Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Du roman au film: les éclairs obscurs de «Wil»
compte rendu
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Du roman au film: les éclairs obscurs de «Wil»

Wil de Jeroen Olyslaegers a été adapté au cinéma par le Flamand Tim Mielants, jusqu'alors surtout connu pour la réalisation de la troisième saison de Peaky Blinders. Dans son roman, Olyslaegers dénonçait la collaboration à Anvers au cours de la Seconde Guerre mondiale. Le film de Mielants traduit parfaitement l’ambiance ambiguë du roman, tout en prenant des libertés, parfois perturbantes, avec la version romanesque.

Amoureux d’Anvers, l’écrivain et dramaturge Jeroen Olyslaegers aime la mettre en lumière. Son prochain roman à paraître en français, La femme sauvage, en est le reflet parfait. Mais sa ville natale a aussi connu des heures sombres… Wil ose briser le tabou de la collaboration. Un tabou dont n’est pas exempte la propre famille d’Olyslaegers. Ce roman s’inscrit dans la trilogie des trois W, consacrée à la mémoire et l’identité: Wij (Nous), Winst (Bénéfice) et Wil. En néerlandais, ce dernier titre évoque, en plus du prénom du personnage, la volonté ainsi que l’idée de testament. Une double signification qui trouve tout son sens tant dans le roman que dans le film.

Une voix-off prend le ton d’une confession en fin de vie: «On dit que l’Histoire est importante…», or «personne ne sait ce que c’est, faudrait la voir avec ses propres yeux. Les gens ont toujours un jugement, mais quand t’es dedans, quand tu ne sais pas de quoi demain est fait, tu ne sais rien.» Ainsi s’exprime un homme qui revisite le passé. Celui de Wil, un jeune blondinet (joué par Stef Aerts) qui revêt l’uniforme de la police anversoise. Celui qui rêvait à priori de devenir artiste amuse ses camarades avec ses dessins. Une différence majeure avec le roman, où Wil se voit plutôt en poète, dans la lignée de son modèle Paul van Ostijen. Mais le cinéma étant visuel, le réalisateur a opté pour un aspirant artiste.

Alors qu’il effectue une ronde, avec son acolyte à lunettes Lode (interprété par Matteo Simoni), il est interpellé par un soldat nazi qui fait appel à leur aide pour arrêter une famille juive. Le jeune duo assiste à une scène déchirante les mettant mal à l’aise. Wil tue alors accidentellement l’Allemand dont le corps sera jeté dans les canalisations. Le poids de cet événement pèsera sur toute la vie des deux jeunes hommes. Car dès le lendemain, la caserne est en ébullition. Face au silence des policiers anversois, les nazis exécutent arbitrairement quelques agents.

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La culpabilité et la peur poussent Wil à s’adresser à un collabo francophone notoire, Felix Verschaffel. Admiratif du jeune homme intimidé, Verschaffel l’encourage à «peindre, parce que l’art c’est la lutte». Mais pour l’heure, Wil lutte surtout contre ses démons et ceux qui rongent la Belgique de 1942. La propagande nazie bat son plein en affirmant que «les juifs sont synonymes de peste». Le discours haineux de Hitler pousse certains à les détruire. Lorsque le héros comprend qu’une foule se dirige vers une synagogue, il prévient la police, mais le mal est fait. Ce lieu sacré est brûlé et les juifs tabassés sous l’œil indifférent des passants.

L’accroissement du stress suscite une méfiance entre les deux amis. Lode invite toutefois Wil dans sa famille. La mère de son ami ne semble guère enchantée: «Si tu trahis mon fils, je te tranche la gorge». C’est pourtant là que Wil fait la rencontre déterminante d’Yvette (jouée par Annelore Crollet), une femme aussi séduisante que courageuse. Elle le fait entrer dans la Résistance, où on leur répète: «nous avons tous peur, personne ne doit en avoir honte.» L’important est de sauver des vies, comme celles de la famille juive qui devait être arrêtée au début du film.

Au sein de la Résistance, Wil prend le nom de code «Angelo». Il poursuit en parallèle sa double vie dans la police et les milieux collabos: «Attention, c’est un jeu dangereux.» Alors que l’amour croît entre lui et Yvette, il se heurte à sa part la plus démoniaque. Un officier nazi le somme d’ailleurs d’opter pour un camp: «Il est l’heure de faire des choix». Or Wil en est précisément incapable. L’époque ne le lui pardonnera pas, car en ces temps où les juifs sont raflés et déportés, on ne peut pas rester stoïque et hésitant en courbant l’échine.

Jouant la carte du clair-obscur, des âmes et des images grises, Wil est filmé avec une touche picturale qui reflète très bien l’ambiance pesante du roman. Le jeu parfait des acteurs, s’exprimant constamment en dialecte anversois, ajoute une touche d’émotion indispensable nous rappelant qu’il s’agit de jeunes gens pris dans une tourmente impossible à maîtriser.

Si l’ADN du livre est respecté, le réalisateur Tim Mielants adopte des points de vue assez étonnants. Notamment par rapport au personnage de Lode, le confrère policier de Wil. Ici, il est bizarrement effacé, comme s’il était réduit à un pantin sans personnalité. Dans le livre, il s’agit cependant d’un être affirmant clairement ses positions, qui s’investit pleinement dans la Résistance. Côté cœur, il ressent une attirance troublante pour Wil, afin de montrer que les sentiments ne sont ni noirs ni blancs, surtout en ces temps de guerre exacerbés.

Alors que tout le roman est axé sur l’ambivalence de Wil, dans le film il n’est plus que victime de lui-même. Un jeune homme passif, toujours embarqué malgré lui dans le pire. Mais à quel moment se joue sa responsabilité? Lors d’un entretien croisé pour Cinevox NL, Jeroen Olyslaegers affirmait que le film «reflétait l’esprit du livre et les conditions extrêmes dans lesquelles trois jeunes gens veulent survivre.» La direction donnée au film par Tim Mielants a surtout été motivée par un dialogue entre Wil et ses futurs petits-enfants «sur la question du choix. Ils nous jugeront quant à la résistance, la collaboration et la neutralité. La moralité viendra après.»

Or ce qu’il y a de plus puissant dans les deux interprétations de Wil, c’est qu’il n’a jamais le courage de choisir. Il se laisse constamment entraîner par opportunisme ou lâcheté, mais il le payera cher, même si la fin diffère dans le film et le roman. Ce dernier étudiait justement l’impact des silences liés à la Seconde Guerre mondiale sur les générations suivantes. Dommage que le film n’en fasse pas autant. On en ressort néanmoins oppressé et glacé, d’autant que l’actualité récente nous rappelle que la guerre n’est pas chose du passé. Wil conclut que «devant l’Histoire, il faut avancer», mais à quel prix?

Wil, réalisé par Tim Mielants, avec Stef Aerts, Matteo Simoni et Annelore Crollet, Kinepolis Film Distribution (KFD), 112 minutes.
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