Entre radicalité flamande et tradition française: le festival NEXT
Depuis 2008, le festival NEXT rassemble les amateurs de théâtre et de danse du nord de la France, de la Flandre belge et de la Wallonie. En peu de temps, il a réussi à réunir des points de vue artistiques parfois très différents et à devenir l’un des festivals les plus innovants d’Europe. Comment NEXT envisage-t-il l’avenir?
Deux semaines avant le démarrage de la treizième édition de NEXT en novembre 2020, les théâtres de Belgique et de France ont été contraints de fermer leurs portes en raison de la pandémie. Cette treizième édition a dû être annulée. Mais au moment où j’écris cet article, les équipes sont à l’œuvre pour préparer le festival 2021. Espérons que cet opus marquera une véritable renaissance.
Des bus transportent les spectateurs vers les représentations qui ont lieu de l'autre côté de la frontière.© J. Verbeke
NEXT a vu le jour grâce au soutien du programme européen de coopération transfrontalière Interreg IV, qui offre l’opportunité à des acteurs culturels de France, de la Communauté flamande de Belgique et de la Fédération Wallonie-Bruxelles de s’associer pour porter des projets communs. Cette coopération transfrontalière existait de longue date de manière bilatérale.
La Rose des vents, scène nationale de la métropole lilloise, avait développé, dès la naissance des programmes Interreg, des liens avec la Maison de la culture de Tournai, puis dès 2004 un projet avec le Schouwburg Kortrijk (Théâtre de Courtrai). Elle a joué ainsi un rôle d’intermédiaire dans la création de NEXT, portée par quatre structures: Buda et le Schouwburg
à Courtrai, la Maison de la culture de Tournai, La Rose des vents elle-même et l’Espace Pasolini de Valenciennes, rejoints bientôt par le Phénix, scène nationale de Valenciennes.
NEXT est une formidable plateforme de coopération transfrontalière ouverte
Dès l’origine il s’agit bien d’un projet artistique partagé autour d’une orientation et d’une ambition communes: inscrire NEXT dans le réseau international des festivals de création et de recherche, notamment dans les domaines de la danse, du théâtre et de la performance, et revendiquer une ligne artistique privilégiant les formes nouvelles qui croisent et métissent les genres et les disciplines.
Ainsi NEXT a pris position en rupture avec une certaine tradition théâtrale qui affirmait que le vecteur essentiel voire unique du sens était le texte poétique prononcé par l’acteur, la mise en scène se mettant au service de l’intelligibilité dudit texte pour le spectateur. L’évolution du théâtre aujourd’hui que d’aucuns ont nommé «théâtre postdramatique» a fait tomber le texte de son piédestal et conçoit la représentation théâtrale, chorégraphique, performative comme une émotion esthétique globale qui fait sens pour chacun des spectateurs pris individuellement. Tous les éléments qui constituent cette représentation, le corps, la parole, la danse, l’image, le son, la scénographie, participent de cette émotion et du sens
Ces nouvelles visions de la représentation ont constitué une sorte de socle artistique commun, même si les différences institutionnelles entre partenaires, leurs missions, leurs histoires, leurs cultures et traditions artistiques (notamment pour ce qui concerne le théâtre) et l’image qu’ils se faisaient de la réceptivité de leurs publics respectifs, ont parfois donné lieu à de vifs échanges dans le comité de programmation en charge de la cohérence du programme. Malgré cela, NEXT a su, vaille que vaille, assumer cette orientation.
Twenty-seven Perspectives de Maud le Pladec (France), une représentation au Schouwburg Kortrijk, NEXT 2018© J. Verbeke
Entre radicalité contemporaine flamande et tradition francophone d’un théâtre de texte dont étaient encore fortement imprégnés les artistes et programmateurs notamment wallons, les débats parfois tendus ont permis peu à peu que s’impose l’exigence d’une ligne artistique sans compromis. La programmation du festival ne devait pas être un collage des choix des différents partenaires, mais une proposition commune défendant la «modernité» de la recherche artistique contemporaine.
L’importance de la danse contemporaine, la présence du corps dans ces nouvelles formes ont joué un rôle important dans cette évolution des partenaires. De même la volonté de privilégier la jeune création internationale.
Quelques particularités
En quelques années NEXT va réussir à s’imposer dans le réseau mondial des festivals, dont il devient un invité régulier. En 2015, il est sélectionné par un jury international et reçoit un EFFE-Award (Europe for festivals, Festivals for Europe) comme l’un des douze festivals les plus innovants parmi 760 festivals européens. La structure atypique de la coopération horizontale entre les partenaires principaux et une vingtaine de structures culturelles associées dans l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai et la Région Hauts-de-France lui donne un caractère unique.
Benoit GeersIl n’existe pas, hélas!, aujourd’hui d’outil juridique européen qui permette de créer une association transnationale pour gérer des projets tels que NEXT. Néanmoins, les partenaires fondateurs du festival ont su mettre en place un système de fonctionnement collectif qui associe, pour la direction, la programmation, la billetterie unique, la communication, le surtitrage, les déplacements du public, la gestion financière etc. …, l’ensemble des équipes permanentes des structures associées et repose pour une bonne part sur leur investissement humain et financier.
