Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

«L'eau qui monte» : Kadir van Lohuizen expose au Musée maritime d'Amsterdam
© K. van Lohuizen / «NOOR».
© K. van Lohuizen / «NOOR». © K. van Lohuizen / «NOOR».
Arts

«L'eau qui monte» : Kadir van Lohuizen expose au Musée maritime d'Amsterdam

Du 4 octobre 2019 au 10 mai 2020, le Scheepvaartmuseum (Musée maritime) d’Amsterdam organise l’exposition Rijzend water (L'eau qui monte). À l’aide de photos et reportages filmés réalisés dans le monde entier par le photographe néerlandais de renom international Kadir van Lohuizen (° 1963), l’exposition montre le combat (quotidien) de l’homme confronté à la montée du niveau des mers. Les reportages de Kadir van Lohuizen sont dictés par un grand humanisme. Parcourant le monde, il nous montre de façon dérangeante le revers du progrès et du profit.

Témoin de son temps, le photographe néerlandais Kadir van Lohuizen (° 1963) a rendu compte avec une infatigable énergie des conflits armés ainsi que des questions socioéconomiques les plus brûlantes de l’actualité. Depuis maintenant de nombreuses années, ses investigations concernent l’environnement, ce qui lui a valu de recevoir avec Yuri Kozyrev le prix Carmignac qui a permis aux deux photographes de poursuivre leur dernier projet Arctique: nouvelle frontière.

Prémonitoire, son premier reportage le débarquait aux Philippines durant la People Power Revolution. Kadir van Lohuizen n’était alors que reporter-photographe pigiste. Dans ce pays en guerre, il immortalise l’ampleur des manifestations réunissant près de deux millions d’opposants au régime répressif du président Marcos. Le hasard détermine la trajectoire de sa vocation. Il ne cessera plus de parcourir le monde couvrant la première Intifada en 1988, la guerre du Mozambique de 1990 à 1991, la transition de l’apartheid à la démocratie en Afrique du Sud entre 1990 et 1994 ou les conséquences de l’effondrement de l’Union soviétique dans les années 1990.

Paysage social et drames humanitaires

Mais plus que les guerres et les bouleversements politiques, ce sont les réalités sociales qui l’intéressent. Ses photographies dénoncent les conditions de vie inhumaines du prolétariat mondial. Il en fait le sombre constat dans Diamond Matters from the Mines to the Jet-Set paru en 2008 à l’issue d’une enquête menée en 2004. Il s’était attaché à l’exploitation des carrières de diamant en Angola, en Sierra Leone et en République démocratique du Congo. Loin des images compassionnelles d’une lointaine réalité géographique, il nous rend conscients de notre responsabilité en suivant toute la chaîne de production, de l’extraction jusqu’aux passions que suscite le précieux minerai auprès de la jet-set. Au fil des photographies, on évolue des grands espaces miniers éventrés au microcosme de l’élite financière à Londres ou sur la cinquième avenue. Le photographe oppose à la grisaille des travailleurs qui ont pris la couleur de la boue environnante la blanche nudité d’un corps féminin faisant cyniquement office de présentoir d’articles de joaillerie.

Quand, en 2016, Van Lohuizen retourne au Mozambique, la souffrance est toujours là intacte. Aussi vaste et meurtrière, elle a changé de visage. Ce n’est plus la guerre que le reporter avait côtoyée vingt-cinq ans plus tôt, mais la famine qui ravage le pays. Les enjeux sont maintenant d’ordre économique puisque liés à la récente découverte de minerais dans les provinces de Tete et Nampula, dans le nord du pays. Le monopole de la production minière, qui connaît un développement spectaculaire, est détenu par trois compagnies, Vale (Brésil), Jindal et ICVL (entreprises toutes deux indiennes). Vale produit 5 millions de tonnes par an et espère atteindre les 22 millions grâce à l’acquisition de 23 000 hectares de terres gagnés au prix de confiscations massives et de déplacements de population. Kadir van Lohuizen abordait indirectement l’un des grands thèmes de notre époque, celui des exodes.

Lorsque, à la demande de War Child, une ONG néerlandaise, il réalise un reportage au Congo, il est encore une fois confronté à l’exploitation massive de nouveaux minerais qui, en l’occurrence, entrent dans la fabrication des téléphones portables. Dans ce contexte, il découvre l’esclavage moderne dont sont victimes les enfants pour beaucoup originaires d’Haïti ou de République dominicaine. Objets d’un véritable trafic humain, ces derniers sont privés de leurs papiers d’identité. Non reconnus par leur pays d’origine, ce sont des apatrides généralement non rémunérés et ainsi réduits à la condition d’esclaves.

Ses reportages situent Van Lohuizen depuis près de dix ans au cœur des questions environ-nementales.

