Comment et pourquoi favoriser le bilinguisme français-néerlandais des enfants frontaliers?
En région frontalière encore plus qu’ailleurs, le bilinguisme est un atout important. Mais que faire lorsque les structures en place ne favorisent pas suffisamment l’apprentissage d’une deuxième langue? Émilie Ducourant raconte pourquoi des familles comme la sienne font le choix d’envoyer leurs enfants à l’école dans le pays voisin.
Depuis que nous sommes devenus parents, il y a bientôt 15 ans, mon mari et moi avons un projet éducatif bien particulier pour nos enfants. Nous voulons leur offrir le bilinguisme français/néerlandais. Un sacré défi dans une famille où l’on ne parle quotidiennement que le français et dans une région qui ne favorise pas particulièrement les initiatives linguistiques.
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Ce cadeau pour la vie, nous avons pourtant voulu l’offrir à nos enfants. Nous espérons ainsi leur permettre une démarche assurée, sur deux jambes. La première leur permettra de garder un lien linguistique et culturel avec leurs aïeuls, leurs ancêtres, leur histoire, le néerlandais étant une porte d’entrée privilégiée pour s’intéresser à la culture flamande de notre Flandre française. La deuxième leur permettra d’avancer sereinement vers l’avenir avec un horizon élargi dans notre région où la frontière est encore trop souvent un mur indépassable. Professionnellement, culturellement, socialement, le bilinguisme double toutes les opportunités.
Pour les familles résidant en milieu frontalier, comme c’est actuellement notre cas à Bailleul, la solution la plus simple qui existe actuellement pour offrir le bilinguisme est l’immersion dans une classe de l’autre côté de la frontière. Quelques Flamands belges scolarisent ainsi leurs enfants en France 100% en français. D’un autre côté, quelques Flamands de France, comme nous, scolarisent leurs enfants en Flandre belge, 100% en néerlandais. Quelle belle surprise et quelle joie de voir nos enfants s’épanouir en quelques mois tout naturellement dans les deux langues!
Hormis la scolarisation, les activités périscolaires (danse, dessin, musique, théâtre…) ou encore les camps linguistiques (colonies de vacances, cours d’été…) sont des solutions qui nous ont aidés à maintenir le lien avec la langue étrangère néerlandaise pour notre fille ainée, après son retour dans le système scolaire français.
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Ces choix que nous avons faits pour nos enfants et que quelques familles font des deux côtés de la frontière, j’aimerais qu’ils soient accessibles bien plus largement et bien plus facilement. L’opportunité du bilinguisme devrait être offerte à tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale ou les possibilités d’organisation familiale. Permettre l’accès au bilinguisme aux enfants des classes populaires est une mesure sociale que je défends dans mon engagement politique au sein du parti écologiste Europe Ecologie – Les Verts. Je souhaite qu’un enseignement à parité en français et en néerlandais soit proposé en France.
Dans d’autres régions de France, le bilinguisme est encore une réalité vivante. On peut et on doit prendre exemple sur ces réussites. C’est particulièrement le cas en Alsace: 30 000 enfants y sont scolarisés dans des sections bilingues français/allemand. En Flandre française, une seule école propose de scolariser son enfant 50% du temps scolaire en néerlandais. Il s’agit de l’école Alain Savary de Dunkerque.
Pourquoi cette différence entre deux territoires de la République française? Pour une raison simple qui pourrait être corrigée: en Alsace, l’allemand est considéré comme la langue régionale aux côtés de l’alsacien. C’est pourquoi je milite également afin que le néerlandais, forme écrite de notre dialecte régional flamand, soit reconnu comme langue régionale. Un institut de la langue régionale néerlandaise devrait être créé afin de permettre le développement de cette langue indispensable à la construction de notre avenir commun au-delà de la frontière.
la mise en place d’un partenariat tripartite entre la Flandre belge, les Pays-Bas et la France serait un atout important pour les jeunes lycéens
Par ailleurs, pour valoriser l’apprentissage scolaire bilingue, la délivrance d’un double diplôme français/néerlandais doit aussi être envisagée en sortie de formation. Des sections binationales existent déjà et permettent la délivrance du baccalauréat français et du diplôme équivalent dans le pays partenaire. C’est le cas d’Abibac pour les sections français/allemand, de Bachibac pour le français/espagnol et d’Esabac pour les sections français/italien. Ces sections binationales du lycée passent par des accords bilatéraux et permettent aux lycéens des deux pays de s’engager à moyen terme dans une orientation dans le pays partenaire et à plus long terme d’envisager des opportunités d’intégrations professionnelles riches et variées. Concernant les sections bilingues français/néerlandais, la mise en place d’un tel partenariat tripartite entre la Flandre belge, les Pays-Bas et la France serait un atout important pour les jeunes lycéens.
Car les grands défis auxquels nous aurons à faire face sont aussi inscrits dans la coopération transfrontalière. Les questions de gestion de l’eau, de l’énergie, de la qualité de l’air, de l’alimentation, de l’agriculture et bien d’autres, se posent déjà et se poseront demain avec plus d’intensité encore, au-delà de la frontière. Nous devrons communiquer tous ensemble, et pas seulement entre locuteurs anglophones, pour établir les solutions souhaitables qui construiront notre avenir commun. Culturellement aussi, pour vivre vraiment l’Europe ensemble, commençons par communiquer avec nos voisins les plus proches, dans leur langue et la nôtre.