Dès l’origine, heureusement, un homme providentiel a été choisi comme coordinateur: Benoit Geers rattaché à Buda, alors dirigé par Francky Devos. Le succès de NEXT doit beaucoup au talent et à la ténacité de Benoit Geers, à ses capacités d’organisation et de médiation. Il est la cheville ouvrière et bien plus encore du festival. Il en est l’âme et l’incarnation.
Autre particularité de NEXT: avoir su fédérer de chaque côté de la «frontière» franco-belge plus d’une vingtaine de partenaires culturels réguliers qui accueillent, déplacent leur public et créent ainsi un véritable maillage dans l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai et dans la Région Hauts-de-France, faisant ainsi de NEXT un vrai projet politique de territoire. Il faut noter que la naissance de NEXT est concomitante de celle de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai et, s’il n’existe aucun lien institutionnel entre eux, NEXT joue indubitablement un rôle symbolique de par son volet culturel.
Un problème côté wallon
La création de NEXT a été soutenue au départ par le financement de la Métropole européenne de Lille via la Rose des vents et par celui d’Interreg France-Wallonie-Vlaanderen. La fin des financements européens en 2014 aurait pu signifier le terme de l’aventure. La volonté de s’en tenir à la décision de la Communauté flamande de soutenir NEXT pendant 5 ans (2017-2021), puis l’annonce par le président de la Région Hauts-de-France lors du Festival d’Avignon en 2017 de reconnaître NEXT comme un événement d’importance régionale ont assuré la pérennité du projet. Une ASBL (association sans but lucratif), côté belge, et une association française (loi de 1901) sont aujourd’hui les supports juridiques du festival.
Hélas il n’en a pas été de même pour le versant wallon. Fin 2019, le conseil d’administration de la Maison de la culture de Tournai décide de se retirer de NEXT. Le sous-financement de la maison par la Wallonie a toujours fragilisé la position de l’équipe de Tournai, au demeurant partagée entre des missions non clarifiées de diffusion du spectacle et d’animations socio-culturelles. Le retrait des financements européens, non compensé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, et les faiblesses structurelles de l’équipe ont déterminé ce choix regrettable.
Hymn to Love de Marta Górnicka (Pologne), une représentation à la Rose des vents (Villeneuve d’Ascq), NEXT 2019© J. Verbeke
Les autres partenaires espèrent que cette absence ne sera que temporaire et feront le maximum pour mettre l’ensemble des partenaires publics autour d’une table de discussion. À ce jour le versant wallon est réduit à la portion congrue avec des partenariats limités à Lessines, Peruwelz et Comines. Comment imaginer la coopération transfrontalière sans une structure majeure de la Wallonie picarde ou du Hainaut? Cette incertitude pèse indubitablement sur NEXT.
Toutefois, dans la programmation annulée de 2020, NEXT proposait 38 spectacles pour 81 représentations dans 24 lieux répartis dans 16 villes flamandes, wallonnes et françaises. Sur les 38 projets, 19 étaient des productions étrangères (hors France et Belgique) venant de 16 pays différents avec 7 premières mondiales et 7 premières nationales, dont 17 coproductions du festival; 25 navettes devaient sillonner la région.
NEXT a pris position en rupture avec une certaine tradition théâtrale qui affirmait que le vecteur essentiel voire unique du sens était le texte poétique prononcé par l’acteur
Outre cette programmation, le festival poursuit des missions de sensibilisation et de médiation avec le public et développe des formes inclusives, des ateliers, des moments de rencontre et de débat. Des rencontres professionnelles sont organisées chaque année, ainsi une trentaine de programmateurs européens auraient dû se rencontrer lors de cette édition in situ, transformée en «webinaire». Chaque année le festival invente aussi des initiatives en marge de la programmation.
Quel avenir pour NEXT?
Au-delà de l’édition 2021, une réflexion stratégique s’impose pour dessiner le futur du festival. Cependant, nombre de paramètres restent inconnus: changement du personnel politique et nouvelles orientations pour les organismes qui subventionnent NEXT? Changement dans les directions et les choix des structures culturelles qui font NEXT? Cela montre l’importance des hommes et de leur vision dans tous les projets culturels.
Les politiques culturelles publiques doivent tirer les leçons de cette période post-covid. Peut-on continuer à proposer des programmations purement prescriptives sans prendre en compte les nouvelles pratiques des spectateurs, leurs attentes, les droits culturels des citoyens? Quelles inflexions imaginer?
NEXT est une formidable plateforme de coopération transfrontalière ouverte. Mais qu’adviendra-t-il de l’accord de coopération signé entre la Communauté flamande et la Région Hauts-de-France et de celui qui n’avance guère entre les Communautés wallonne et flamande? Quelle volonté politique redonnera de l’élan à l’Eurométropole, à la coopération transfrontalière entre ces régions? Quelle forme juridique inventer pour que NEXT soit plus autonome et plus que jamais un outil artistique au service de projets citoyens novateurs?
À l’évidence, le futur de NEXT repose sur un nouveau projet commun avec une plus forte implication sociétale, sur le soutien de la Communauté Wallonie-Bruxelles aujourd’hui aux «abonnés absents». Sur la volonté des partenaires de poursuivre l’aventure.
L’édition 2021 du festival se tient du 12 novembre au 4 décembre.
Le programme du festival peut être consulté ICI.
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