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En Flandre française, une appli veut faciliter l’apprentissage du dialecte west-flamand

Par Cathy Galle, traduit par Marieke Van Acker, Arthur Chimkovitch
11 mars 2024 11 min. temps de lecture

Pour les Flamands occidentaux, regarder sans sous-titrage la série Chantal sur la chaîne de télé flamande VRT ne pose aucun problème. Une association de Flandre française qui souhaite revitaliser la langue d’origine de la région voudrait qu’il en soit de même pour les Flamands de France. À cet effet, elle a lancé une application pour aider les habitants à apprendre le flamand occidental. Ce qui ne manque pas de relancer le débat sur la variante à adopter dans l’apprentissage du néerlandais dans le nord de la France.

«Ekljèn bitje» (Un petit peu), répond en riant un homme un peu plus âgé lorsque nous lui demandons si les gens d’ici parlent encore le flamand occidental. L’ambiance est conviviale au café Sainte-Cécile sur la Grand-Place de Cassel, petite commune du nord de la France. C’est le genre d’établissement où, dès avant 10 heures, le café est déjà remplacé par une bière ou par un verre de Picon, l’apéritif local.

Aussitôt, les personnes présentes, soit un ensemble d’hommes d’un certain âge, essaient d’étaler leurs connaissances du flamand occidental. Mais leur répertoire ne dépasse pas de beaucoup «kljèn bitje» (petit peu) et «moh how vint» (mais enfin) –deux classiques incontournables. Ils admettent que cette langue, ils ne la parlent plus vraiment. Mais la plupart d’entre eux la comprennent, enfin, un peu. «Mes enfants apprennent le flamand à l’école primaire», dit le propriétaire. «Ils adorent. Pendant les week-ends et les vacances, il y a beaucoup de touristes ici, surtout des gens du Westhoek. Alors, c’est agréable de comprendre quelques mots».

Le Westhoek, ce n’est qu’à un jet de pierre d’ici. Jadis, les gens d’ici parlaient le même dialecte que là-bas. Les villages dans la région ont d’ailleurs des noms flamands comme Wormhout, Winnezele, Steenvoorde ou Hazebrouck, et les établissements ou magasins s’appellent Bij de Veugelmelker (chez l’ornithophile), In het Vlaemsche Hol (Au trou flamand) ou boulangerie Au Koekestute (À la tartine de pain brioché).

Dans les années 1970, environ 80% des habitants de la Flandre français parlaient toujours le flamand occidental.

Il fut un temps où toute la Flandre française, région de France située entre Dunkerque et la Lys, faisait partie du comté de Flandre. Les choses ont changé au XVIIe siècle, lorsque Louis XIV a annexé la région. Celle-ci s’est alors francisée. Sous Napoléon, il était même interdit de parler le flamand en public. Mais encore durant une bonne partie du XXe siècle, le dialecte était très vivant au sein des familles. Dans les années 1970, environ 80% des habitants de la région parlaient toujours le flamand occidental.

«J’ai toujours entendu mes parents et mes grands-parents se parler en flamand», dit l’un des hommes au café Sainte-Cécile, à quoi les autres se mettent à hocher de la tête. Chez eux aussi, quand ils étaient enfants, la langue parlée en famille était le flamand. Par contre, eux-mêmes parlaient français. Les habitants actuels de la région connaissent donc principalement l’ancien dialecte régional «van hoors» (pour l’avoir entendu parler).

Des livres bilingues

C’est précisément ce que souhaite changer l’Akademie voor Nuuze Vlaemsche Taele
(l’Institut de la langue régionale flamande). Cette association, dont le siège se trouve à l’hôtel de ville de Cassel, a été fondée il y a vingt ans dans le but de sensibiliser les Flamands de France à leur langue historique et à la culture qui l’accompagne. À l’origine, il s’agissait d’une initiative de petite envergure lancée par quelques passionnés d’histoire locale. Mais depuis quelques années, l’Académie bénéficie d’un financement substantiel venant du Conseil régional des Hauts-de-France et du Ministère français de la Culture.

Les résultats en sont visibles à travers la région. Partout, on voit des panneaux de localisation bilingues (français/ flamand occidental) pour les communes et les rues. L’Académie a publié un Dictionnaire du flamand occidental (Den Grooten Woordenboek van ’t West-Vlamsch) et organise chaque année une Semaine du flamand occidental. Dans les cafés et restaurants circulent de petits livres bilingues contenant les recettes de plats typiques de la région. L’on y trouve par exemple celle du Potje Vleësch (potjevleesch), un produit régional reconnu, consommé surtout dans le Westhoek et en Flandre française. Enfin, l’Académie réunit un groupe de travail sur la grammaire et un autre sur l’orthographe. L’accent y est fortement mis sur la langue écrite, beaucoup plus que ce n’est le cas en Flandre-Occidentale.

Et maintenant, il y a donc aussi une appli permettant aux Flamands de France d’apprendre le flamand occidental. Elle propose principalement des entités lexicales, comme nous avons pu le constater en la testant par nous-même: ‘t vertrek (les toilettes), ‘t zwyn (le cochon) ou de katte (le chat) en font partie. L’Académie vise clairement un public jeune, car les illustrations utilisées ressemblent à s’y méprendre à celles d’un livre de coloriage pour enfants.

