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Des obèses et un homme confus: les premiers albums de Phaedra Derhore et Yannick Pelegrin

Par Chris Bulcaen, traduit par Caroline Coppens
19 août 2019 3 min. temps de lecture Jeunes bédéistes flamands

Voici le troisième et dernier article de la série sur les jeunes bédéistes flamands. Il présente Doorsnee (Coupe transversale, 2018), le premier album de Phaedra Derhore (° 1992) et Aldo, l’œuvre inaugurale de Yannick Pelegrin (° 1994). Pour les jeunes bédéistes flamands, le savoir-faire et les albums tous publics ne suffisent plus; ce qui compte, c’est l’art. Leur formation les y incite, tout comme le succès (artistique) de certains de leurs prédécesseurs, tels que Judith Vanistendael, Brecht Evens et Olivier Schrauwen. Il existe un marché pour la BD d’art, et un système de subventions vise à l’encourager.

Doorsnee, le premier album de Phaedra Derhore, est un récit autobiographique explicite sur l’obésité et la chirurgie gastrique. Il s’inscrit dans le genre, internationalement répandu, du roman traumatographique.

Avec un style graphique et une composition de cadre simple, Derhore évoque la charge psychique de l’obésité, les préjugés et les regards pleins de reproches d’autrui, mais aussi la haine qu’elle éprouve pour elle-même, et ses doutes. Elle s’attarde longuement sur les préparatifs de l’intervention médicale lourde que représente la chirurgie gastrique, et sur leurs conséquences physiques et psychiques.

Elle propose une histoire sensible, toute en nuances, relevée de quelques notes humoristiques. Le langage visuel relatif à l’eau est de toute beauté. Des flaques provoquent autoréflexion et rêves ambivalents. Des conseils bien intentionnés peuvent se transformer en un tsunami. La piscine est un lieu de honte, mais aussi d’apesanteur et d’insouciance. La déception que provoque le processus de rétablissement laborieux est exprimée par une averse imaginaire.

Aldo, l’œuvre inaugurale de Yannick Pelegrin, se démarque par un style graphique mesuré et soigné. Les cadres graphiques sont de facture classique. Mais dans cet album, c’est justement le récit qui complique la lisibilité, et pour le comprendre, il faut regarder les images attentivement ou à plusieurs reprises.

Toutefois, dès le premier dessin, l’auteur incite le lecteur à se montrer attentif. C’est le début typique d’une séance chez le psychiatre. Aldo explique alors qu’il est un être immortel, et que cette immortalité l’empêche de s’intégrer dans la société. Ensuite, il ne se passe pas grand-chose : on voit Aldo seul dans son appartement, on le voit rendre visite à Oscar, son ami sénile, et on le voit partir pour Washington pour y retrouver une vieille connaissance.

Le lecteur suit parfaitement la perspective narrative d’Aldo. Mais certains détails indiquent que le récit d’Aldo n’est pas correct et Aldo lui-même précise qu’il n’est pas le narrateur le plus fiable qui soit. L’une des caractéristiques de la BD comme moyen d’expression est de permettre une contradiction entre l’image et la parole. Pelegrin recourt à cette technique avec adresse.

Les rêves d’Aldo évoquent un traumatisme qu’il n’a jamais surmonté. Pour y voir clair, il faut attendre les dernières pages, lorsqu’Aldo est confronté chez le psychiatre à ses propres mensonges.

L’imagination d’Aldo est assez compréhensible, mais ce qui compte, c’est que la question du pourquoi laisse la place à l’acceptation d’un vécu qui diffère de la réalité. Pelegrin y parvient par des choix graphiques réfléchis. Le trait fin et les couleurs froides et sucrées s’accordent avec la nature de ce personnage solitaire, déconnecté de la réalité et peu sûr de lui. Les cadres sont sobres et l’accent est mis sur le personnage principal ou les espaces dans lesquels il évolue. Le rythme des cadres graphiques est lent et traduit ainsi le vécu intérieur figé d’Aldo.

Le récit-cadre psychiatrique et le narrateur non fiable sont des techniques de narration fréquentes en littérature. Dans Aldo, Pelegrin ajoute à ces techniques littéraires des techniques BD pour brosser une image particulière d’un jeune homme confus; il apporte ainsi une contribution essentielle à la littérature BD consacrée aux maladies mentales. Actuellement, il planche sur un roman graphique sur la sénilité précoce, toujours depuis une perspective intérieure.

Bulcaen

Chris Bulcaen

responsable du programme langues et lettres à l'université de Gand

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