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Du passé à la renaissance. Notre-Dame de Paris vue par le reporter de conflit Tomas Van Houtryve

25 novembre 2024 6 min. temps de lecture Chronique parisienne

Rien ne prédisposait Tomas Van Houtryve à un sujet qu’il avait jusqu’alors soigneusement évité, même après l’incendie du 19 avril 2019 qui avait dévasté Notre-Dame et émut la planète. On doit cependant au photographe 36 Views of Notre Dame, livre dont la sortie précède la réouverture de la cathédrale le 7 décembre 2024. Le reporter plus coutumier de franchir les frontières les plus fermées de l’Amérique du Sud à la Corée du Nord y livre en images les blessures et les soins de ceux qui se sont tenus au chevet de la cathédrale durant près de cinq ans.

Citoyen du monde, Tomas Van Houtryve était prédestiné à le devenir. Né à Bruges en 1975 d’un père belge et d’une mère originaire de la Californie, il jouit d’une double nationalité. Grâce à son père, consul aux États-Unis, il poursuit ses études en Californie.

Il en garde l’accent, bien qu’il n’ait jamais vécu aussi longtemps qu’en France, à la faveur de son mariage avec une «Parisienne». La photo qui n’était pas sa passion première, le surprend pendant ses études de philosophie, lors d’un voyage au Népal. «C’est, confie-t-il, le déclic» qui le fait basculer. Il a 21 ans.

Après un stage au sein d’un média du Colorado, il intègre l’agence de presse AP pour laquelle il se partage entre le Panama et Porto Rico. Il ne cesse dès lors d’arpenter le monde. Assez attaché à ses origines pour en ressentir l’appel, celui qui se définit comme «un Belge hors sol» décide de retourner en Belgique et s’installe à Ostende.

Un ciel sans frontière

Reporter de guerre singulier, il refuse l’escalade de violence médiatique qui rend compte par l’image des conflits armés ou d’actes de terrorisme. Dans Blue Sky Days. A Drone’s-Eye View of America (2015), Tomas Van Houtryve préfère dénoncer les contours d’une guerre moderne plus sournoise.

Il trouve des alter ego aux attaques de drones américains au Yémen ou au Pakistan qui tuent aveuglément, surprenant les civils dans leur vie quotidienne. Pas de trace ou de témoin et le «secret défense» pour chape de plomb. Plus de front mais l’extension d’une guerre qui devient globale et continue. Avec la collaboration de journalistes d’investigation, il choisit les lieux et événements ciblés par les drones américains, à savoir la rue ou un mariage, non plus en zone étrangère mais aux États-Unis. «Créer, dit-il, un effet de miroir. Faire que ceux qui ciblent, deviennent la cible.»

En 2012, les drones étaient encore très sommaires, avec une autonomie de trois minutes et des images de qualité insuffisante. «J’ai dû adapter mon appareil aux drones. Il ne s’agissait plus d’imposer mon style, mais à l’inverse de le déterminer en fonction de mon projet.» Il renonce alors à la couleur et supprime l’horizon afin d’être plus proche des clichés générés par les drones. L’approche était inédite puisque l’ambition d’un photographe vise plus volontiers un style reconnaissable quel que soit le sujet. «L’absence de régulation à cette époque m’a aussi donné une liberté que nous n’avons plus aujourd’hui». À partir de cette date, la technique va jouer un rôle déterminant et devenir la marque de fabrique du photographe.

Notre-Dame de Paris

Au lendemain de l’incendie, la revue National Geographic contacte le ministère de la Culture pour obtenir l’accès au monument rapidement remis en cause par le confinement qui a figé les négociations et le projet.

«La revue avait dressé une liste et j’ai été contacté avec d’autres finalistes. Je venais d’obtenir l’accès en Corée du Nord qui me donnait une sorte de supériorité pour accéder au chantier quasi inaccessible de Notre-Dame en raison de la présence nocive de particules de plomb. D’être pressenti était un peu la résultante de ce lien improbable entre deux projets en apparence radicalement distincts.» L’accès nécessitait en effet une formation pour la prévention, un équipement avec combinaison et masque à ventilation assistée, sans compter les difficiles prises de vue en cordée. En novembre 2020, le reportage put débuter.

Le livre de Tomas Van Houtryve illustre un moment charnière du progrès

Tomas Van Houtryve s’était jusqu’alors attaché à révéler ce que l’on dissimule, l’invisibilité des attaques de drones ou des régimes communistes au Vietnam, à Cuba ou en Corée du Nord dans Behind the Curtains of 21st Century Communism (2012). «J’ai souvent eu pour objectif de révéler ce qui est absent de l’imaginaire. Avant la commande du National Geographic, j’avais tout fait pour éviter ce sujet sur-représenté.» Pour autant Notre-Dame n’était pas totalement absente de ses images, notamment lorsqu’en 2006, il achète une boîte demi-format du XIXe siècle qu’il teste depuis un appartement situé en face de Notre-Dame, chez un ami photographe, Bernard Hermann auquel 36 Views est dédicacé.

Sa volonté était d’échapper aux clichés. Le titre est un clin d’œil aux trente-six vues du Mont Fuji par Hokusai. «Ce site emblématique, indique Tomas Van Houtryve est le kilomètre zéro, l’épicentre du Japon, le lieu sacré par excellence qu’Hokusai a su réinventer. Sans platitude ou respect démesuré, l’artiste en révèle autant sur le paysage environnant et ses habitants que sur la montagne elle-même.»

La dimension historique l’incite à renouer avec des techniques anciennes, comme pour Lines And Lineage (2019) qui relate l’histoire oubliée des Indiens d’Amérique. À Notre-Dame, il recourt au collodion humide dont Nadar avait été le pionnier dans des images prises depuis une montgolfière. Il s’inspire aussi du célèbre portrait de 1853 d’Henri le Secq devant une chimère par Charles Nègre reproduit dans 36 Views.

Le livre multiplie les points de vue par la présence de photos des pionniers de la photographie mais aussi de textes littéraires comme Ceci tuera cela de Victor Hugo. Dans ce chapitre sans doute ajouté à la deuxième édition de Notre-Dame, l’écrivain aborde les évolutions techniques. Il décrit la marche du progrès et la capacité d’une nouvelle invention à en supplanter une autre. Il affirmait que l’apparition de l’imprimerie avait compromis le rôle central que jusque-là, l’architecture avait joué dans la transmission de la foi et du savoir. Aux yeux de l’écrivain, la cathédrale était le grand livre de l’humanité, qui transmettait une culture, chaque sculpture racontant un fragment de l’histoire.

La photographie inventée, au lendemain de la publication du roman de Victor Hugo, changeait la place hégémonique de la peinture dans la culture visuelle. L’intelligence artificielle fait aujourd’hui son apparition et génère des images qui ressemblent à s’y méprendre à des photographies. Fin 2023, plus de 15 milliards d’images auraient ainsi été produites par l’IA, autant que durant les cent cinquante premières années de l’histoire du medium. La prochaine génération d’images de Notre-Dame reflètera certainement l’influence des algorithmes et des logiciels de traitement des données qui s’immiscent dans notre culture au quotidien. Ce livre s’inscrit dans une époque parce qu’il illustre un moment charnière du progrès. Il fait partie d’une histoire et de la transmission à travers les générations.

36 Views of Notre Dame, photographies de Tomas Van Houtryve, textes de Pauline Vermare et Victor Hugo, édition bilingue (anglais + français), Radius Books, Mexico, 2024 (ISBN 9798890180872).

Geneviève-Nevejan

Geneviève Nevejan

critique d'art

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