Selon l’Académie, l’application est désormais un énorme succès. On ne dispose pas de chiffres de téléchargement précis, mais les réactions sont très élogieuses. C’est ce qu’a déclaré au journal Krant van West-Vlaanderen le coprésident et cofondateur de l’organisation, Jean-Paul Couché, dans un des rares entretiens accordés aux médias flamands. Quant à nos propres demandes d’entretien, aucune suite n’y a été donnée. Curieusement, l’Académie ne semble pas avoir beaucoup d’estime pour la Flandre. L’organisation affirme vouloir se concentrer uniquement sur la culture de sa propre région. Ses actions ne sont pas politiques, seulement culturelles, dit-elle encore.

Causettes en flamand

Parmi les initiatives marquantes de l’Académie figurent les cours de flamand occidental donnés dans une dizaine d’écoles primaires et secondaires locales. «Une bonne initiative», estime Marie Litaert, qui fait ses courses à Wormhout. «Mes enfants suivent ces cours, une heure par semaine, et ils adorent ça. Ils savent que c’est la langue de leurs ancêtres. Et c’est bon aussi pour leur avenir».

Dans cette région, les opportunités d’emploi sont plutôt limitées. Beaucoup de jeunes tentent leur chance de l’autre côté de la frontière, en Flandre-Occidentale. Et pour travailler à Poperinge ou à Ypres, mieux vaut connaître le dialecte flamand occidental. Cela permet de tenir au moins une konversaesjen in ’t Vlamsch (causette en flamand)» (rires). C’est une façon de voir les choses. Mais il y a aussi d’autres points de vue. Philippe Ducourant vit à Bailleul, du côté français. Il envoie consciemment son fils dans une petite école flamande à Abele, juste passé la frontière, où il apprend le néerlandais.

Nous rencontrons Philippe à Noordpeene, sur le seuil de la Maison de la Bataille, musée consacré à la bataille de Cassel, en 1677. Lors de cet affrontement, les Français ont vaincu les Hollandais, après quoi la Flandre française a été annexée par la France. Ducourant y travaille en tant que guide et connaît l’histoire sur le bout des doigts. «Je suis à coup sûr flamand. Je suis même plus flamand que Bart De Wever. Du point de vue historique en tout cas», dit-il en riant. Il nous montre un dossier bleu rempli de cartes historiques et nous offre une leçon d’histoire. Conclusion de son exposé: les provinces actuelles d’Anvers et du Limbourg ne faisaient pas partie du comté de Flandre, à la différence de «sa» Flandre française.

Comme de nombreux habitants de sa région, Philippe est fier d’être flamand. Il était là, l’année dernière, quand l’équipe de foot locale de Cassel –un village d’à peine 3 200 habitants– a affronté le grand Paris Saint-Germain lors de la Coupe de France. Ce jour-là, le stade entier arborait les teintes jaunes et noires. Des milliers de Flamands de France sont venus soutenir l’équipe outsider casseloise avec des drapeaux ornés de lions flamands. Cela n’a pas suffi pour mener l’équipe locale à la victoire, mais à l’époque, ces images ont fait le tour de l’Europe.

«C’était formidable», dit Ducourant, les yeux brillants. «Le PSG n’a pas envoyé une équipe B, hein. Il y avait là de grandes stars, comme Mbappé et Neymar. Mais je comprends que, en tant que Flamande, cela peut vous paraître étrange, l’image de tous ces drapeaux flamands dans ce stade. Ici, ce n’est pas étrange du tout. Ça n’a rien à voir avec la politique ou le flamingantisme. Ici, en plus d’être français, nous nous sommes toujours sentis flamands aussi».

À l’école en Flandre belge

C’est précisément pour honorer cet héritage qu’il envoie son fils dans une école en Flandre belge. «Mes quatre grands-parents parlaient le west-flamand et mon père le parlait couramment lui aussi. Nous voulions que nos enfants connaissent la version moderne du dialecte, donc le néerlandais. Pour nous, c’est logique: connaître la langue standard est essentiel, le dialecte en découle ensuite naturellement».

Il nous montre une adorable vidéo YouTube dans laquelle son fils Éloi (8 ans) explique avec aisance, dans un néerlandais fortement imprégné de couleurs occidentales, qu’il fréquente une école en Flandre où il a à la fois des amis français et flamands. «Notre plan a fonctionné», dit le père avec fierté. «Il parle comme les enfants flamands là-bas. Il apprend la langue standard et à partir de là, il comprend aussi le dialecte».

Faut-il enseigner aux petits Français flamands le flamand occidental ou plutôt la langue standard, afin d’améliorer leurs perspectives chez les voisins? Tout comme Ducourant, l’écrivain Wido Bourel (68 ans) est un fervent défenseur de la seconde option. Il a lui-même grandi dans le village de Caëstre (Kaaster) en Flandre française. Il vit depuis plusieurs années dans la région de la Campine en Flandre belge et parle mieux le néerlandais que de nombreux locuteurs natifs. Mais il suit de près l’actualité de sa région natale et y consacre régulièrement des livres.

