«Espaces Possibles»: prendre la mesure des tiers-lieux
Avec «Espaces Possibles», le WAAO, centre d’architecture et d’urbanisme de Lille, présente un beau panorama des «tiers-lieux», ces espaces intermédiaires entre la maison et le travail. En Flandre et en Wallonie également, ces lieux progressent comme jamais. Mais tous ces lieux ne se ressemblent pas.
© textz – Bart Noels
Le premier mérite de l’exposition «Espaces possibles» est de faire découvrir le Bazaar St-So, un lieu de cocréation qui a ouvert ses portes discrètement en pleine période de covid. Vous connaissez sans doute Saint Sauveur, cette gare de marchandises réhabilitée, au cœur de l’agglomération lilloise, qui a accueilli en 2009 une partie des événements de Lille 3000.
Les architectes urbanistes Béal et Blanckaert, de l’agence homonyme, ont transformé ces dernières années des hangars situés dans le prolongement de la halle B de l’ancienne gare ferroviaire et renommés entre-temps Bazaar St-So. Les bâtiments ont été mis à nu et aménagés avec un grand soin pour créer 5000 m2 d’ateliers ainsi que d’espaces de réunion et de rencontre. Le tracé des anciennes voies est encore visible, car des planches en bois rappellent leur présence.
© textz – Bart Noels
Bazaar St-So est financé par un partenariat public-privé et exploité par la coopérative Smart, un prestataire de services de gestion pour les travailleurs du secteur culturel et créatif.
«Espaces Possibles» présente ces lieux, des sites regroupant différentes fonctions, dédiés à la cocréation et à la rencontre. L’exposition est conçue comme un grand inventaire des «tiers-lieu » de la région Hauts-de-France. Le terme «tiers-lieu» est une traduction de l’anglais third place, créé par le sociologue Ray Oldenburg pour désigner des espaces intermédiaires entre la maison et le travail. Le concept n’est pas inconnu en Flandre belge, où les bibliothèques se définissent depuis un certain temps déjà comme des lieux publics de lecture, d’information, de création et de rencontre. Il suffit de se rendre un samedi dans une grande bibliothèque pour en prendre la mesure. Les bibliothèques ne se contentent pas de prêter des livres, tant s’en faut. Elles sont devenues des salles de séjour urbaines.
© textz – Bart Noels
Espace de cotravail, café ou atelier
Il en va de même pour les espaces de cotravail, qui poussent comme des champignons. La seule ville de Courtrai en compte déjà une dizaine. Il peut aussi s’agir d’un atelier partagé, comme les Ateliers Jouret à Roubaix ou le TechShop –Ateliers Leroy Merlin dans lequel les utilisateurs peuvent utiliser du matériel de travail. Il existe donc des tiers-lieux de toutes formes et de toutes tailles. Leur mode de financement est également très diversifié.
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Le Polder à Hellemmes, dans la banlieue de Lille, est un café solidaire, dans lequel chacun peut apporter ses idées d’activités. La coopérative Baraka, à Roubaix, est un restaurant social, un espace de cotravail et entend jouer un rôle moteur dans la transition écologique du quartier. Bolwerk, à Courtrai, est une association sans but lucratif au sein de laquelle des créatifs apportent leur contribution à des projets de l’association ou proposent leurs propres projets. Bolwerk réalise des créations qui peuvent être présentées lors de festivals, mais a également, par exemple, des activités de scène et un atelier pour jeunes. La Bonneterie, à Leuze-en-Hainaut, propose aussi des ateliers, mais s’invite résolument dans les quartiers. À la demande des villes, des communes ou des collectivités, La Bonneterie réalise des constructions avec leurs habitants. Récemment encore, un parc de planche à roulettes s’est ouvert à Frasnes, après une semaine de travail collaboratif effectué par l’association et les jeunes du quartier.
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Outils de développement territorial
Bien que l’exposition «Espaces Possibles» ne fournisse que des exemples du nord de la France, on peut aussi songer à des exemples flamands ou wallons. Il s’agit là d’une présentation et d’un inventaire. L’exposition n’explique guère pourquoi on crée des tiers-lieux ni comment on les finance. «Espaces Possibles» met plutôt l’accent sur la manière dont les architectes réussissent à intégrer différentes fonctions dans un même site et la façon dont s’organise cette rencontre.
«À quel moment l’architecture s’efface-t-elle au profit d’usagers qui pourraient concevoir les choses par eux-mêmes? Il y a là un débat intéressant», fait observer Antoine Béal, l’un des deux architectes qui ont aménagé le Bazaar St-So. C’est une question légitime, qui renvoie, à vrai dire, à la nature des tiers-lieux. Quel contexte précis permet de construire autour de la cocréation, et à quel moment doit-on assurer le pilotage ou s’en abstenir? S’agit-il pour l’initiateur du projet de créer des mètres carrés à louer ou susciter la collaboration? Quel est alors l’objectif? Faut-il un projet d’atelier partagé pour les citadins ayant un espace limité à la maison, dans lequel le tiers-lieu ne sert qu’au partage de l’espace, ou s’agit-il au contraire d’élaborer des projets en commun et que cette collaboration soit avant tout guidée par le contenu? Ou les deux à la fois?
© textz – Bart Noels
Nul doute que ce type d’initiatives va poursuivre sa progression dans les années à venir, car la motivation est là. Les pouvoirs publics l’ont bien compris. Dans les Hauts-de-France, ces lieux de liens sont considérés depuis plusieurs années comme des outils de développement territorial. En Belgique, la Flandre s’intéresse aussi à de telles activités intersectorielles. Le gouvernement flamand s’empresse de tout ordonner dans des catégories comme la culture, le patrimoine, l’économie ou l’environnement et de trouver des mécanismes de subvention à l’avenant. Une ouverture se dessine peu à peu, cependant, comme en témoigne le décret culturel supralocal, dans lequel la coopération intersectorielle est encouragée. Une des voies possibles, par conséquent, pour les tiers-lieux.
«Espaces Possibles» du 17 septembre au 19 novembre
WAAO – centre d’architecture et d’urbanisme de Lille
Accès gratuit