Hans Op de Beeck, une rencontre tout en contraste avec les anciens maîtres flamands
Le monde de l’artiste Hans Op de Beeck est gris. Gris et d’un silence sinistre. Ce constat est d’autant plus frappant lorsqu’il côtoie les maîtres flamands des XVIe et XVIIe siècles. Le lieu de cette rencontre historique intitulée Silence & Résonance
est un ancien coin de Flandre en France: la ville de Cassel, située sur une crête qui surplombe la plaine environnante.
Le musée de Flandre sur la Grand-Place vaut le détour, même sans les œuvres d’Op de Beeck. Cécile Laffon, sa directrice, a égayé l’anthologie de l’art flamand ancien avec des prêts de Dunkerque et de Valenciennes. On y parcourt les divers genres de la peinture des Pays-Bas méridionaux, mais on y trouve également jusqu’en septembre une série d’œuvres figuratives de Hans Op de Beeck (°1969). On ne saurait imaginer contraste plus marqué: des aquarelles, des photographies, une vidéo divertissante et surtout des sculptures hyperréalistes à la peau uniformément grise, qui évoquent des associations apocalyptiques avec les retombées radioactives d’une catastrophe nucléaire.
© Studio Hans Op de Beeck ADAGP, Paris, 2023
Voilà quelques années que artiste multimédia jouit d’une reconnaissance internationale. En 2018, il a assuré la mise en scène de l’opéra Le Château de Barbe-Bleue à Stuttgart et en a conçu les décors et les costumes. L’année dernière, il a fait un tabac au musée Amos Rex d’Helsinki, où sa représentation d’un parc émaillé de manèges de foire abandonnés dans la nuit a attiré 168 000 visiteurs. Son installation pour la Biennale d’art contemporain de Lyon 2022 n’est pas passée inaperçue non plus.
Paysage
Le premier thème abordé au musée de Flandre est le paysage. La présence de Joachim Patinir (1480-1524) n’est donc pas pour étonner. Dans l’atelier de ce peintre, le paysage est en effet devenu un genre autonome, bien que Patinir ait souvent placé des personnages bibliques ou mythiques au premier plan de ses grandes œuvres. Ses paysages imaginaires, comprenant affleurements rocheux et gorges, sont un hymne à la création. La profondeur du paysage est évoquée par la perspective atmosphérique faite d’ocre, de vert et de bleu.
Seule une vingtaine de tableaux sont attribués à Patinir. À Cassel, il côtoie le spécialiste des paysages hivernaux du XVIIe siècle, Gijsbrecht Leytens. L’occasion pour Hans Op de Beeck de montrer ses grandes aquarelles de paysages panoramiques enneigés ainsi qu’un bas-relief en plâtre blanc représentant une marine. Chez lui, on ne distingue aucune créature vivante dans le paysage immaculé.
© Studio Hans Op de Beeck, ADAGP, Paris 2023
Dans une interview accordée au magazine H ART, Op de Beeck explique: «J’aime beaucoup la peinture ancienne et l’idée d’offrir une fenêtre sur le monde. (…) J’espère évoquer ce moment où on met de côté ses propres histoires et où on se retrouve seul avec ou dans une image. Pour moi, c’est l’espace de l’art –que je retrouve aussi dans la peinture ancienne. Il suffit de regarder un paysage de Patinir ou un intérieur de Vermeer pour tout oublier. Je crois beaucoup à la vieille idée de catharsis: la qualité tragique et problématique, mais aussi réconfortante, de l’image.»
Portraits et vanités disproportionnées
Dans la salle des portraits flamands du XVIIe siècle, nous découvrons des visages peints hauts en couleur. Des visages d’enfants aussi, souvent entourés d’un col de dentelle blanche, ce qui évoque statut et pouvoir. Les photos en noir et blanc de Hans Op de Beeck représentant des enfants les yeux fermés sont à l’opposé. La série a été réalisée dans une école multiculturelle d’East Village à New York. Les enfants photographiés devaient imaginer qu’ils étaient quelqu’un d’autre ou qu’ils se trouvaient ailleurs.
© Studio Hans Op de Beeck, ADAGP, Paris 2023
Près des vanités, qui rappellent au spectateur sa nullité et le caractère vain de ses activités, Op de Beeck suit en revanche la narration. Le registre utilisé par le peintre de vanités pour exprimer notre nullité est celui des fleurs sur le point de se faner, d’un crâne sur une bible ouverte, d’une bougie mourante, d’un fruit épluché, d’un verre renversé… Hans Op de Beeck a agrandi les objets traditionnels des vanités et en a fait une installation surdimensionnée. Chez lui, au-dessus de l’agrandissement du livre ouvert, volète un papillon gris, symbole de la résurrection de l’âme.
Animaux et humains
Une autre sculpture, parée du même gris mortuaire, semble plus vraie que nature. Sur le sol devant Trophée de chasse avec un lièvre et des oiseaux convoités par un chat du peintre anversois Jan Fyt, on découvre un chien endormi, sans doute se repose-t-il après la chasse à courre. La fourrure en polyester est rendue avec un très grand réalisme. Même les trois poules qui se trouvent un peu plus loin parmi les natures mortes auraient l’air vivantes, n’était-ce leur couleur. Hans Op de Beeck les a intitulées Les Trois Sœurs, d’après la pièce d’Anton Tchekhov.
© Studio Hans Op de Beeck, ADAGP, Paris 2023
Dans le reste de l’exposition, on peut voir des sculptures de personnes grandeur nature que l’artiste a commencé à produire vers 2016. Les enfants gris unis plongés dans leur jeu, un garçon avec des billes et une fille faisant des bulles, semblent pétrifiés dans un espace hors temps. Ils sont rejoints par des peintures historiques des Pays-Bas représentant la moquerie et la satire. On y trouve également le Schijtmanneke. Cette sculpture anonyme en poterie représente un bonhomme ricanant qui, accroupi, produit un énorme étron. On le croirait tout droit sorti d’une des scènes folkloriques de Pieter Brueghel.
Dix-neuvième
Les tableaux avec lesquels Op de Beeck noue ensuite un dialogue sont pour la plupart du XIXe siècle. Ainsi, sa sculpture d’une danseuse carioca se reposant dans un fauteuil Chesterfield côtoie le Carnaval à Cassel du peintre local Alexis Bafcop. Dans la salle consacrée au pouvoir, on trouve Brain, un garçon pétrifié assis en tailleur. Le crâne rasé et une boule de verre dans les mains, il rappelle un moine qui, en méditant, se détourne du monde matériel. Face à une toile représentant la répression de la révolte de Cassel (1430) par Philippe le Bon et ses troupes, Le Cavalier
d’Op de Beeck prend la pose. Il regarde de côté, la tête sous un parasol et des objets personnels –bouteilles, trousseau de clés et boules de Noël– accrochés à la selle; il incarne le voyageur/migrant à la recherche d’un Eldorado.
© Studio Hans Op de Beeck, ADAGP, Paris 2023
L’exposition se termine par la vidéo Staging Silence (Mise en scène du silence), dans laquelle deux mains situées de part et d’autre d’une table construisent des versions miniatures de scènes extérieures et intérieures. Elles composent les environnements avec des éléments tels que des morceaux de sucre, de la ouate, du carton ou du sucre glace. Lorsqu’une scène reconnaissable est terminée, elle est transformée en une autre. Cette vidéo exprime selon Op de Beeck le cœur de son travail: l’histoire de l’humanité comme un spectacle absurde répété sans cesse, oscillant entre la tragédie et la comédie.