Comment disparaît la frontière dans le Pays inondé de Saeftinghe
Le polder Hedwige est situé de part et d’autre de la frontière belgo-néerlandaise: la plus grande partie se trouve aux Pays-Bas, dans la province de Zélande, tandis qu’une petite partie se situe en Flandre belge. Dans la dispute autour de la dépoldérisation du polder Hedwige, il est arrivé que Belges et Néerlandais se retrouvent dos à dos. Mais de la douleur et de la discorde est né un plan commun pour revitaliser l’ensemble de la contrée. Ce qui auparavant constituait une pomme de discorde peut devenir une perle de la coopération entre la Flandre et les Pays-Bas.
Gina Poppe a un bac de peinture bleue à la main. La patronne du café Het Verdronken Land (Le Pays inondé) situé dans le hameau zélandais-flamand d’Emmadorp n’est pas du genre à baisser les bras en période d’épidémie de Covid. Son café était autrefois le cœur battant du combat contre la dépoldérisation du polder Hedwige. C’est ici qu’en juin 2011, le secrétaire d’État néerlandais Henk Bleker, en présence de la commissaire de la Reine, Karla Peijs, a triomphalement annoncé devant les caméras qu’il disposait d’un plan alternatif à la dépoldérisation. Une photo du moment historique est encore accrochée dans le modeste bistrot traditionnel rempli de bibelots.
La disparition programmée des digues du polder Hedwige avait été inscrite en 2005 dans les conventions sur l’Escaut passées entre les Pays-Bas et la Flandre. Elles comportaient des accords relatifs au financement et à l’exécution d’un nouveau creusement de l’Escaut afin de rendre le port d’Anvers plus accessible aux grands navires porte-conteneurs. Les Pays-Bas avaient précédemment négligé de réaliser des projets de restauration de la nature payés par la Belgique. Les règles européennes leur en faisaient pourtant obligation en cas d’atteinte à la nature protégée de l’Escaut occidental.
Le député de la province de Zélande Thijs Kramer avait imaginé un plan pour récupérer d’un coup le retard: restituer à la nature le polder gagné sur l’eau par la famille noble d’Arenberg en 1907, en même temps que quelques autres terres. Mais après la disparition de Kramer en 2006 lors d’un tragique accident en Chine, le bon peuple a oublié cet épisode. Beaucoup de Zélandais trouvaient que rendre à la nature des terres agricoles péniblement et difficilement gagnées sur la mer était une folie, et en ont blâmé les Belges.
© Fernand Verger
Bleker a habilement joué de ce sentiment. Les Flamands étaient furieux qu’il veuille s’affranchir d’accords solennellement inscrits dans un traité. C’était, selon le diplomate flamand Axel Buyse dans son livre Nulpunt 1945 (Année zéro 1945), un exemple pénible de l’incompréhension, de la méconnaissance et du rejet auxquels se heurtent souvent les Flamands aux Pays-Bas.
Coin perdu
Mais de cet affrontement féroce est maintenant née, précisément, une étroite coopération entre la Flandre et les Pays-Bas: le parc frontalier Groot Saeftinghe. Le plan d’aménagement couvre environ 18 000 hectares entre l’Escaut au nord, la voie rapide d’Anvers à Zelzate au sud, la petite ville fortifiée néerlandaise de Hulst à l’est et Doel à l’ouest. En 1998, une lettre a été adressée aux habitants de ce village, les prévenant d’avoir à céder la place pour l’installation d’un nouveau quai au port qui, en définitive, sera d’une taille beaucoup plus modeste, ce qui ne condamne plus Doel à la disparition.
© Servicenet Nationale Landschappen en Nationale Parken / Gebiedsagenda Grenspark Groot Saeftinghe
Nous pouvons sans crainte le considérer comme symbolique de la zone environnante: c’est une région délaissée dans un coin perdu aussi bien de la Flandre que des Pays-Bas. Et le parc frontalier doit justement lui donner une impulsion non seulement écologique, mais aussi sociale et économique.
«Le combat est terminé, et maintenant nous allons de l’avant», déclare Gina Poppe. «Si tout demeurait inchangé, nous serions encore à l’époque médiévale. Tout le monde s’est concentré maintenant sur le parc frontalier. Je vois des tas de possibilités.» Sur la digue, à un jet de pierre de son café, à une barrière est accrochée une grande toile qui représente l’avenir projeté. Nous voyons une ouverture verrouillable dans la digue, qui offre une vue sur le Pays inondé de Saeftinghe. Avec les polders dépoldérisés Prosper et Hedwige, ce territoire devrait devenir la plus grande zone humide marine d’Europe occidentale. Le long de la digue et sur la route se promènent des moutons, qui font office de ralentisseurs vivants. Au sommet de la digue se trouve un abri en bois, construit avec les arbres coupés dans le polder Hedwige. Les promeneurs du Pays inondé peuvent y faire halte et rincer leurs bottes, les villageois y tenir un petit marché.
