De Kaboul et d’Eindhoven à Paris: Yama Saraj
Afghan réfugié aux Pays-Bas et aujourd’hui expatrié en France, Yama Saraj aspire à devenir un citoyen du monde porteur d’un message d’espoir et de paix. Récit d’un étonnant voyageur dont le projet entend réparer les blessures causées par la guerre.
Ce que l’on retient de son visage, c’est son sourire immense qui ne dit rien des atrocités dont Yama Saraj a été témoin en Afghanistan, mais qui augure de sa prédisposition à la résilience et de sa foi en l’avenir. Il ne nie rien de son passé qu’il ne parvient pas à oublier. «J’ai de la chance», aime-t-il cependant à scander, comme pour s’en convaincre. Il se dit en effet privilégié par son appartenance à une élite intellectuelle par sa mère, professeure d’université à Kaboul et son père, diplômé de polytechnique, en charge de la logistique militaire.
Pour autant, le statut de sa famille et celui de son grand-père, propriétaire terrien, en faisaient des ennemis tout désignés du régime des talibans qui les oblige à fuir l’Afghanistan en 1998, alors que Yama Saraj est âgé de 12 ans.
Son passé n’a jamais cessé de le guider. Hanté par son pays en ruines, il rêve de construire des ponts, des routes, en un mot de reconstruire l’Afghanistan. L’utopie oriente ses études. Diplômé en électrotechnique, en finance internationale et en gestion stratégique, il retourne sur les terres de son enfance et plus particulièrement dans le village natal de son père, où il contribue à la construction d’une petite centrale hydroélectrique. Yama ne se contente pas d’apporter une aide matérielle, il a toujours donné une dimension sociale à ses projets. Aussi chaque matin dispensait-il des cours de boxe aux enfants du village, parce que le sport l’avait sauvé de ses peurs.
Il œuvre ensuite pour des ONG en tant qu’économiste de l’aide au développement au Kosovo et en République démocratique du Congo. De là naît l’idée de créer le «punching bag intelligent». Guérir les blessures dans des sociétés dévastées par la guerre, c’est la vocation de SensAi, la start-up qu’il allait plus tard créer.
Les Pays-Bas, pays d’accueil et «d’opportunités»
Yama Saraj et sa famille s’étaient installés aux Pays-Bas à une date où les immigrants ne faisaient pas l’objet d’une hystérie xénophobe, adoptant une sorte d’amnistie à l’égard de son père et de sa collaboration avec le régime en place. Les opportunités étaient nombreuses, notamment grâce à sa mère déjà en lien avec Eindhoven en raison de ses recherches dans le secteur de l’agriculture.
Yama Saraj loue la France qui lui a offert autant de possibilités que les Pays-Bas
À Eindhoven, sorte de Silicon Valley néerlandaise, son frère poursuit des études de médecine et sa sœur y exerce en tant que pédiatre. Sa famille affiche avec une fierté légitime le visage heureux de l’intégration. L’acceptation du «pire», Yama Saraj prétend l’avoir apprise des arts martiaux qui lui ont inculqué la combativité. Au-delà du sport, il souhaite transmettre, dit-il, une positive attitude.
Une France solidaire
Il loue la France qui lui a offert autant de possibilités que les Pays-Bas. En 2019, il participe à Paris à une conférence internationale sur la Tech for good (la technologie pour le bien) qui l’incite à concourir pour une subvention au sein de la Station F, grand campus international de start-up. Le réfugié se convertit de son propre aveu en «travailleur intellectuel expatrié», comme si le regard sur lui-même avait changé. Il bénéficie du soutien du comité olympique et de la fédération de boxe.
© Joan Mols
Lauréat du prix French Tech Tremplin, il obtient une aide de 62 000 euros pour la création de sa start-up, SensAi hébergé par l’École polytechnique.
Parmi ses rencontres providentielles, celle d’Ilyes Talbi, aujourd’hui ingénieur en intelligence artificielle de SensAi co-fondée avec Florian Günther qui vit en Allemagne et intervient sur la partie technique. Matheux diplômé de l’Institut de statistiques de la Sorbonne en Data Science, Ilyes est passé par l’ESSEC avant de travailler pendant un an avec l’équipe olympique de boxe de France. Sa mission: développer des outils d’analyse des performances reposant sur l’intelligence artificielle. Avec Yama, ils prônent l’adage, «un corps sain dans un esprit sain». Paradoxalement, le pays, la langue, le milieu socio-culturel, l’âge – Yama est de 13 ans son aîné – tout les séparait, sauf la volonté inébranlable de s’intégrer.
L’empathie tient aux origines d’Ilyes, issu des «quartiers prioritaires» d’Aulnay-sous-Bois, manière consensuelle de nommer les banlieues ghettoïsées, symboles d’enfermement et d’une ostracisation mal vécue. À la «désintégration» de ses banlieues qui s’enflamment dans la violence, Ilyes oppose le sport, véritable «vecteur d’assimilation, d’émancipation et de cohésion sociale». Le judoka qui sous l’influence de Yama Saraj s’essaie à la boxe, a la conviction que le sport peut être un facteur d’épanouissement, voire de rédemption.
L’aide conjointe de la France et des Pays-Bas
Yama Saraj est venu en France grâce à Fighters, le programme inclusif de Station F initié par l’homme d’affaires Xavier Niel, qui accorde au projet un bureau à plein temps et l’accès à un réseau d’entrepreneurs gratuitement pendant un an. Xavier Niel, milliardaire français à la tête du groupe de télécommunication Free, promet au duo une aide quand leur projet sera plus largement développé. Où qu’il soit, Yama Rajat veut s’intégrer.
En France, il s’amuse d’avoir multiplié les diplômes, notamment le First degree de l’École nationale des ponts et chaussées et d’être ainsi «estampillé français». Les Pays-Bas ne sont pas en reste de ses projets. Yama avait rencontré Florian Günther à Eindhoven. L’ambassadeur des Pays-Bas se propose de les mettre en relation avec Édouard Philippe, ancien premier ministre aujourd’hui maire du Havre.
À Paris, l’Atelier néerlandais, dont Yama Saraj est membre, lui offre une plateforme pendant la Fashion Week. Créé en 2014 par l’ambassade des Pays-Bas, l’Atelier accueille toute forme d’entrepreneuriat néerlandais. «Nous avons ainsi pu donner, reconnaît le co-fondateur de SensAi, une visibilité internationale à notre projet». L’objectif est d’être présent à l’international, notamment dans les zones de conflit ou dans des pays en voie de développement, en Afrique par exemple. «L’idée est dès le départ de s’internationaliser et de faire en sorte que notre projet soit financièrement accessible».
L’intégration a un prix, celui d’un travail de tous les instants, que Yama Saraj prétend avoir appris du pays calviniste. Trade no aid, aime-t-il à répéter, animé par la volonté que son projet s’autofinance afin de mener à bien des missions destinées aux réfugiés en zone de guerre ou de conflit. Les prochains Jeux olympiques en France lui offrent des perspectives pour que les vertus du sport gagnent et s’étendent vers d’autres sphères et d’autres territoires. Il se promet de ne jamais abandonner. On le croit