Etienne Vermeersch (1934-2019), apôtre flamand de l’esprit des Lumières
La vie d’Etienne Vermeersch illustre le revirement effectué par la Flandre depuis la
Deuxième Guerre mondiale: catholique et conservatrice, cette région
s’est sécularisée et elle s’est ouverte aux idées sociales
progressistes, telles que le mariage des homosexuels, l’euthanasie
et l’avortement.
Vermeersch
était issu d’une famille modeste. Son père était un cheminot et
sa mère travaillait comme bonne dans une famille noble francophone
de Bruges. Vermeersch a été élevé dans un catholicisme très
strict. Au point qu’en 1953 il est entré comme novice dans l’ordre
des jésuites à Drongen (près de Gand), où le culte chrétien de
la souffrance l’a poussé à l’autoflagellation. Ensuite, il a
étudié la philologie classique et la philosophie à l’université
de Gand, où il a été nommé professeur en 1967 et dont il a été
le vice-recteur entre 1993 et 1997.
À
l’âge de 25 ans, Vermeersch a renoncé à sa foi ainsi qu’à
toutes les conceptions de l’homme, de la vie et de la souffrance
qui y sont inhérentes. Devenu un fervent athée, il a publié
plusieurs ouvrages sur la non-existence de Dieu. Il a été un
défenseur de l’esprit des Lumières. La Déclaration universelle
des droits de l’homme a inspiré ses réflexions sur la culture et
la politique. Vermeersch citait souvent la phrase magnifique de
Lacordaire, le prêtre aux sentiments sociaux: «Entre le fort et le
faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le
serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère».
Cette assertion a été le fil conducteur de ses visions sociales et
économiques – Vermeersch était opposé à une interprétation trop
libérale de la liberté humaine.
À
l’université de Gand, Vermeersch a enseigné notamment
l’anthropologie philosophique et l’histoire de la chrétienté.
En tant que scientifique, il s’est intéressé aux problèmes liés
à la philosophie des sciences et à l’intelligence artificielle.
C’est ainsi qu’il a cofondé le SKEPP, le Studiekring
voor Kritische Evaluatie van Pseudowetenschap en het Paranormale
(Cercle
d’étude de l’évaluation critique des pseudosciences et du
paranormal). En homme soucieux d’éthique, il a milité pour
l’autonomie de chaque individu, marquant de son empreinte la
légalisation de l’avortement et la législation sur l’euthanasie.
Il lui semblait important de lutter pour réduire les souffrances
insupportables. Peu avant son décès, il a déclaré qu’il pouvait
mourir grâce à l’œuvre de sa vie – atteint d’une maladie qui
traînait en longueur, il a eu lui-même recours, au bout d’un an,
à la solution de l’euthanasie.
Il pensait que seuls les arguments rationnels permettent d’éviter les conflits.
Dans
les années 1980, Vermeersch était un intellectuel reconnu, qui
écrivait pour un large public. Son livre De
Ogen van de panda (Les
Yeux du panda) aborde déjà la problématique de l’environnement.
Il s’est exprimé à de nombreuses reprises contre la
surpopulation, qu’il considérait comme le plus gros problème de
l’humanité. Marié, Vermeersch n’a pas eu d’enfants, un choix
délibéré selon ses propres dires Devenu
professeur émérite, Vermeersch a pris part à plusieurs commissions
éthiques, notamment à propos de l’établissement de règles
relatives aux expulsions forcées des demandeurs d’asile déboutés,
après la mort de Samiru Adamu en 19991.
Vermeersch s’est impliqué fortement aussi dans la question de
règles à appliquer à l’intégration des nouveaux arrivants. Bien
qu’il n’ait adhéré à aucune des visions officielles des partis
politiques, il a défendu le maintien du parti socialiste flamand,
lorsque, dans les années 1990, celui-ci a été mis en cause à la
suite de multiples scandales.
Mais
Vermeersch a toujours conservé son indépendance. Alors que la
plupart des intellectuels progressistes de gauche de Flandre sont
pro-belges, il a adopté, sur le sujet, des positions différentes.
Il a grandi dans une famille de sensibilité flamande et, à un âge
avancé, il a exprimé, dans ses écrits, des points de vue nettement
flamands, notamment à propos des réformes de l’État après 2008,
Vermeersch
était connu pour son style acéré de débatteur, son érudition
phénoménale et son engagement social. Son combat pour la liberté
de pensée peut être considéré comme un héritage important: dans
la Flandre patriarcale catholique, il a eu le talent d’aborder des
thèmes sensibles de manière claire et réfléchie.
Il
a ouvert ainsi des débats qui, sans cette aptitude, ne finissent que
trop facilement en sophismes ou attaques personnelles. Malgré sa
véhémence, Vermeersch essayait d’être conciliant avec ses
contradicteurs. Cette liberté, il l’a défendue jusqu’à la fin,
même en ce qui concerne la liberté de culte, notamment au sujet de
l’islam. Il refusait de céder à l’adage selon lequel il faut se
censurer soi-même dès que l’on risque de blesser ou d’offenser
quelqu’un. Au contraire, il pensait que seuls les arguments
rationnels permettent d’éviter les conflits. Pourtant, ses points
de vue critiques – sur le christianisme et l’islam – lui ont été
largement reprochés.
Etienne
Vermeersch gagnait énormément à être connu. En dehors de son
œuvre philosophique, il était très intéressé par la culture et
faisait preuve d’une grande curiosité, en particulier pour les
Cantates
de Bach et la Divine
Comédie
de Dante. Mais Vermeersch n’était pas seulement un intellectuel.
Après sa mort, de nombreux témoignages ont décrit le bon vivant
qu’il était, un homme qui aimait l’humour et les repas entre
amis.