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littérature compte rendu

Conjugaisons conjugales: «Je ne suis pas là» de Lize Spit

27 avril 2023 4 min. temps de lecture

Après une entrée remarquée dans les lettres flamandes avec Débâcle, Lize Spit fait paraître Je ne suis pas là, un roman dans lequel elle décrit avec une précision clinique les effets de la dépression sur un couple.

«Nous commettons tous quelques horreurs», déclarait ironiquement Lize Spit (°1988) à nos confrères de l’hebdomadaire flamand Knack. Cet épiphénomène belge assume clairement son style cruellement percutant, sans concessions ni respirations pour les lecteurs. Avec Débâcle, elle a fait une entrée fracassante en littérature, à seulement 28 ans. Un premier roman glaçant qui lui a valu plusieurs prix en néerlandophonie. Teinté d’une violence sournoise, il se déroulait en rase campagne, là où l’auteure a grandi. Spit a ensuite quitté cette région pour poser ses valises à Bruxelles et y effectuer des études cinématographiques. Chroniqueuse au journal flamand De Morgen, elle y croque le quotidien avec beaucoup de mordant.

Son second roman paraît dans la collection des «Lettres néerlandaises» d’Actes Sud, dirigée par Philippe Noble. L’histoire d’un couple soudé qui va peu à peu se déliter, à cause d’un ennemi invisible. Comme le précise d’emblée l’héroïne, «ce n’est pas un récit où les yeux de l’un rencontrèrent ceux de l’autre, soudain auréolés d’une lumière intense et de la certitude qu’ils sont faits pour vivre ensemble jusqu’à la fin de leurs jours.» Non pas que Simon semblait déplaisant, c’est juste que Leo était en apnée dans son chagrin. Ce «mode survie» était dû à la perte de sa mère. Tel est d’ailleurs le point commun qui va les unir en premier lieu. Un deuil qu’ils ont besoin de combler par de la tendresse et une bienveillance protectrice. C’est «en hommage à nos mères» respectives que le duo construit son nid. «C’était l’odeur d’un foyer.»

Alors que, dix ans durant, tout a semblé paisible, un grain de sable va s’immiscer insidieusement entre eux. C’est par une nuit a priori tranquille que Simon rentre dans un drôle d’état. Non seulement il s’est fait tatouer, mais en plus il a démissionné de sa boîte. À quoi joue-t-il? Leo se persuade qu’il s’agit «d’un simple moment d’égarement». Au fil du temps, il devient cependant parano et ne reprend pas pied. Sa compagne a de plus en plus de mal à reconnaître l’être aimé. Ce sentiment aliénant les entraîne vers des sables mouvants… «Je me sens prise en étau. Je suis une balle antistress dans la main d’un géant invisible. Lentement, mais sûrement, je me sens écrabouillée.»

Dans son désarroi, la protagoniste ne parvient même pas à se confier à leurs meilleurs amis, qui vont avoir un bébé. Difficile de décrire «l’ancien Simon», tant ce Mister Shining lui semble troublant. «La créature qui se cachait en lui devait d’abord disparaître complètement avant que j’aie envie de le revoir.» Aussi éprouve-t-elle le besoin de confier sa souffrance, sous un nom d’emprunt, dans un magazine féminin flamand. «Il existait des milliers de Simon possibles qui, sous l’effet de minuscules variations, avaient tous des particularités différentes, mais en même temps n’étaient jamais vraiment lui.» Lui-même ne sait plus trop à quel saint se vouer. «Il avait tout pour redevenir le Simon d’autrefois, seule la motivation lui manquait. Il ne savait pas quoi faire de son corps, ne se rappelait plus comment c’était d’être soi-même.» Interné, il part dans des délires impossibles à maîtriser, tant son esprit fonctionne à vive allure. Quelle torture! «Je m’appelle Simon et je suis M… Magistral? Mirifique, masculin? Mégalo, mythomane, méfiant, maniaque? Monstrueux, minuscule, massacreur de chats? Motivé pour guérir?»

C’est le Docteur Licorne qui prononce pour la première fois le diagnostic: bipolarité. «Si on accepte que ça ne passera jamais, alors seulement on peut vivre avec.» Une perturbation qui porte enfin un nom, mais est-ce pour autant rassurant? Et quel est le mode d’emploi pour y faire face sereinement? Faisant preuve d’une précision presque clinique à l’égard de ses personnages, Lize Spit les enlise dans la dépression et ses effets collatéraux sur le couple. Celui-ci rime toujours avec fusion, dans notre imagination, or la réalité peut méchamment nous rappeler à quel point il est composé d’êtres distincts. Un sujet tabou auquel son héroïne a beaucoup de mal à faire face. L’amour est-il le meilleur remède contre l’usure du temps et des épreuves? Suffit-il pour panser les plaies?

Lize Spit, Je ne suis pas là (titre original: Ik ben er niet), traduit du néerlandais par Emmanuelle Tardif, éditions Actes Sud, Arles, 2023.

Cet article a initialement paru dans Septentrion n° 7, 2023.

Kerenn Elkaïm

Kerenn Elkaïm

critique littéraire

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