Dans l’objectif de Jo Struyven, une vision inédite de Charleroi
Avec son exposition en-Fer, présentée au Bois du Cazier jusqu’au 6 décembre, le photographe flamand Jo Struyven renouvelle notre vision du Pays Noir.
En-Fer est la nouvelle exposition de Jo Struyven, photographe belge spécialiste des formats panoramiques. Ici le sujet se focalise sur les paysages naturels et industriels mais aussi sur l’architecture de la région de Charleroi. C’est au Bois du Cazier à Marcinelle que vous pourrez découvrir jusqu’au 6 décembre 68 clichés ultra-impressionnants résultant de six ans d’un laborieux et minutieux travail.
© J. Struyven
Les Plats Pays ont eu la chance de se rendre avant l’ouverture de l’exposition dans l’atelier de Jo Struyven pour voir ses œuvres en avant-première. Ce sont des photos absolument inédites du Pays Noir, dont certaines sont véritablement époustouflantes. De grands panoramas (composés de plusieurs clichés photoshopés) sans aucun être humain en vue et photographiés la plupart du temps du haut des terrils.
C’est d’une façon linéaire et horizontale que se lisent les images, de haut en bas. D’abord un ciel, toujours le même, sans nuage, à la tonalité froide ; au centre, un paysage urbanistique, industriel ou naturel ; enfin la brillance de la Sambre qui passe, alternant avec une végétation affolante et foisonnante. Un langage plastique qui puise toujours volontairement dans le même mode artistique, permettant des contrastes puissants et très esthétiques.
Un potentiel vert
Regardons d’abord ces terrils métamorphosés en collines verdoyantes. Quand on rappelle à Jo Struyven que la ville carolorégienne avait été regrettablement qualifiée de « la plus laide du monde », le sympathique photographe s’offusque. « Pour moi Charleroi est la plus photogénique et la plus intéressante ! » Car ce qu’il a vu et pris en photo du haut des terrils – qu’il a gravis avec enthousiasme –, est « un autre Charleroi aux qualités inattendues, comme ces terrils qui devraient se transformer en parcs, pour rendre la vie des habitants beaucoup plus vivable et respirable ». La prédominance de la nature, de cette verdure, est ultra présente, et devient exacerbée grâce à cet univers panoramique. « Le potentiel touristique existe », affirme le quasi sexagénaire, et de rajouter que l’« on pourrait y faire découvrir la nature, la faune et la flore et organiser des balades guidées dans cette ville au passé si intense ».
© J. Struyven
Des corons et des hauts-fourneaux collés-serrés
D’autres clichés dévoilent les habitats des ouvriers et des mineurs – les corons –, des maisons minuscules et étroites toutes mitoyennes et situées à deux pas des usines intoxiquant l’air et les poumons, aussi bien des travailleurs que des membres de leur famille. Il suffit de les voir toutes entassées pour s’imaginer les conditions de vie de ceux qui allaient tous les jours courageusement risquer leur vie sous terre et de celles qui les attendaient au-dessus dans une angoisse latente. Ces hommes ne sont-ils pas à l’origine du succès économique de la Belgique, positionnée au début du XXe siècle, comme deuxième puissance industrielle mondiale ?
Enfin, la présence nombreuse de ces hauts-fourneaux pris tels des portraits et dont un, le HF4, se retrouve au centre d’un débat virulent autour de sa démolition : « J’espère qu’il sera sauvé. On pourrait en faire quelque chose de fabuleux ! Comme par exemple un musée qui s’illuminerait chaque nuit pour rappeler aux Carolos qu’ils doivent être fiers de leurs origines et garder espoir pour leur avenir ».
Ne jamais oublier
C’est ainsi qu’en se rendant sur le site du Bois du Cazier, notre façon de regarder les maisons, les usines et les hauts-fourneaux a totalement changé; car nous avons à l’esprit la vision nouvelle de Jo Struyven et l’importance qu’il donne à la transmission de l’histoire de cette région qu’il faut raconter de génération en génération. « Si le HF4 disparaît aussi, que restera-t-il à transmettre ? » C’est un homme profondément empathique et engagé, qui a tissé un lien fort avec cette région au milieu de laquelle il a passé six années à capturer avec son objectif les images, les sensations, l’atmosphère et l’évolution urbanistique et végétale.
© J. Struyven
Dans le hall de ce bâtiment emblématique, on découvre 68 clichés panoramiques imposants, suspendus ou installés dans des niches. Haut-lieu de la mémoire, il faut rappeler l’incendie dramatique survenu sur ce site minier le 8 août 1956 et qui a fait 262 victimes dont 136 Italiens et 95 Belges… Dans cet ancien charbonnage situé à Marcinelle, se trouvent deux musées (l’un portant sur l’Industrie, l’autre sur le Verre) et à l’entrée, une stèle commémorative en marbre sur laquelle sont inscrits les noms des 262 victimes pour ne jamais oublier l’enfer, pour ne jamais oublier le risque qu’ils prenaient chaque jour, pour ne jamais oublier que ces hommes étaient tous des héros.
