Des gestes dans un semblant de discussion
Suite à la demande de la maison flamando-néerlandaise deBuren à Bruxelles, dix-huit jeunes auteurs flamands et néerlandais ont chacun ramené à la vie une peinture du Rijksmuseum d’Amsterdam. Ils ont ainsi écrit un nouveau texte sur une vieille œuvre de la Galerie d’honneur en ayant toujours en tête cette question: que voyez-vous quand vous regardez ces peintures avec des lunettes genrées? Quinten Wyns nous offre un nouveau regard sur «Milice du district XI sous le commandement du capitaine Reynier Reael», connu sous le nom de «La Maigre Compagnie» de Frans Hals et Pieter Codde.
Quinten Wyns (° 1991) est cinéaste et écrivain.
Les compagnons de la milice
«Un panel exclusivement masculin?!
«Un panel exclusivement masculin. C’est ce qu’ils ont dit.»
J’imagine que je suis un homme maigre mais très riche. Ma richesse est suffisante pour commander à Frans Hals un portrait, le plus flatteur possible, de moi et de mes compagnons de la milice, mais juste insuffisante pour le garder à mon service quand il fait des difficultés à propos des trajets qu’il doit effectuer entre Haarlem, où est situé son atelier, et Amsterdam, où se trouve le siège de notre compagnie, bien que chacun de nous ait payé une somme remarquable dans l’espoir que nos têtes et d’autres parties de notre corps, vêtues de riches étoffes, apparaissent tout aussi remarquables. Même si certains prétendront le contraire, peu importe que Pieter Codde ait achevé le tableau – oui, c’est vrai, mais avoir aussi été membre d’une compagnie de tir ne signifie pas nécessairement avoir été moins bon peintre, n’en déplaise aux critiques d’art – mais ce n’est pas le sujet, car nous sommes tous très bien reconnaissables et nous sommes toujours exposés, des siècles plus tard au Rijksmuseum d’Amsterdam, comme si rien n’avait changé. Excellent travail, Pieter!
«Une représentation d’hommes?»
Il y a vraiment eu du changement. J’imagine que je discute avec les hommes maigres représentés à mes côtés sur la toile. Je suis moi-même l’homme qui porte d’une main la hampe du drapeau et de l’autre tient fièrement un pan du drapeau contre sa hanche. Par ailleurs, j’ai aussi enveloppé le drapeau autour de moi, un geste anodin qui fait cependant dire aux mauvaises langues que je dois mon existence à ce morceau d’étoffe.
© «Rijksmuseum»
«Nous sommes une toile!»
La première couche appliquée doit être maigre, et il faut pour cela diluer la peinture à la térébenthine. «On peut éviter la formation de craquelures en rendant chaque couche un peu plus grasse que la précédente.» La mauvaise exécution du peintre a provoqué le craquellement de ma couche grasse. Je suis une huile sur toile, constituée de trois composants, mais j’imagine que je suis un homme.
J’imagine que je suis un homme maigre parce que c’est la dénomination que m’ont donnée depuis des siècles les visiteurs qui me détaillent du regard, moi et mes miliciens, dans cette salle, et vont nous comparer aux personnages de La Ronde de nuit de Rembrandt pour conclure généralement que nous sommes trop minces et eux trop gros. C’est leur droit évidemment – quelle œuvre d’art se permet d’interdire une remarque de ses visiteurs? – mais prisonniers de notre cadre et de notre pose, les informations que nous recevons du monde extérieur sont très limitées. La Galerie d’honneur sert actuellement de chambre d’écho à un groupe d’hommes craintifs, portant des collerettes et armés d’espontons, de hallebardes et de lances.
Je garde pour toujours la pose que le peintre m’a fait prendre. L’expansion de l’univers se poursuit, tandis que nous restons là, toujours aussi sérieux, faisant des gestes dans un semblant de discussion.