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«Het Perenlied» de Joost Oomen: conte badin sur l’amour et la pureté
© Lenny Oosterwijk
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compte rendu La première fois
Littérature

«Het Perenlied» de Joost Oomen: conte badin sur l’amour et la pureté

Het Perenlied (La Chanson de la Poire) de l’écrivain et comédien néerlandais Joost Oomen est un premier roman débordant de fantaisie et d’imagination.

Une gaieté débridée et de l’amusement pur, voilà ce que visait selon ses propres dires le jeune trentenaire Joost Oomen (° 1990). Il le faisait déjà en tant que poète et comédien, par exemple dans la production burlesque O Ratelslang, geil beest (Ô serpent à sonnette, bête lubrique), un spectacle né spontanément durant l’Oerol Festival 2017 à Terschelling et qui a servi de base très libre à son premier roman.

Auparavant, le jeune poète était parti en tournée en Europe, se produisant notamment sur la scène des festivals Lowlands et Crossing Border. Ses poèmes sont parus dans des revues telles que De Revisor et DW B. En 2016, il a écrit le chapbook intitulé De Zon als hij valt (Le soleil quand il se couche), une nouvelle transformée ensuite en spectacle théâtral. En 2018, enfin, il était l’un des participants à la résidence parisienne de la maison flamando-néerlandaise deBuren.

Joost Oomen a grandi en Frise. Là, il s’est retrouvé dans des fossés et est tombé amoureux d’une vache, apparemment deux coutumes frisonnes. Son premier roman est né beaucoup plus au sud, lors d’une résidence d’écriture à Sluis en Zélande. Délivré d’internet, de la téléphonie mobile, de fossés trop nombreux et d’un bétail tentateur, il a pu se concentrer pleinement sur son travail.

le livre se lit par moments comme un voyage effréné, une joyeuse équipée

En un mois, Het Perenlied était bouclé. C’est peut-être la raison pour laquelle le livre se lit par moments comme un voyage effréné, une joyeuse équipée passant par des endroits comme la Floride et New York, beaucoup plus amusants dans la prose d’Oomen que dans la banale réalité quotidienne. C’est Sur la route, mais en plus gai, en moins cru.

Het Perenlied a quelque chose d’un parc d’attractions: on y entre, et avant de bien comprendre ce qui s’est passé, c’est déjà terminé. On reste ensuite avec une agréable et pétillante envie d’en avoir encore.

On ne se rend pas toujours compte de ce qu’on lit. Parfois, c’est si magique, si féerique, que l’on ne peut qu’apprécier la langue et l’imagination débridée: «l’obscurité qui s’enfonce comme des plombs de pêche dans ses yeux», «le silence qui fait broum dans ses oreilles, comme un bleu sur son tympan». Chez Oomen, le poète n’est jamais loin.

C’est un livre rempli de créatures curieuses: un dauphin rose, la princesse Hélène Tout Court (de la noblesse russe) ou la reine des Betteraves, un enfant violet, le fruit d’une casserole où cuisent trois betteraves et la semence d’un homme qui se masturbe. Celui-ci pleure l’homme pour lequel il était allé chercher un bol de soupe à la betterave au pied du World Trade Center, au moment où un avion détourné s’écrasait dans l’une des tours jumelles. Leur homosexualité naissante et encore incertaine avait été tuée dans l’œuf par cet attentat.

Après son expérience traumatisante du 11 septembre, le survivant, futur père de la reine des Betteraves, reçoit l’autorisation de son employeur, Walt Disney, d’aller se reposer dans un parc d’attractions en Floride. C’est là qu’il conçoit la reine des Betteraves et la voit grandir et devenir une belle grande fille violette, qui entend suivre son propre chemin. C’est ce qu’elle finit par faire avec Gabriel, un employé de Walt Disney qui en a assez de ces distractions grossières et rêve d’autres aventures. La reine des Betteraves et Gabriel forgent ensemble des plans diaboliques, que l’on pourrait nommer amour.

Après l’échec d’une tentative de sabotage du parc d’attractions, le couple part à la recherche du père de la reine des Betteraves. Ce dernier a fini par retourner à New York, suite à une vision dans laquelle Chad, l’homme dont il était amoureux, n’était pas du tout mort lors des attentats du 11 septembre. Peut-être Chad avait-il attendu toutes ces années que l’homme lui rapporte son bol de soupe à la betterave.