Lui aussi entendait parler principalement le flamand occidental à la maison. Par la suite, il a été dans sa région natale membre de plusieurs associations désireuses de restaurer le dialecte. «Mais la grande différence avec la politique actuelle de l’Académie, c’est que nous considérons le flamand occidental comme une sorte de prolongement du néerlandais», explique-t-il. «Un dialecte est une langue parlée, mais écrire se fait dans une langue standard. On le voit aussi dans les anciens écrits de la région. Ils n’étaient pas écrits en dialecte, mais dans le néerlandais standard de l’époque».

Le test de la réalité

Dans la vie réelle, la connaissance du flamand occidental profite peu à un enfant de Flandre française s’il ne maîtrise pas également la langue standard, estime Bourel. «Le néerlandais est la langue des entreprises en Flandre. Même au fin fond de la Flandre-Occidentale, on écrit et on lit en néerlandais. Parler en flamand occidental est très sympathique et convivial socialement, et cette langue doit absolument continuer à exister, mais la langue de communication avec la Flandre, c’est le néerlandais. Il y a beaucoup de chômage ici. Si nos jeunes veulent travailler en Flandre, ils doivent connaître le néerlandais».

Wido Bourel: Un dialecte est une langue parlée, mais écrire se fait dans une langue standard

Le flamand occidental pose un autre problème encore, estime Bourel. Selon l’Académie, la région compterait encore environ 50 000 personnes parlant activement cette langue. C’est un chiffre fortement exagéré, considère Bourel. D’après lui, il y a seulement quelques milliers de personnes, toutes âgées de plus de 75 ans. Un septuagénaire devant une classe n’est pas chose évidente. Celles et ceux qui enseignent le flamand dans l’enseignement régulier ne sont donc pas des locuteurs natifs. Les élèves apprennent ainsi une langue fabriquée, quelque peu artificielle et pleine d’archaïsmes que même un natif de Flandre-Occidentale a parfois du mal à comprendre.

Bourel: «En fait, il faut voir le flamand occidental d’ici comme une curiosité, du folklore, un fragment d’histoire locale. Et c’est une bonne astuce pour attirer les touristes. Les Flamands occidentaux adorent voir des panneaux de localisation dans leur langue. Mais il arrive quelquefois qu’on favorise le dialecte dans le choix des noms flamands. Parce qu’ils ont l’air plus flamands que le véritable nom historique de la commune, ou parce qu’en réalité, le nom est identique en français et en flamand» (rires).

Amusant, mais problématique. Parce que plus on met l’accent sur la promotion de west-flamand, plus cela devient un obstacle à l’apprentissage du néerlandais, estime Ducourant, car dialecte et langue standard sont mis en concurrence dans l’enseignement scolaire. «Regardez les chiffres: environ 0,5% des élèves du secondaire ici apprennent le néerlandais. C’est problématique. En Alsace, par exemple, une région qui est fortement influencée par l’Allemagne, environ 80% des élèves étudient l’allemand».

Les derniers des mohicans

Il y a donc en gros deux camps. C’est ce que nous confirme aussi Melissa Farasyn, chercheuse postdoctorale au Fonds de la recherche scientifique (FWO) à l’université de Gand en Belgique. Le premier camp souhaite une résurgence de la langue régionale historique, tandis que l’autre préférerait promouvoir le néerlandais standard. Selon elle, il est tout à fait normal que des communautés souhaitent revitaliser leur langue historique. Le problème réside surtout dans le fait que le flamand occidental est à peine encore parlé activement dans la région. «On enseigne ainsi aux enfants une langue qui est à peine pratiquée dans la réalité». Qu’il y ait encore 50 000 locuteurs –selon les uns– ou quelques milliers –selon les autres–, le constat est le même: dans une dizaine d’années, cette langue sera presque éteinte. Ce sont les derniers des Mohicans, selon l’expression de Bourel. Chaque village compte encore une poignée de locuteurs natifs.

Il s’agit surtout de créer une conscience autour d’une histoire commune, pense la chercheuse. «Quand je rends visite aux habitants là-bas, je vois que ces personnes sont très fières de la part flamande de leur identité. Elles sont fières de qui elles sont, de leurs origines et de la langue qui a été autrefois fortement réprimée. Les personnes âgées évoquent fréquemment des histoires de sanctions sévères infligées à l’époque où elles utilisaient le flamand à l’école. Tout cela joue un rôle».

Une application comme celle-ci permet surtout d’apprendre du vocabulaire, pas vraiment une langue. Selon Farasyn, croire que les Flamands de France pourront désormais regarder des séries comme Chantal en flamand occidental grâce à l’appli, est excessif. «Ils n’iront pas aussi loin. Mais pour mettre en valeur une langue, il faut commencer quelque part. Une appli permet d’atteindre beaucoup de personnes, surtout les jeunes. Donc de ce point de vue, c’est une très bonne idée».

Cet article a d’abord paru dans De Morgen, édition du 12 février 2024.
Cathy Galle

Cathy Galle

journaliste et responsable de l'information à De Morgen

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