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littérature

Dagmar Dirkx – De merveilleux décombres

Par Dagmar Dirkx, traduit par Noëlle Michel
19 octobre 2022 3 min. temps de lecture Le calme avant la tempête

Dix-huit jeunes écrivain·es de Flandre et des Pays-Bas donnent la parole à un objet du XIXe siècle exposé au Rijksmuseum. Ils et elles ont écrit une histoire en se posant la question suivante: que voit-on lorsqu’on regarde ces objets dans la perspective d’une catastrophe imminente? Dagmar Dirkx s’est inspiré du tableau Mediterende monnik bij ruïne in de nacht (Moine méditant près de ruines au clair de lune). «Il nous faut aborder la question des lichens.»

De merveilleux décombres

Il nous faut aborder la question des lichens.

Voyez-vous cette petite touche de peinture jaune-vert sur le banc de pierre? Sans doute un spécimen d’Oxneria huculica. Et au-dessus des arcs en ogive de la chapelle? Un lichen à squamules, Lecanora antiqua. Pour les connaisseurs, nous avons ici également Haematomma ochroleucum, Porpidia tuberculosa ou encore Placynthium nigrum. L’ensemble du site de l’abbaye de Villers-la-Ville n’est qu’un seul et même festin de lichens crustacés.

Vous n’êtes pas ici pour Varicellaria lactea, je le sais bien. Vous avez acheté un ticket en espérant recevoir en échange une portion de romantisme à prix raisonnable, vous lancer dans l’exploration sympathique d’un passé simple. Frissonner avec délice devant l’apocalypse d’autrui, face à des ruines et débris qui ne sont pas les vôtres.

Ne vous méprenez pas sur mes intentions. Vous avez droit à ce point de fuite. C’est précisément pour cette raison que nous laissons en paix de grands tapis de Diploicia canescens ou d’acrocarpes: après tout, un peu de délabrement ne fait de mal à personne. Cela vaut aussi pour Villers-la-Ville. Les mousses sont apparues dès que l’on a posé la première pierre, en 1190. À un rythme imperturbable de 0,1 millimètre par an, elles se sont multipliées pendant les révolutions, ont survécu à bien des luttes pour l’indépendance, ont tenu bon après les guerres mondiales et ont été les premières à se relever suite à une catastrophe nucléaire. Elles ont été témoins de la tentative de Frederik Marinus Kruseman de capturer pour l’éternité un moine en pleine méditation, en 1862. Aujourd’hui, les moisissures poursuivent gaiement leur prolifération. Pas une colonne qui ne soit épargnée, pas une brique qui soit en sécurité.

Autrefois, nous laissions les lichens faire tranquillement leur bonhomme de chemin. De nos jours, nous préférons parfois un passé inaltéré. C’est ce qui ressort du message suivant de l’Agence du patrimoine culturel des Pays-Bas:

En fonction de la perception de la présence de lichens, qui peuvent être considérés comme gênants, il est possible de prendre des mesures d’élimination ou de traitement.

Peut-être êtes-vous déjà debout, un flacon de désherbant à la main. Peut-être vous cramponnez-vous en vain à un monde où le déclin serait contrôlable. Pourtant, je puis vous l’assurer: toute tentative de résistance contre cette colonisation est inutile. Les lichens ne se laissent pas dompter.

Voyez-vous, un jour, les contours de ce moine s’estomperont. Les premières craquelures sont déjà visibles autour de sa tonsure. Avec une patience infinie, les lichens se fraieront un chemin vers la salle Romantisme, se mêleront lentement aux traits de pinceaux de Kruseman. Jusqu’à ce que même la main du meilleur restaurateur du Rijksmuseum soit engloutie.

Pour ma part, je préfère succomber et me rendre. À leurs couleurs extatiques, leurs formes fantaisistes, leurs structures étonnantes et leurs noms imprononçables. Je vénère la sublime symbiose entre algues et moisissures. Je me délecte de ce fantastique spectacle jaune sale, bleu orangé, vert grisâtre, rouge feu.

À Rinodina bischoffii,
Rinodina oleae, Toninia aromatica,
Caloplaca cerina, Placopyrenium fuscellum, Cladina portentosa,
Ophioparma ventosa, Pseudevernia furfuracea, Flavocetraria nivalis, Bagliettoa baldensis, Gyalecta flotowii, Verrucaria hochstetter, Bacidia scopulicola, Lecanora sarcopidoides, Verrucaria sandstedei ou Rhizocarpon geographicum.

Allez-y, colonisez-moi.

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Dagmar Dirkx

Dagmar Dirkx (°1993) s’adonne à l’écriture, à la gestion de collections de musée et à l’histoire de l’art. Au centre d’arts audiovisuels Argos, iel étudie les vidéos et films expérimentaux des années 1970. Les pionniers oubliés du passé forment une source d’inspiration pour ses réflexions et son écriture. Dagmar écrit notamment pour Metropolis M, Fantômas, De Witte Raaf et TIM Magazine.

photo © Marianne Hommersom

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