Dans la vie, l’important est de savoir distinguer la vraie Chanson de la Poire des fausses chansons de la poire

Quels que soient les tours sinueux que prend l’histoire ou la bizarrerie des personnages, tous se laissent guider par «la Chanson de la Poire». Cette Chanson de la Poire pourrait, elle aussi, être vue comme le grand amour; elle est en tout cas le symbole de tout ce qui est vrai, pur, inaltéré – et juteux, bien sûr. Mais attention, gare aux chansons qui se font passer pour la Chanson de la Poire sans l'être. Un être humain, ou une reine des Betteraves, se laissent aisément berner. Dans la vie, l’important est de savoir distinguer la vraie Chanson de la Poire des fausses chansons de la poire.

Et c’est ainsi que ce roman devient autre chose qu’un conte joyeux. Il nous parle de la recherche du grand amour et de la beauté pure, dans la nature et en l’homme. Il nous parle de la facilité avec laquelle on peut être trompé, mais aussi de la beauté qu’il y a à enfin trouver le vrai, le beau, le grand amour pour enfin chanter ensemble la Chanson de la Poire.

Extrait de «Het Perenlied» p. 265-267

Le violet, c’est la royauté. C’est la couleur des draps de lit de l’empereur japonais, mais aussi byzantin et romain, et le tailleur violet, jusqu’au jour d’aujourd’hui, est la tenue préférée de la reine d’Angleterre. C’est la couleur des mitres des évêques, de la femme forte, de la prune qui pend, couverte de rosée, ronde et vitreuse. C’est la couleur de l’érotisme, de l’aubergine, de l’améthyste, et tous les anges le portaient avant de découvrir le blanc au firmament. Le violet apparaît lorsque le soleil descend derrière la terre et que la lune, comme le violet source inépuisable de mysticisme, de séduction et de règles, l’emporte enfin. Le steak d’élan est violet et injecté de sang, et violet injecté de sang est la médaille que gagne le soldat américain quand il se prend une balle ennemie dans la carcasse. Une médaille qu’il ne reçoit pas pour sa bravoure, mais parce qu’en mourant, il abandonne la carrière meurtrière de soldat et redevient gentil.

Il doit y avoir eu une première fois où la lumière bleue et la lumière rouge ont été présentées l’une à l’autre. Peut-être se sont-elles retrouvées dans le même coin à un cocktail organisé pour les couleurs dans un bar de plage perdu sur l’arc-en-ciel. Toute la soirée, elles ont discuté de la raison pour laquelle elles faisaient tant de choses tout à fait différemment et semblaient pourtant aller si bien ensemble. À la fin de la nuit (le jaune dormait sous une table, le vert allumait une cigarette du côté filtre), elles se sont embrassées. Une lumière violette s’est élevée d’un coin sombre.

De la confiture rouge qui durant les grandes vacances gicle contre le canevas du ciel bleu azur fait une nuit d’été collante et sucrée. Violette est la rivière que Gabriel traverse la nuit, son téléphone et son portefeuille dans sa main au-dessus de l’eau. Violettes sont les feuilles du manguier, du chocolat violet sur son visage. Violet est le bruit moelleux de quatre pieds nus dans l’herbe haute du jardin arrière en pente, le long du grand bougainvillier qui donne de grosses fleurs. Gabriel et la reine des Betteraves trébuchent en passant la porte-moustiquaire. La force du violet s’unit dans le lit d’une jeune fille aux longs cheveux bouclés. Le corps du jeune homme ne pense pas à deux chaussures solitaires, ne pense pas au gilet rose en pelote au pied du lit.

Ce qui n’est clairement pas violet, ce sont les wagonnets vides des plus hautes montagnes russes du parc d’attractions. Sans bruit, ils ont glissé dans la nuit chaude sur les rails. Par-dessus les buissons, ils épient un employé qui vient de traverser une rivière hors du domaine du parc.

Joost Oomen, Het Perenlied, Querido, Amsterdam/Anvers, 256 p.
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