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société

Comment ouvrir de nouvelles passerelles culturelles entre francophones et Flamands?

Par Hans Vanacker, traduit par Jean-Marie Jacquet
20 octobre 2021 7 min. temps de lecture

Le 13 octobre, notre revue en français Septentrion. Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas a organisé une table ronde sur le thème «Francophones et Flamand.e.s: compagnons/compagnes culturel.le.s?» L’événement a eu lieu au Delta, espace culturel de la province de Namur. S’inscrivant on ne peut mieux dans la ligne du dossier «Passerelles» du numéro de Septentrion
récemment paru, cette table ronde a été l’occasion de se pencher sur le fait qu’on se connaît mutuellement trop peu, mais aussi sur l’évident intérêt du multilinguisme et sur le rôle de plus en plus important qui revient à la capitale du pays.

«J’étudie le néerlandais pour unifier le pays.» Présente parmi de nombreux jeunes au Delta, Mai-Linh Hān Nguyên, étudiante en néerlandais à l’université de Namur, a ainsi résumé pourquoi, malgré le scepticisme de ses amis et amies, elle avait choisi la langue de ses compatriotes flamands. Cette jolie phrase est sa réponse à une question que lui avait posée Françoise Baré, journaliste de la RTBF et modératrice de la table ronde.

Le débat a réuni le Poète national belge Carl Norac, Brigitte Neervoort, membre du collectif de théâtre Transquinquennal, François Brabant, rédacteur en chef de la revue belge Wilfried, et l’humoriste flamand Bert Kruismans. Aucun d’eux n’a émis concrètement de doutes sur la pérennité de la Belgique, mais chacun et chacune sont convenus avec une belle unanimité que les néerlandophones et les francophones ne se connaissent pas suffisamment.

Sensibilités différentes

Il n’est pas difficile de trouver des exemples démontrant ce manque de connaissance réciproque. Lorsque Bert Kruismans prépare une tournée en Belgique francophone, il se voit contraint de prendre en compte une réalité sociale partiellement différente et un cadre de référence différent. Des noms et des concepts qui résonnent comme des évidences en Flandre s’avèrent inconnus dans la partie francophone du pays (et vice versa). Et ce n’est pas tout. Ainsi qu’il l’explique lui-même dans son passionnant article publié dans Septentrion, n° 1-2021 et sur le présent site, Kruismans n’a pas tardé à comprendre qu’il existe également d’autres raisons pour lesquelles on ne peut pas raconter les mêmes blagues en Flandre et en Wallonie. C’est que les sensibilités ne sont pas toujours les mêmes entre les deux régions. Kruismans ajoute cependant une nuance de taille: il perçoit souvent des différences encore plus grandes entre la ville (par exemple Bruxelles) et la campagne (tant en Flandre qu’en Wallonie).

Un autre exemple frappant montre que Flamands et francophones, d’une certaine manière, se tournent mutuellement le dos: en 2019, Carl Norac apprend que l’écrivain flamand Bart Moeyaert est le lauréat du prix Astrid Lindgren (une sorte de prix Nobel de littérature jeunesse). À peine Norac a-t-il le temps de féliciter son confrère sur les réseaux sociaux qu’il se voit assailli par des journalistes et critiques francophones, qui n’ont jamais entendu le nom de Bart Moeyaert.

Signaux positifs

Ne croyez surtout pas que la table ronde à Namur a été une longue succession de jérémiades! Car, peu après avoir manifesté son irritation sur le manque d’enthousiasme en Belgique francophone lors de l’attribution du prix Astrid Lindgren, Norac a dit observer dans ce même monde littéraire une évolution dans le bon sens. De plus en plus d’écrivains néerlandophones jouissent d’une notoriété croissante de l’autre côté de la frontière linguistique, et la mise en œuvre du projet trilingue (français – néerlandais – allemand) «Poète national belge» par les maisons de la poésie est un modèle de coopération constructive.

La note émotionnelle est venue de François Brabant. De retour d’une visite dans la vallée de la Vesdre, en province de Liège, qui a gravement souffert des inondations, il s’est dit frappé de voir que la majorité des bénévoles venus prêter main forte aux sinistrés étaient des Flamands. Leur aide a été grandement appréciée par la population locale. D’aucuns ont fait remarquer le contraste avec le discours politique séparatiste qui fait parfois florès de part et d’autre de la frontière linguistique. Brabant se refuse néanmoins à tout ramener à un fossé entre les gens et le monde politique.

