Dans la bible de Joe Biden se lit une histoire des Plats Pays
Lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden, l’attention n’a pas seulement été captée par la performance de la jeune poétesse Amanda Gorman. La bible sur laquelle le 46e président des États-Unis a prêté serment a également attiré l’œil. Le lourd et épais volume possède une histoire qui remonte à quatre cents ans, jusqu’à une traduction de la bible réalisée dans les Plats Pays.
Pour les présidents américains, prêter serment la main sur une bible est une tradition qui remonte à George Washington. Ce n’est pas une obligation, mais presque tous les présidents ont fait ainsi. Le plus souvent, ce n’était pas une bible quelconque, mais un exemplaire particulier, possédant une histoire. Ainsi Dwight Eisenhower, Jimmy Carter et George H.W. Bush ont-ils prêté serment sur la bible de Washington. Barack Obama a choisi pour sa part en 2009 la même bible qu’Abraham Lincoln en 1861 et, pour son second mandat, il a posé la main sur un exemplaire ayant appartenu au militant noir des droits civiques Martin Luther King. Quant à Donald Trump, il a prêté serment sur une bible qui lui avait été offerte par sa mère quand il était enfant.
Joe Biden, qui n’est que le deuxième président catholique des États-Unis après John Kennedy, a porté son choix sur une bible appartenant à la famille Biden depuis 1893. Le livre, pourvu de lourds fermoirs métalliques, a une épaisseur d’au moins 12 cm, et sa couverture est ornée d’une croix celtique. Le très pieux Biden avait déjà utilisé ce livre en 1974 pour prêter serment en tant que sénateur et plus tard, à deux reprises, comme vice-président. Son fils Beau avait fait de même, lorsqu’il était devenu procureur général du Delaware. Les dates de ces événements ont d’ailleurs été inscrites dans l’ouvrage.
Mais quiconque a bien regardé les images de la prestation de serment a peut-être remarqué sur le dos du livre l’inscription «HolyBible – Douay&Rheims». C’est ici que les Plats Pays entrent en scène.
Le centre du catholicisme anglais
«Douay» ou Douai est de nos jours une petite ville du Nord de la France, mais qui appartenait jusqu’en 1667 aux Pays-Bas du Sud. C’en était l’un des centres intellectuels les plus importants. Le roi d’Espagne Philippe II donna l’autorisation, le 31 juillet 1559, d’y fonder une université sur le modèle de celle de Louvain. La vocation de la nouvelle institution était de «protéger la pureté de la foi catholique des égarements de la Réforme». La ville de Douai est ainsi devenue un foyer important de la Contre-Réforme. C’était le lieu de formation de l’élite intellectuelle des Plats Pays francophones.
Mais elle est devenue aussi, aux XVIe et XVIIe siècles, le centre du catholicisme anglais. Sous le règne de la reine d’Angleterre Elisabeth I (de 1558 à 1603), les catholiques étaient considérés comme des traîtres, de telle sorte qu’ils furent nombreux à devoir fuir le pays. La présence d’une université catholique les a souvent décidés à s’installer à Douai. Outre les professeurs de Louvain, une grande partie du corps professoral était constituée d’Anglais, pour la plupart originaires d’Oxford.
L’un d’entre eux était William Allen. Il avait étudié à Oxford et Louvain et était arrivé à Douai en 1560. Il y fonda un collège anglais en 1568. Des prêtres devaient y être formés pour ramener l’Angleterre à la foi catholique. Or, un moyen de restaurer l’autorité de Rome en Angleterre était une traduction de la bible en anglais. Ce travail considérable fut donc entrepris au collège anglais de Douai, et sa réalisation dura près de trente ans.
Lorsqu’en 1578 une révolte contre les Espagnols éclata à Douai, les Anglais durent quitter la ville et s’installer dans le voisinage, à Reims. C’est là que la traduction du Nouveau Testament fut achevée et imprimée, expliquant l’appellation «Douai-Reims» de la traduction. Lorsque la situation revint à la normale à Douai, les Anglais purent retrouver leur collège, où l’Ancien Testament fut traduit et publié en 1609. Ce fut là la première version catholique complète de la Bible en anglais.
Influente, mais presque illisible
Cette traduction est basée sur la Vulgate, la version latine de la Bible traduite par Jérôme. Des textes grecs et hébreux furent également utilisés. Cette traduction «Douai-Reims» est cependant restée très proche du texte latin, nuisant quelquefois à la clarté du texte. Cette version s’est à vrai dire révélée tellement inaccessible qu’elle fut rarement réimprimée.
Cependant, d’autres bibles anglaises utilisées dans les cercles catholiques ont souvent été estampillées «traduction Douai-Reims», alors qu’il s’agit de traductions plus tardives. Citons notamment celle de Richard Challoner, qui date de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Lorsque des catholiques américains sortent aujourd’hui, lors d’occasions solennelles, une bible portant l’inscription «Douay-Rheims translation», il s’agit donc souvent, en réalité, de la version de Richard Challoner. C’est probablement le cas de la bible de Joe Biden.
La traduction Douai-Reims n’en reste pas moins importante. Elle a joué un rôle dans les discussions théologiques entre catholiques et protestants et a influencé la célèbre King James Version, réalisée sur commande du roi Jacques Ier et publiée en 1611. En outre, la traduction Douai-Reims a été à l’origine de quantité de mots nouveaux qui appartiennent aujourd’hui à la langue anglaise standard, comme charity, issu du latin caritas.
Qui sait si le nouveau président américain est au courant?