s’était fixé comme objectif de relever le taux d’emploi à 80 %. La Flandre affiche souvent sa fierté lorsqu’elle se compare à la Wallonie, mais quand on regarde vers les Pays-Bas, on voit qu’il y a encore des progrès à faire. Sur le plan économique dans les Plats Pays, il existe non seulement un fossé entre la Flandre et la Wallonie, mais aussi un autre entre les Pays-Bas et la Flandre. Les deux fossés deviennent de plus en plus grands.

Les Pays-Bas plus heureux que la Belgique

Dans bien des domaines économiques et financiers, les Pays-Bas font donc mieux. Sauf quand il s’agit de dépenses publiques, où la Belgique, avec 52 % du PIB, se classe dans les premiers rangs mondiaux. Les dépenses publiques néerlandaises représentent 42 % du PIB. Que les pouvoirs publics belges dépensent autant n’est pas si grave en soi si le contribuable en a pour son argent. En matière de santé et d’enseignement, la Belgique enregistre d’excellents résultats, bien que l’enseignement francophone soit sous-performant et que l’enseignement flamand semble en perte de vitesse.

Dans bien d’autres domaines, la Belgique n’excelle pourtant en rien. Si on prend, par exemple, la qualité de l’administration publique, les Pays-Bas occupent la deuxième place, derrière Singapour, dans le Global Competitiveness Index, l’indice de compétitivité mondiale déjà mentionné, alors que la Belgique arrive au 31e rang. Peut-être est-ce lié au fait qu’en Belgique de nombreux fonctionnaires ont été recrutés et promus davantage pour leur orientation politique que pour leurs compétences. Dans d’autres domaines sociaux, les Pays-Bas obtiennent également de meilleurs résultats. Le pays connaît ainsi une pauvreté nettement moins élevée (13 %) qu’en Belgique (16 %). Le risque de pauvreté des personnes peu qualifiées (25-64 ans) est de 18 % aux Pays-Bas, mais de plus de 30 % en Belgique. Selon le World Happiness Report, qui classe les pays dans le monde selon leur niveau de bonheur, les Pays-Bas sont le cinquième pays le plus heureux du monde, la Belgique occupant la 18e
place.

L’économiste néerlandais Mathijs Bouman établit chaque année un « classement des classements ». Il n’inclut pas seulement le World Happiness Report et le Global Competitiveness Index, mais aussi un autre indice qui mesure le degré de compétitivité, le World Competitiveness Ranking. Il prend aussi en compte le Global Innovation Index, qui indique la capacité d’innovation de l’économie, et le Human Development Index, l’indice de développement humain, qui intègre, entre autres, la qualité de l’enseignement et de la santé. Dans ce « classement des classements » de Bouman, les Pays-Bas arrivent en deuxième position, derrière la Suisse, et la Belgique au 20e rang. C’est un bon résumé.

Chutes de béton

Les chaussées défoncées de Belgique symbolisent tout cela. Une infrastructure épouvantable malgré une fiscalité énorme, tel est « le paradoxe belge », comme on dit parfois. La raison de cette situation déplorable est que pour remettre un peu d’ordre dans les finances publiques, les pouvoirs publics belges ont, depuis les années 1980, réduit les investissements publics. Ils n’ont pas mis d’argent dans les nouvelles infrastructures routières, ni dans l’entretien, l’éclairage, les pistes cyclables, le drainage, etc. Le temps se venge et des chutes de béton se produisent dans les tunnels bruxellois. L’expert budgétaire Wim Moesen, professeur à l’université flamande de Louvain, la KU Leuven, l’a formulé un jour de manière incisive : « Les politiciens belges, par leurs coupes budgétaires, suivent la voie de la moindre résistance, mais c’est aussi la voie de la moindre intelligence. Une baisse des investissements publics conduit à une détérioration des infrastructures. C’est une politique à courte vue. »

Cette politique à courte vue est appliquée dans bien des domaines, tandis que les décideurs néerlandais semblent prendre davantage en compte le temps long, symbolisé par la solidité des digues et des barrages anti-tempête qui doivent protéger les Pays-Bas contre les inondations. Est-ce vraiment la lutte contre les eaux qui explique que les Néerlandais anticipent, dans d’autres domaines aussi, avec un ou deux siècles d’avance ? Ou existe-t-il en Belgique une propension à la facilité, consistant en une attitude de procrastination (Nous verrons bien demain !) ou même d’égoïsme (Après nous le déluge !) ? Tandis que les Pays-Bas sont marqués par les valeurs calvinistes du labeur et de l’austérité ? Toujours est-il que soixante-quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la différence entre les deux pays, sur le plan économique, est très grande et ne cesse de grandir.

Le présent article est la traduction française d’un texte paru dans Nulpunt 1945 (Année zéro 1945), Ons Erfdeel vzw, Rekkem, 2020.

Ewald pironet

Ewald Pironet

Journaliste à l'hebdomadaire Knack

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