© Grenspark Groot Saeftinghe / Sven Dullaert
Le hameau néerlandais d’Emmadorp sera l’un des points de départ pour les visiteurs du parc frontalier. Depuis l’office de tourisme du Paysage zélandais situé à côté du café, les promeneurs peuvent découvrir le Verdronken Land van Saeftinghe. La Mariahoeve, une ferme spécialisée dans les plantes halophiles comme la salicorne ou la mertensie maritime, loue des vélos et exploite avec l’IJshoeve (ferme-glacier) De Boey à Sint-Gilliis-Waas, le Zonnetrein (train fonctionnant avec des panneaux solaires) qui parcourt le parc frontalier. C’est l’une des nombreuses collaborations entre entrepreneurs néerlandais et belges. Un autre office de tourisme est prévu dans le village belge de Prosperpolder, dans la ferme historique construite par le duc d’Aremberg et la grange dépendante, un monument protégé qui abrite un moulin complètement conservé.
Poppe voit arriver d’un bon œil les randonneurs et les cyclotouristes. Le parc frontalier n’est pas seulement le joujou des écologistes, insiste-t-elle. «Nous offrons l’hospitalité. Tous ensemble, nous voulons avoir du poids, chacun avec sa petite entreprise. Nous avons hâte de commencer.» Poppe, qui était aussi l’un des personnages hauts en couleurs du programme de télévision Typisch Land van Hulst (une série documentaire faisant le portrait d’habitants connus de Hulst et diffusée en 2019 sur NPO2) est originaire de Sinay, dans le Pays de Waes (situé entre Anvers et Gand). Son mari est néerlandais. La collaboration entre Flamands et Zélandais dans le parc frontalier est, selon elle, excellente. «Tout ceci, c’est la Flandre.»
© Vlaamse Landmaatschappij
Ibiza sur Escaut
Avec Hans Dujardin, président de la Fondation Hulst Culturel et guide dans le parc frontalier, je me suis retrouvé dans le café pour acheter une boisson à emporter. Tandis que nous avançons dans le parc, il dit que des gens de la région sont certainement encore frustrés par les dépoldérisations. C’est le cas parmi les paysans belges qui ont obtenu un montant par hectare trop faible pour pouvoir acheter de la terre ailleurs. Mais ce qui a été bien accueilli, c’est l’idée des «tenants régionaux» (streekholders), des gens ayant la région à cœur, disposés à contribuer aux développements du parc frontalier et qui adhèrent totalement aux projets pour la zone. Comme Gina Poppe. «Les hôtes espèrent en tirer un profit», dit le Zélandais, pragmatique. C’est un ancien cadre financier de Dow, géant de la chimie installé à Terneuzen. «De ce fait, le sentiment positif va lentement s’imposer.»
Cette région a également grand besoin d’une injection d’espoir. Jusqu’en 2003, le bac Perkpolder-Kruiningen reliait la partie orientale de la Flandre zélandaise au Beveland-du-Sud. De là, on prenait la direction de Bergen-op-Zoom pour pénétrer plus avant dans les Pays-Bas. Le creusement du Tunnel de l’Escaut occidental près de Terneuzen a tué le bac. «La traversée était une promenade agréable», se souvient Dujardin quand nous dépassons Kloosterzande, le village qui se trouvait près du point d’embarquement. «Il y avait des croquettes et de la soupe aux pois à bord du bateau. Maintenant, nous devons payer un péage pour rester dans notre propre pays. Kloosterzande est devenu beaucoup moins animé.» Les cafés et les jeunes ont déserté la région. L’espoir est que les touristes, les visiteurs et, qui sait, les habitants attirés par le parc frontalier également, amélioreront la qualité de vie dans les villages.
© Wikimedia commons
Quelques kilomètres après Kloosterzande, nous dépassons des terres agricoles en jachère. «Doivent-elles aussi retourner à l’état de nature?» Dujardin me répond: «Non, ce sera un terrain de golf.» Ici, au milieu de nulle part? Un peu plus loin, un grand panneau publicitaire nous fournit l’explication. À cet endroit, juste derrière la digue de l’Escaut occidental, un nouveau quartier de standing va être édifié, Waterzande, aussi appelé Hulst-sur-Mer. «This is Where It All Happens», proclame le site web. Le beach club branché Bar Goed est déjà en place. «Profitez de notre Ibiza-sur-Escaut», peut-on lire sur un panneau.