Les signaux les plus positifs ont finalement été ceux qu’a mis en avant Brigitte Neervoort. Elle a tenu à souligner les nombreuses formes de collaboration qui voient le jour à Bruxelles dans les directions les plus diverses. Maints exemples attestent, selon elle, que néerlandophones et francophones sont capables d’y collaborer sans le moindre parti pris et s’enrichissent de leurs influences réciproques, particulièrement dans le monde des arts de la scène. Les propos de Mme Neervoort ne sont pas très éloignés de ceux que tient notre rédacteur en chef Hendrik Tratsaert dans son article «Comment se rapprocher entre francophones et néerlandophones?» paru dans le dossier «Passerelles» du récent numéro de Septentrion et sur le présent site.

Apprenez vos langues!

Que faut-il pour que Flamands et francophones réapprennent à se connaître? Difficile de répondre à cette question de façon décisive.

La structure étatique de la Belgique n’est certainement pas faite pour favoriser le rapprochement. Ainsi, un événement dans la partie francophone du pays avec la participation d’un artiste flamand ne recevra généralement pas de subside de la Fédération Wallonie-Bruxelles (motif: artiste flamand) ni de la Flandre (motif: l’événement ne se déroule pas en Flandre). De plus, l’accord de coopération culturelle que la Flandre et la Belgique francophone ont péniblement conclu en 2012 n’a actuellement, pour reprendre les mots de Brigitte Neervoort, qu’une portée «plutôt symbolique».

Il se peut très bien que, davantage qu’ils ne s’en rendent compte, ce soit aux Belges eux-mêmes de trouver la solution. Au lieu de se détourner, délibérément ou non, les uns des autres, Flamands et francophones devraient, d’après François Brabant, considérer la coopération comme une évidence qui s’impose jour après jour. Mais, pour travailler ensemble, il y a intérêt à ce que chacun des deux partenaires connaisse les sensibilités de l’autre et qu’au moins il les comprenne, en d’autres termes qu’il comprenne sa langue.

le multilinguisme (avec une maîtrise convenable du français et du néerlandais) constitue un atout majeur

C’est là, précisément, que le bât blesse. En Flandre, a encore dit Bert Kruismans, le français est devenu une langue étrangère parmi beaucoup d’autres. L’anglais, très présent dans la réalité quotidienne, a détrôné le français. L’enseignement du français en Flandre s’en ressent durement. La situation en Wallonie –si tant est que ce soit possible– est encore un peu plus préoccupante. Il n’est toujours pas obligatoire d’y choisir le néerlandais comme première ou seconde langue étrangère, quel que soit l’âge ou le niveau. Bien des élèves quittent les bancs de l’école sans jamais avoir entendu un mot de néerlandais. L’enseignement en immersion –et ceci vaut aujourd’hui en Flandre également– n’est malheureusement qu’un emplâtre sur une jambe de bois, car il n’est proposé que dans une proportion très limitée d’établissements.

Et pourtant le multilinguisme (avec une maîtrise convenable du français et du néerlandais) constitue un atout majeur. Dans le monde de l’entreprise, un personnel de cadre parlant à la fois le néerlandais et le français est très apprécié. La connaissance des deux langues devient même dans un grand nombre d’entreprises une condition d’avancement professionnel, et ce malgré la pression accrue de l’anglais. De plus, ainsi qu’il a également été souligné durant le débat, «si on ne connaît pas une langue, on ne peut comprendre la culture». Bref, il importe que les pouvoirs publics investissent dans l’enseignement des langues, et il est certain que Flamands et francophones pourraient faire un effort pour (mieux) connaître la langue de l’autre. Qu’attendons-nous?

Le débat a été organisé à l’occasion des cinquante ans de Septentrion.
Le 9 décembre prochain, nous organiserons à Bozar à Bruxelles un débat analogue, et en février 2022 se tiendra à Paris une table ronde sur la manière dont les Français et les Néerlandais se perçoivent réciproquement. Consultez notre page événements ICI.
HV

Hans Vanacker

secrétaire de rédaction de Septentrion

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