Du changement à la tête des musées de la région lilloise et une dimension transfrontalière encore plus assumée
Ces derniers mois, trois institutions muséales de la métropole lilloise ont changé de direction: Juliette Singer veille désormais aux destinées conjointes du Palais des Beaux-Arts et du musée de l’Hospice Comtesse à Lille, tandis qu’à Roubaix, Hélène Duret prend le relais du fondateur du musée La Piscine à Roubaix. Entretiens et impressions croisées.
Pour Hélène Duret, la prise de poste début septembre à La Piscine est forcément particulière. Son prédécesseur, Bruno Gaudichon, était le fondateur du musée ouvert dans l’ancienne piscine art déco en 2001. Il portait le projet depuis 1989, soit trente-cinq ans! Depuis, le musée a connu le succès: en 2023, il a encore accueilli 297 000 visiteurs. «Succéder à Bruno Gaudichon est quelque chose d’assez impressionnant. Le moment où le fondateur s’en va est un moment particulier dans la vie d’une institution. Mais je le vis comme une véritable chance, car je sens une envie d’aller de l’avant de la part des équipes».
Pour Juliette Singer, qui a pris ses fonctions en avril au Palais des Beaux-Arts et au musée de l’Hospice Comtesse, le défi apparait un peu moins vertigineux, mais en une décennie, Bruno Girveau a largement eu le temps d’imprimer sa patte sur le premier musée des Beaux-Arts de province (381 000 visiteurs en 2023): «C’est un honneur de prendre sa suite, dans un très beau musée qui a gagné en dynamisme».
La direction qu’elles entendent donner aux musées
Sans surprise, aucune ne renie l’héritage de son prédécesseur. À La Piscine, Hélène Duret souhaite continuer à creuser la notion de musée solidaire, à destination de tous et notamment des Roubaisiens, mais aussi accentuer les relations très fortes entre Beaux-Arts et arts appliqués. «Je veux remettre au cœur du projet la façon dont on fait dialoguer les deux en les exposant côte à côte. Un tissu ou une robe ont tout à dire d’un portrait mondain et inversement pour comprendre l’esprit d’une époque dans son entièreté».
© Alain Leprince – La Piscine, Roubaix
L’idée est similaire chez Juliette Singer qui, après avoir vu son prédécesseur se concentrer sur la refonte des parties médiévales et Renaissance, va retravailler la grande galerie des peintures à l’étage, en réfléchissant à un accrochage peut-être un peu moins haut, mais aussi en croisant les arts: «Je souhaite plus mettre en œuvre des corpus d’œuvres mais aussi mélanger les peintures avec des sculptures et des vitrines qui pourraient contenir, par exemple, un cabinet de curiosité.» Concernant l’Hospice Comtesse (165 000 visiteurs en 2023), elle souhaite renforcer sa vocation de musée historique. «Il y a un fonds impressionnant de cartes postales et de photos à exploiter, un travail autour des personnages qui ont fait Lille. Le potentiel est très important».
© Ville de Lille - Dan R
Une volonté très didactique se sent également dans les discours des deux professionnelles de musées. Pour La Piscine, cela passera par le développement de l’axe des techniques, dans le prolongement de ce qui se fait déjà sur la sculpture avec la reconstitution de l’atelier d’Henri Bouchard. «Nous pourrions appliquer ce côté didactique à d’autres choses moins connues et évidentes, comme l’impression textile ou la céramique». Le Palais des Beaux-Arts se prépare à la création d’une Galerie des enfants, un véritable espace muséal d’ici un an et demi. «Il existe des initiatives dans d’autres musées comme au Louvre Abu Dhabi ou en Suède. il s’agit de mettre des œuvres à hauteur d’enfants, et vraiment à leur hauteur, avec des cartels plus accessibles».
© musée de l'Hospice Comtesse, Lille
L’idée sous-jacente des deux nouvelles directrices est bien, malgré le succès de leurs établissements, de continuer à attirer les publics, en réfléchissant à l’accès aux œuvres. «Un enfant emmène ses frères et sœurs, ses parents, ses grands-parents», énumère Juliette Singer, tandis qu’Hélène Duret se dit «convaincue de la mission de service public d’un musée qui doit trouver les portes d’entrées pour que tout le monde s’y intéresse». Celui qui a une culture classique, celle qui a une culture événementielle, celui qui a une culture plus sensorielle, celle qui parle mal français… La néo-Roubaisienne a déjà une idée d’application très concrète pour une exposition autour de l’anarchie en 2026: un concert de punk à La Piscine! «Il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers et il faut oser aller où on ne nous attend pas.»
Diriger un musée dans une région transfrontalière
L’axe transfrontalier transparaissait dans le projet de candidature de Juliette Singer. La première illustration nous sera donnée à voir dès le mois d’avril prochain avec l’ouverture d’une grande exposition sur les fêtes et célébrations flamandes aux XVIe et XVIIe siècles au Palais des Beaux-Arts. Pour ce faire, la directrice s’est rapprochée du Louvre, mais aussi de la Belgique, en établissant un partenariat inédit avec les musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, dont seront issus l’un des deux commissaires d’exposition. Les musées bruxellois prêtent 28 œuvres, soit près d’un tiers du parcours!
© PBA de Lille - photo Charles Delcourt
«Quand je m’occupais des collections d’art brut au LAM à Villeneuve-d’Ascq il y a 20 ans, j’allais me promener énormément en Belgique. Lille a cette double échelle, un ancrage local, et une ville monde à équidistance de Paris, Bruxelles et Londres, non loin des Pays-Bas. Pour cette exposition, j’ai échangé avec d’autres musées belges, à Anvers, à Bruxelles, à Bruges, etc. Ils ont de superbes musées qui peuvent nous inspirer. Et je sens une envie d’être en réseau.»
La Piscine ne sera pas en reste. Regrettant que les cartels ne soient pas systématiquement traduits en néerlandais et souhaitant y remédier, Hélène Duret rappelle que les Belges font partie des grands noms du musée: ainsi, Rémy Cogghe ou Constantin Meunier. «Nous voudrions organiser une saison belge, c’est-à-dire, mettre tout le musée à l’heure belge, en nous servant de nos collections». La conservatrice, qui œuvrait auparavant au musée des Beaux-Arts de Valenciennes, milite aussi pour que les relations transfrontalières s’inscrivent davantage dans un réseau que dans des relations bilatérales. «Car il y a beaucoup de choses à faire ensemble. Texture, le musée du lin de Courtrai, c’est un modèle du genre. Les musées belges ont une inventivité que nous envions!»
© Nicolas Montard
Deux femmes en tête, un message?
La concomitance des nominations des deux femmes à la tête de trois des principales institutions muséales de la métropole est-elle un sujet pour les nouvelles venues? Pour Juliette Singer, «le fait d’être la première femme à prendre la direction du musée en deux cents ans est une forme de responsabilité qui n’est pas anodine. Nous ouvrons encore des terrains non conquis, non défrichés, c’est un bon signal, même si nous n’avons pas été choisies pour ça. Peut-être que cela peut inciter des petites filles à se projeter dans ce type de postes et renouveler certaines approches muséales».
Hélène Duret, qui «n’est pas convaincue qu’une femme fasse foncièrement mieux qu’un homme», trouve aussi que le message a de l’importance, notamment dans des métiers muséaux très féminisés. «Il est logique et fair-play que cette féminisation soit représentée à la tête des structures».
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.