Sous un soleil printanier radieux, il n’est pas difficile de s’imaginer que la terrasse, une fois la Covid disparue, sera remplie des futurs résidents et de cyclotouristes. La vue sur l’Escaut, qui décrit ici une courbe majestueuse et sur lequel d’énormes porte-conteneurs glissent en zigzag, est magnifique. Les habitants pourront bientôt attacher leur propre sloop dans la marina qui pourra accueillir trois cent cinquante bateaux. Dujardin peut déjà s’imaginer les Anversois fortunés installés ici traverser pour Kruiningen avec le bac pour piétons afin d’y dîner dans le restaurant trois étoiles. Il suppose que beaucoup de Belges viendront habiter à Hulst-sur-Mer. «Nous ne construisons pas cela seulement pour les Néerlandais, mais vraiment, pour une grande partie, pour le marché belge», me confiera le maire de Hulst, le lendemain.
«Ces Belges voudront payer leur cotisation au club de golf en liquide», dit Dujardin pour plaisanter. Ils ont en Flandre zélandaise l’expérience des Belges qui souhaitent se débarrasser de leur argent sale. Jusqu’à la levée du secret bancaire, les banques étaient avec les sex-shops les grands pôles d’attraction de Hulst pour les voisins du sud. Né et élevé dans la petite ville, Dujardin se souvient encore très bien de quelles maisons sortaient les Belges pour acheter un cornet de frites à la baraque où, jeune homme, au début des années soixante-dix, il se faisait un peu d’argent. Il raconte cela alors que nous passons dans le polder devant un entrepôt vide de Beate Uhse, société de vente par correspondance de marchandises érotiques tombée en faillite.
les Belges en Flandre zélandaise, comme les Néerlandais à Brasschaat, s’intègrent, mais au compte-gouttes. «Pour le moment, ils se contentent d’habiter ici»
Si les voisins du sud sont les bienvenus pour l’économie de la Flandre zélandaise, il reste néanmoins des frictions réciproques. La pénurie sur le marché immobilier pousse les Flamands à franchir la frontière, où les maisons sont moins chères. Leur arrivée a sans doute des avantages. Il y a quelques années, la Flandre zélandaise menaçait encore de devenir une région en déclin, mais ce temps est révolu. Cependant, les Belges en Flandre zélandaise, comme les Néerlandais à Brasschaat, s’intègrent au compte-gouttes. «Pour le moment, ils se contentent d’habiter ici», dit le citoyen de Hulst. «Leur vie sociale se déroule de l’autre côté de la frontière, où leurs enfants sont scolarisés. Le matin, les bus scolaires belges passent ramasser les enfants. L’accueil dans les écoles est beaucoup moins cher là-bas», ajoute-t-il pour relativiser. «L’intégration prend du temps, mais elle a bien lieu.»
Nouvelle nature
Le parc frontalier Groot Saeftinghe n’a pas seulement l’ambition d’abolir la frontière flamande-néerlandaise, mais aussi de rapprocher harmonieusement nature, agriculture et port. Les trois sont étroitement liés dans cette région. De l’observatoire ornithologique situé à deux kilomètres à l’est de l’Emmapolder, on a vue sur le Pays inondé de Saeftinghe. C’est un paysage quelque peu désolé, d’une étrange beauté, où le connaisseur peut observer une grande diversité d’oiseaux. Juste à côté de la cabane, des conduites de gaz vont parcourir le fond en direction du port de Rotterdam. En portant le regard un peu plus à droite, on donne sur le marais salé Sieperdaschor. Celui-ci s’est formé après la rupture de la digue d’été en 1990 et la décision des autorités de ne pas la réparer. Les roseaux couvrent la zone. «La crainte est que le polder Hedwige, aussi, ne devienne que roseaux», dit Dujardin. «Ce n’est pas ce qu’on souhaite du point de vue de la nature.»
