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Flandre et Pays-Bas : quelques différences

Par Luc Devoldere, traduit par Jean-Marie Jacquet
6 novembre 2019 5 min. temps de lecture Carnets d’un étonné

Il y a entre la Flandre et les Pays-Bas, en termes de culture et de mentalité, pas mal de différences, certaines riches d’enseignements, d’autres amusantes. Elles ne sont cependant pas suffisamment nombreuses pour que Flamands et Néerlandais ne veuillent rien avoir en commun. Leurs pays respectifs sont d’ailleurs pour les uns et les autres un «étranger» on ne peut plus voisin.

Permettez-moi d’énumérer quelques différences. De mon point de vue, qui est celui d’un Flamand, d’un Belge d’expression néerlandaise.

Nous parlons la même langue, mais cette langue elle-même nous sépare. En effet, nous avons des conceptions différentes de la langue et des rapports différents avec elle. Par boutade, on pourrait dire que la sensibilité des Flamands sur le chapitre de la langue tourne facilement à la crispation. Pour les Néerlandais, la langue va tellement de soi qu’elle les laisse souvent indifférents.

Un jour, une membre de la Chambre haute de La Haye, après un exposé sur la situation complexe et compliquée de la Belgique en matière de langues, me dit sur un ton amical et un rien condescendant: «Monsieur Devoldere. Vous devez comprendre que, pour nous, la langue n’a aucun caractère politique». J’ai répliqué: «Madame, vous faites erreur. La langue est toujours de la politique». La sénatrice n’avait jamais encore entendu parler de Linguistic Justice de Philippe Van Parijs. Et pour ce qui est de la complexité et des complications de la situation linguistique en Belgique: vous savez que vous pouvez y butter sur un dialecte pur et dur, un parler régional, une langue hybride – un «flamand parcellisé» au sens du fameux Verkavelingsvlaams
– contrastant avec la langue standard. Et c’est vrai: beaucoup donnent à ces multiples variantes le nom de «flamand». Une appellation pas très à mon goût, car c’est exactement celle qu’employait le cardinal Mercier au début du XXe siècle lorsqu’il expliquait pourquoi les Flamands ne pouvaient avoir une université dans ce «flamand». Il avait raison, mais il n’aurait pu en dire autant s’il avait parlé de «néerlandais».

Une importante différence entre le Nord et le Sud réside dans leur niveau d’ambition. Les Pays-Bas ont eu leur heure de gloire au XVIIe siècle: la République, pendant un temps, a été une puissance mondiale, d’une incontestable envergure sur le plan maritime et commercial. L’esprit VOC (Vereenigde Oostindische Compagnie – Compagnie des Indes orientales) subsiste aujourd’hui encore dans l’image que les Pays-Bas se font d’eux-mêmes: la conscience d’être le plus petit des grands pays. La Belgique, elle, sait qu’elle est une petite nation, et se comporte comme telle. Avec, parfois, plus de succès diplomatiques que les Pays-Bas, parce qu’elle manoeuvre modestement, prudemment, lentement en coulisses, préparant patiemment un compromis.

Les Pays-Bas sont un État-nation fort (De Gaulle disait: le seul en Europe avec la France). La nation s’y confond quasi parfaitement avec l’État et avec la monarchie: le ciment d’union s’appelle Oranje. La Belgique fait partie, avec l’Italie, – les deux pays ont connu une unification tardive – de la famille des États-nations faibles. La nation n’y coïncide pas avec l’État, pas même avec la monarchie. Il s’ensuit que les Pays-Bas sont gérés de manière plus jacobine, plus centralisatrice. En Belgique et, partant, en Flandre, le particularisme, notamment celui des villes, est beaucoup plus marqué et le tissu des organismes intermédiaires plus dense. Le pouvoir y est davantage décentralisé, éparpillé.

Ceci m’amène à une autre différence. Organisation contre improvisation. Il a fallu que j’assiste à une réunion aux Pays-Bas pour entendre, face à un problème surgissant inopinément, ce mantra: «Avons-nous prévu comment gérer cela?» On n’imagine pas pareille question en Flandre.

La culture de réunion diffère. En Flandre, les véritables décisions se forgent avant et surtout après la séance, devant un café ou un déjeuner. En cours de séance, en Flandre, c’est un peu la langue de bois. Chez les Néerlandais, non. Ils sont ouverts, directs, ils s’affirment.

Leurs habitations aussi sont ouvertes, transparentes, laissent entrer le soleil. Les Flamands vivent derrière des tentures.

À la base, une autre conception de l’espace public et de la sphère privée.

Les Néerlandais sont «précis», les Flamands cherchent la «combine». D’un côté, le principe, de l’autre la flexibilité. L’assurance au lieu de la frilosité. La rugosité face à l’hypocrisie.

Érasme, déjà, le disait dans le lemme Batavus de ses Adages: les Bataves sont frustes et balourds, mais également entiers, directs.

Vous vous attendiez certainement à cet autre cliché: protestant et catholique, «bourguignon» (j’y reviendrai) ou calviniste, boudin contre fromage, comme l’a un jour écrit le critique littéraire Kees Fens comparant les lettres du Nord et celles du Sud

Les Pays-Bas cultivent la ligne claire, le minimalisme et Mondrian. Mais un cliché qui fait toujours mouche quand il s’agit de cerner l’identité des Pays-Bas du Sud – de la seule Flandre ou même de la Belgique entière – est la dichotomie entre sensualité débridée et mysticisme. Ce cliché a longtemps été populaire dans les milieux allemands et français.

Le poète Rilke, qui avait vu en 1906 la procession des pénitents de Furnes, en Flandre-Occidentale, en a gardé le souvenir de Busse und Kermes.

Stephan Zweig, dans le chapitre Das neue Belgien de son livre sur Émile Verhaeren (1910), a parlé de Lebensfreude und Gottsuchertum (joie de vivre et quête de Dieu). Et ce parcours du vocabulaire associant élan vital et piété ne serait pas complet si on ne mentionnait les mystiques Hadewijch et Ruusbroek, si on ne confrontait les fresques paysannes de Bruegel et les tableaux raffinés de Van Eyck, la peinture éthérée de Memlinc et l’exubérance de Rubens.

Pour qualifier la sensualité débridée des bons vivants, le néerlandais mettrait plus tard à la mode le terme Bourgondisch. Ce joyeux pendant du rigide et austère calvinistisch a principalement cours dans le Nord, où l’on a coutume, aujourd’hui encore, d’appeler Bourgondiërs ces Belges et Flamands qui savent vivre, qui savent en tout cas manger, boire et festoyer. On se gardera de traduire le surnom par Bourguignons, car cette appellation renvoie exclusivement à une région de France qui fut autrefois un duché. Et tenter une traduction en anglais ou en allemand serait tout aussi aléatoire.

Dans un de ses poèmes, l’écrivain flamand Hugo Claus a eu cette formule pour caractériser le légendaire alliage entre ripaille et dévotion: het vette en het vrome, le pansu et le pieux.

Luc-Devoldere

Luc Devoldere

écrivain, essayiste et ancien rédacteur en chef (2002-2020) de Ons Erfdeel vzw

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