Le paysage social ne déserte jamais ses images même quand il entreprend de descendre sept des plus longs fleuves du monde, aventure qu’il relate dans Les Grands Fleuves du monde. Au Niger succèdent les eaux fluviales de l’Inde, de l’Europe centrale, de l’Amérique du Sud et de la Russie. La nature y est grandiose et d’un exotisme des confins. Mais le romantisme de ses clichés en noir et blanc est rapidement gagné par la détresse humaine. Celle de cet exilé de Sierra Leone privé depuis trois ans de tout contact avec sa famille en raison de la guerre. La réalité politique se profile derrière chaque drame humanitaire. En Sibérie orientale, ce sont les derniers nomades contraints de fuir leurs terres ancestrales dévolues à l’exploitation des réserves de gaz naturel. En Chine, des populations sont déracinées, leurs biens expropriés au nom de la modernisation, ce nouveau dieu allégué comme une raison d’Ėtat afin de légitimer la construction du barrage des Trois Gorges sur le Yang-Tseu-Kiang. Le journaliste n’épargne pas les pays industrialisés, particulièrement les Ėtats-Unis, dont il dénonce l’autosatisfaction et la complaisance. De quoi faire retentir un God bless the USA de la Louisiane aux sources du Mississipi, où les entreprises pétrolières de la zone industrielle la plus étendue des Ėtats-Unis déversent leurs déchets.

La question de l'environnement

Au-delà de la recherche et de l’exploitation des richesses mondiales se dessinent l’inhumanité des pratiques et les menaces qui pèsent sur l’environnement. Ses reportages situent Kadir van Lohuizen depuis près de dix ans au cœur des questions environnementales. Ainsi en est-il lorsqu’il aborde la culture du café au Vietnam et son déclin imputable au bouleversement climatique.

Il en est de même de la destruction de Pristine peatlands, tourbière de Kalimatan où la beauté et la biodiversité de cette île, l’une des plus grandes d’Indonésie, se voient menacées par la culture de l’huile de palme. Enfin, on garde en mémoire cette image intitulée Jours comptés sur une terre qui disparaît où des paysans bangladais sont contraints de fuir leur terre face à la montée de l’océan.

Le fléau se révèle d’une ampleur gigantesque sous l’objectif du photographe quand il décide de suivre pendant un an et demi le recyclage et l’élimination des déchets de New York, Sao Paulo, Lagos, Djakarta et Tokyo. Ce sont 3,5 millions de tonnes de déchets partout dans le monde, à savoir dix fois plus qu’il y a cent ans. Leur composition a évolué avec l’augmentation des richesses, avec la présence croissante de packaging, mais aussi de résidus électroniques qui l’emportent aujourd’hui sur les déchets organiques. Les prévisions sont alarmantes puisque en 2050 le plastique en mer dépassera la quantité de poissons. Avec Wasteland, Kadir s’introduisait dans cette part obscure de notre société de consommation.

«Arctique : nouvelle frontière»

Les lauréats du prix Carmignac du photojournalisme 2018, le Russe Yuri Kozyrev et Kadir van Lohuizen, appartiennent à l’agence NOOR (lisez Nour, «lumière» en arabe). Cofondée par Van Lohuizen, cette agence coopérative a pour vocation de documenter sur la violation des droits de l’homme et sur les problèmes environnementaux. La dotation de la fondation a permis aux photographes de financer Arctique: nouvelle frontière, qui, à bien des égards, relève du journalisme d’investigation.

Le projet est conforme à la vocation de la fondation Carmignac qui, depuis 2009, soutient la réalisation de reportages liés à la planète, qu’elle voulait cette année axer sur l’Arctique. Les deux reporters n’éludent rien de ce qui a affecté le paysage dans cette région du globe. Ils ont traversé la moitié du cercle polaire, de la Russie à la Norvège et du Groenland à l’Alaska. Outre les 100 000 euros dédiés à la double expédition, une exposition itinérante et un livre monographique seront également financés par la fondation.

Pourquoi l’Arctique alors que ces territoires avaient disparu des débats depuis 2000? Parce que cette partie du globe est considérée comme le baromètre mondial des changements climatiques. On l’imagine à tort comme un désert glacé alors qu’une centaine d’espèces y vivent ou tentent aujourd’hui d’y survivre. Ce sont près de 60 000 données en provenance d’Alaska, du Groenland, du Canada, de la Scandinavie qui ont été récemment répertoriées et analysées par l’université d’Ėdimbourg. Les analyses montrent que, sous l’effet de l’humidité et du réchauffement, les arbustes se multiplient rapidement. Plus grave, ces plantes renvoient moins de rayonnement solaire vers l’espace. Le pergélisol, sol gelé en permanence et absolument imperméable des régions arctiques, est censé emmagasiner 20 à 30% des réserves de carbone. Or, se pose actuellement le problème de son dégel qui aura pour effet de libérer à nouveau des gaz à effet de serre.

Il n’est guère de meilleur témoignage que les images pour décrire l’état du monde.

Pour Yuri Yozyrev et Kadir van Lohuizen, l’Arctique est «la nouvelle ligne de front de l’histoire». Leurs images témoignent de la disparition de villes, la banquise elle-même ayant perdu près de la moitié de sa superficie depuis 1979. Elles mettent en lumière toutes les causes du désastre à venir: l’ouverture des routes commerciales, la militarisation des frontières, la quête de ressources minérales ou même le tourisme polaire. La Russie est le leader mondial du développement de l’Arctique, avec tous les effets inhérents à l’exploitation commerciale: logistique brise-glace, ports du grand Nord, infrastructures ferroviaires afin de répondre aux besoins grandissants en hydrocarbures.

Il n’est guère de meilleur témoignage que les images pour décrire l’état du monde. Kadir van Lohuizen est à ce titre un passeur, pour ne pas dire un lanceur d’alerte. Tous ses reportages sont dictés par un grand humanisme parce qu’ils nourrissent une réflexion sur la dictature du progrès, l’obsession du profit et ses conséquences humaines. Ils sont un plaidoyer en faveur d’une prise de conscience.

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