Dans son livre Dit is mijn Hof (2015), l’écrivain Chris de Stoop a esquissé le destin tragique de paysans contraints de s’effacer devant la nouvelle nature. Il y a peu, il a publié deux photos côte à côte sur sa page Facebook. L’une d’une belle allée bordée d’arbres dans un paysage de verdure où se trouve une ferme blanche. C’est ce à quoi ressemblait le polder Hedwige encore récemment. Et l’autre d’un paysage labouré, désolé, avec la présence d’un conteneur rouge. C’est maintenant. Il a recueilli des centaines d’émoticônes tristes et en colère.
il peut être fructueux d’intervenir d’une manière qui maximise l’illusion de naturel et les chances pour la biodiversité
Moi aussi, je ressens une petite vague d’indignation alors que je me trouve avec Dujardin sur la digue devant le Centre d’information du parc frontalier Groot-Saeftinghe et que je contemple les polders Prosper et, plus loin, Hedwige. Dans le paysage dénudé, une dizaine de véhicules appartenant aux gens occupés à créer la nouvelle nature sont garés près d’un hangar. Des bulldozers vont et viennent. Ils creusent les chenaux qui bientôt permettront à l’eau de pénétrer à marée haute. Avec l’argile qu’ils récupèrent, ils vont édifier une colline panoramique de 28 mètres de haut surmontée d’une tour d’observation de 25 mètres. Un chemin en colimaçon conduira à une terrasse panoramique d’où le visiteur aura vue à 25 kilomètres sur l’Escaut et sur le port.
© Grenspark Groot Saeftinghe / Theo Baart
Nouvelle nature: voilà qui reste une idée sous tension. La première définition de la nature dans le dictionnaire est «tout ce qui sur terre n’a pas été fait par l’homme». Cependant, je me rappelle à l’ordre, il est trop facile d’éliminer toute idée de développement de la nature comme étant une foutaise. La nature, au sens originel du terme, n’existe plus depuis longtemps dans nos contrées. Chaque paysage est le produit de l’intervention humaine. Et il peut être fructueux d’intervenir d’une manière qui maximise l’illusion de naturel et les chances pour la biodiversité.
C’est l’idée qui préside à la dépoldérisation du polder Hedwige. Ici, un paysage de prés salés, de vasières et de plaines est prévu pour être un lieu idéal pour le repos et la subsistance des oiseaux migrateurs. Certes, il faut encore pas mal d’imagination quand on se trouve sur la digue devant le Centre d’information, face au paysage lunaire avec, sur la droite, les grues et les entreprises chimiques du port d’Anvers et, en oblique derrière soi, les énormes tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Doel. Mais si l’on en croit les piles de rapports scientifiques, les travaux d’excavation offrent une véritable chance pour une plus grande diversité des espèces.
© Grenspark Groot Saeftinghe / Theo Baart
Le temps nous le dira. Il faudra attendre encore un bout de temps avant que la plus grande zone d’estran d’Europe occidentale ait fini ici sa croissance. Et pour que les itinéraires cyclables et pédestres à travers le parc frontalier soient aménagés, et que les logeurs puissent accueillir les visiteurs au maximum de leur capacité, il faudra bien compter cinq ans, estime le guide.
Fierté administrative
Nous pouvons ajouter probablement quelques années avant qu’un miracle ne s’accomplisse dans le village de Doel. Pour terminer le tour en beauté, Dujardin m’y conduit. Derrière quelques fenêtres est accroché un mot: «habité». Les portes et les fenêtres de toutes les autres maisons sont barricadées avec les plaques de métal. À la question de savoir si et comment diable ce village pourrait être réanimé, Dujardin n’a pas non plus de réponse toute faite. De nombreuses commissions se pencheront sur le sujet. Peut-être le mieux est-il de laisser les choses en l’état, comme un monument de fierté administrative.
Le brillant agenda du territoire du parc frontalier Groot Saeftinghe, déjà arrêté avant que le gouvernement flamand ait décidé de conserver le village, est muet quant à Doel. Mais pour ce qui est du hameau d’Ouden Doel, situé à quelques kilomètres, la perspective est attrayante. «On a ici une vue sensationnelle sur le port d’Anvers et les tours de refroidissement de Doel», peut-on lire. C’est parfaitement exact. Sur cet «endroit parfait», une plate-forme d’observation sur l’Escaut doit être aménagée et, avec un peu de chance, un embarcadère pour un bateau-bus aussi. «Alors, Ouden Doel pourrait devenir la porte d’eau du Parkhart et attirer un nouveau flux de visiteurs venus d’Anvers et des Pays-Bas.»
© Grenspark Groot Saeftinghe / Theo Baart
Ce beau rêve deviendra-t-il réalité? Cela aussi, l’avenir le dira. En tout cas, ce ne sera pas faute d’enthousiasme de la part de Dujardin. «Nous collaborons bien en tant qu’équipe de guides», dit-il alors que nous mangeons un sandwich au bureau de renseignements. Il n’empêche que les différences culturelles se manifestent parfois. «Nous autres Néerlandais réagissons immédiatement, les Belges sont plus réfléchis. À première vue, les meneurs sont souvent des Néerlandais.»
