Dans Jours de Finlande, le romancier et acteur néerlandais Herman Koch délivre une fiction qui, rompant avec ses autres créations, explore la veine autobiographique.
Scénariste, chroniqueur dans divers journaux, auteur de romans à succès (Le Dîner, Villa avec piscine, Cher Monsieur M., Le Fossé…), Herman Koch (°1953) creuse la veine du Bildungsroman dans ce récit d’apprentissage qui interroge les puissances de l’écriture. Les coups des projecteurs mordants sur la psychologie humaine, l’auscultation amère et ironique des rapports familiaux s’enchâssent dans une promenade mémorielle. Les terres enneigées, glacées de la Finlande, de la province orientale de la Carélie du Nord, sont avant tout celles des souvenirs et le retour sur des événements, des sensations, des amours du passé offre l’occasion d’un questionnement des rapports entre fiction et vécu.
Lorsque sa mère meurt en 1973, Herman Koch, alors âgé de dix-neuf ans, décide de partir dans un village de Finlande, de s’installer dans une ferme. Comment surmonter un impossible deuil? Comment se construire un présent, un avenir, s’ouvrir à la vie? Bâti autour du noyau de son séjour dans le Nord, Jours de Finlande creuse un chantier, un kaléidoscope de réminiscences qui éclosent selon une logique affective tout en se raccrochant à des épisodes actuels.
Parachuté dans un pays nordique, ne connaissant que deux termes en finnois (äiti – mère et kuollut – père), se livrant aux durs labeurs des champs, le narrateur fait l’épreuve d’une réalité à étreindre, dans la solitude, la souffrance du deuil et la quête d’un apaisement. Le trou noir de la mort de la mère, les rapports tendus, difficiles avec le père le poussent à s’immerger dans des paysages enneigés, à partir pour revenir à lui.
Le travail de deuil prendra la forme d’épuisants travaux forestiers, agricoles et de fêtes bien arrosées. D’un geste rétrospectif qui laisse le mystère, les petits dieux du hasard mener la danse, l’écrivain recompose des fragments de son existence et retrace la découverte de l’écriture. Quand un auteur ressaisit sa vie dans un récit de formation, des initiateurs, des guides parsèment la route qui mène à l’écriture. Au nombre des rencontres décisives, celle d’un professeur de lettres qui offre au jeune Koch une édition d’Anna Karénine de Tolstoï, celle du premier amour qui ne pouvait que s’appeler Anna.
Dans une lettre à Oscar Pollak du 27 janvier 1904, Kafka définissait la mission de la littérature, l’enjeu du livre par une formule devenue culte: «un livre doit être la hache qui brise la terre gelée en nous». Le quatuor de termes «livre-hache-brise-terre gelée» ne délivre la vérité de ses pouvoirs qu’avec le «en nous». La banquise, la terre gelée qu’il s’agit de briser ne se situe nulle part ailleurs qu’en nous, dans le for intérieur de l’écrivain. Comment ne pas songer à la phrase de Kafka (une sentence proche de la parabole) lorsque Herman Koch écrit: «La mémoire est un lac gelé dans lequel on perce un trou pour en tirer, l’un après l’autre, quantité de poissons». Le royaume de la littérature déployé dans Jours de Finlande
est celui des allers et retours entre réminiscences d’un passé lointain ou proche et présent, entre exhumation d’épisodes anciens et découverte a posteriori de liens entre ces derniers.
Quand un auteur ressaisit sa vie dans un récit de formation, des initiateurs, des guides parsèment la route qui mène à l’écriture
L’écriture fouille, décante, explore dans le mouvement où elle réinvente formellement ce qui fut. Elle archive, creuse dans le massif de l’enfance à Amsterdam, des voyages aux États-Unis, à Barcelone (où Herman Koch rencontre celle qui deviendra son épouse), de la passion des motos et refictionne ce qu’elle a pêché dans le continent des années.
© M. Kohn
Quatre décennies après l’expérience fondatrice de la Finlande, elle s’engage dans un mouvement de contre-plongée, de plongée, de raccords entre détails, entre impressions, de montages des rencontres et des points nodaux. Seul le phénomène d’après-coup, de flashback permet de relier des éléments-clés de la construction intime et d’opérer un mouvement génétique.
Par quels détours, quels drames personnels, pulsions internes, amour des livres, instincts de survie, appétit pour l’ailleurs et l’imaginaire, un jeune homme en vient-il à embrasser la vocation littéraire? Les neiges finnoises ne recouvrent pas les traces des secrets, des recherches d’un temps perdu ou d’une vocation d’écrivain. Elles étoilent le monde d’une blancheur qui permet d’échapper à l’agitation vaine des métropoles et aux illusions du divertissement pascalien. On songe au roman de l’écrivain danois Peter Hoeg, Smilla et l’amour de la neige comme si l’encre de l’écriture était née d’une danse de flocons dont Herman Koch fit l’expérience dans le pays des mille lacs.