En entrant dans le hall du site, le visiteur déambule à travers les paysages de Marcinelle, Marchienne-au-Pont, Dampremy, Cheratte, Montegnée, Seraing. Les paysages sont pris du sommet des terrils – tels que la Blanchisserie, le Sacré-Français, les Piges, les Hiercheuses etc. Ils sont traversés par la luminosité du ciel ou par l’eau de la Sambre. Se dévoilent aussi les quartiers des corons atypiques, comme celui de la rue de Jumet ou bien les hallucinants (voire hallucinogènes !) hauts-fourneaux, monstrueux pour certains, artistiques pour d’autres. Ces terrils merveilleux dominent la région, telles des montagnes vertes bienveillantes.
Au centre, se trouve une saisissante vue panoramique de Charleroi recto-verso de 2,85 m sur 55 cm. D’un côté, le ring, l’hôtel de ville, la basilique et la fameuse tour Bleue (abritant le commissariat de police !) construite par le célèbre architecte français Jean Nouvel et inspirée des lampes des mineurs. De l’autre côté, la partie industrielle. « Lors de l’ouverture de l’exposition, les habitants de l’endroit ont été surpris par les prises de vues et les accents existant dans mes photos, des choses qu’ils n’avaient jamais perçues dans leur propre région. Mon but était de faire un “reset” mental chez les gens, de supprimer la négativité que l’on a du Pays Noir ». Un pari qui semble, en tout cas, superbement réussi! À voir absolument.
Bio
Juriste de formation, Jo Struyven (1961) est un photographe autodidacte qui travaille et vit à Bruxelles. Passionné depuis ses seize ans par ce média, il prend des photos parallèlement à sa carrière dans le notariat. Pour perfectionner sa technique et se lancer une bonne fois pour toute en tant qu’artiste, il suit régulièrement des formations et assiste à des master classes. Bien que l’esthétisme urbanistique de la côte belge ne fasse pas l’humanité, le photographe (dont la maison de vacances se trouve à La Panne) est un fervent admirateur de son architecture.
C’est ainsi qu’en 2009 lui vient l’idée de saisir à travers son objectif toute la côte belge, de Knokke-Heist à La Panne et ce, en une seule image. Durant deux années de travail, l’enthousiaste quinquagénaire parcourt à bord de son petit zodiac toute la côte, mètre après mètre, en capturant chaque bâtiment de la digue. Tous ces innombrables clichés sont ensuite manipulés par voie numérique permettant de créer un panorama parfait. L’amateur passionné qu’il est désire montrer l’autre facette de la côte belge, celle que l’on aperçoit depuis la mer. On y voit avec joie des dunes (25 km exactement) encore vierges et épargnées de toute construction, mais aussi un aspect plus cru, plus réaliste de ces blocs de bâtiments qui n’épargnent pas le paysage. C’est en 2011 que Jo Struyven expose une impressionnante photo panoramique sur la digue d’Ostende, sous forme de frise mesurant 65 mètres et représentant les 65 km de la côte belge.
© J. Struyven
Fort de son succès, il entame un nouveau projet utilisant le même mode opératoire, photographiant cette fois-ci toujours de la mer mais la côte anglaise. Les milliers de photos prises par Struyven révèlent deux paysages totalement différents. Alors que le plat pays de la Flandre est sous le joug de la spéculation immobilière, surexploitée, bétonnée d’immeubles qui poussent comme des champignons, la nature reste primordiale en Angleterre, avec ses falaises, ses châteaux ou ses maisons familiales, plus nombreux que les buildings. Il en résulte une surprenante exposition en 2012 à La Panne, intitulée « Terre en Vue », où les photos panoramiques des deux côtes, disposées à l’intérieur de conteneurs, se confrontent sur 65 mètres de long.
© J. Struyven
Puis en 2016, il expose la série « L.AM.P.E.D.U.S.A. Changer d’Horizon » à La Panne : une image de neuf mètres de long représentant la côte sud de Lampedusa. Un endroit très particulier puisque c’est ce que voient en premier les migrants quand ils arrivent sur l’île. On sent au-delà de l’esthétisme photographique, un engagement et une empathie de la part de notre artiste téméraire. En 2019, Jo Struyven expose en France, à Port-en-Bessin-Huppain, une gigantesque photo panoramique de la côte normande où se sont passés les événements majeurs du Débarquement en 1944. Pour ce, il a fallu parcourir 90 km de côtes, prendre plus de 7000 clichés et les assembler grâce à Photoshop. Le résultat : une image grandiose de 84 mètres (un mètre correspondant à un kilomètre), ainsi qu’un livre passionnant, comparant avec une étonnante précision les images d’époque à celles d’aujourd’hui.