Comment la frontière a disparu
«Je pense que je reconnais cela, et que c’est pourquoi je suis toujours président», dit Jan-Frans Mulder en riant, tandis que je suis en liaison vidéo avec lui le lendemain. En arrière-plan, il a une belle vue sur les remparts et la basilique de Hulst. Le Hollandais de Dordrecht est maire en Flandre zélandaise depuis 2000, d’abord à Axel et maintenant à Hulst. Sa retraite est en vue, mais il n’a pas l’intention de quitter la région.
Mulder est aussi président de EGTS Linieland van Waas en Hulst (Région de la ligne du Pays de Waes et Hulst). Ce groupement financé par des fonds européens, où siègent des maires et des députés, est le moteur du parc frontalier. En fait, la présidence devrait être alternée entre un maire néerlandais et un maire belge, mais Mulder est resté. Ce qui a aidé, c’est qu’il soit démocrate-chrétien, comme les maires de l’autre côté de la frontière, pense-t-il.
Il considère le parc frontalier comme un gros succès de la coopération flamande-néerlandaise. «Le polder Hedwige était très sensible», dit-il, reconstituant l’histoire. «Il fallait le réhumidifier, l’inonder, disait-on ici, en Zélande. En fait, c’est la faute des Pays-Bas qui ont assigné à l’Escaut occidental le rôle de réserve naturelle estuarienne.»
Ils ne l’ont pas fait que pour de nobles mobiles, mais aussi pour influer sur Anvers, dit Mulder. «La Belgique avait déjà mis en place toutes les compensations environnementales, mais aux Pays-Bas on discutait toujours et pas un grain de sable n’avait été déplacé», poursuit le maire. «Au conseil municipal, ici, c’était aussi un sujet très sensible. Une moitié des gens disait: cela se fera, essayons d’en tirer avantage. L’autre moitié disait: nous devons continuer la lutte. Alors j’ai dit: si nous présentons une réaction divisée devant le secrétaire d’État, nous lâchons tout.»
Mulder considère le parc frontalier comme un gros succès de la coopération flamande-néerlandaise
Sur la photo avec Bleker et Peijs accrochée dans le café Het Verdronken Land figure également Mulder. Son conseil municipal a suivi son avis et choisi sans équivoque une ligne qu’il a défendue contre Bleker: nous sommes opposés à la dépoldérisation, mais si elle a lieu cependant, la zone alentour doit recevoir un coup de pouce.
Le maire en appelle à Chris de Stoop –savoir si l’auteur en serait satisfait, c’est la question–, comme étant quelqu’un exprimant des critiques constructives: «Il nous a prévenus de prendre garde à ne pas bourrer la zone comme une sorte d’Eurodisney, avec toutes sortes de choses disparates.» Les administrateurs ont ainsi pris conscience qu’ils devaient «remonter à la source», puiser dans l’histoire de la région et y impliquer les habitants. «Alors nous avons commencé à travailler avec des tenants régionaux, des gens de la région à qui nous avons demandé ce qu’il fallait en faire. Il y a eu plein de séances intéressantes, desquelles ont émergé des idées toujours plus belles qui sont devenues le support du parc frontalier. Comme la «brillante idée» aux yeux de Mulder, de ne pas évacuer l’argile, mais d’en faire un vaste tertre.
À l’origine, les Belges et les Néerlandais se tournaient le dos dans la région, raconte le maire. Mais en entrant en contact les uns avec les autres, ils se sont rapprochés. «Je me rappelle que nous avions fait une excursion en autocar et qu’un producteur de fruits belge est venu nous raconter une histoire», se souvient-il. «De génération en génération, sa famille avait possédé un verger. Il a raconté comment, avec chaque arbre fruitier qu’on arrachait du sol, c’était un morceau de son histoire qui disparaissait. Il a raconté cela avec une telle intensité que j’avais l’impression d’être chez le dentiste et qu’on m’arrachait une dent sans anesthésie.»
En ressentant la douleur de l’autre et en sondant les intentions, mais surtout en concevant ensemble des plans pour la région, les voisins du nord et du sud se sont trouvés. «C’est pour moi l’une des plus belles choses que nous ayons pu réaliser avec le parc frontalier», dit Mulder fièrement. «Ils ont dit: c’est notre région, et alors la frontière a disparu.»