Huib Hoste, en première ligne du renouveau pendant la reconstruction du «Westhoek»
À l’issue de la Première Guerre mondiale, la région du Westhoek en Flandre-Occidentale évoque un paysage lunaire, tant elle est criblée de cratères et de trous d’obus. Cependant, les armes se sont à peine tues que déjà on se lance dans la reconstruction. L’architecte flamand Huib Hoste joue un rôle singulier dans ce contexte. Sous l’influence de ses confrères néerlandais, il plaide pour un nouveau langage architectural devant contribuer à forger la société d’après-guerre. Mais ses idées novatrices se heurtent bien vite aux réticences de la population, encore tournée vers le passé. Cela ne l’empêchera pas de réaliser quelques joyaux modernistes dans le Westhoek.
Dans l’ancienne région du front, les bâtiments qui datent d’avant la Première Guerre mondiale sont devenus très rares. Entièrement ravagé par le conflit, le Westhoek
doit sa physionomie actuelle à la politique de reconstruction. Dès 1914, un débat s’engage sur la manière de mener à bien cette entreprise, une fois la guerre terminée. Deux concepts retiennent tout particulièrement l’attention: la cité-jardin et l’hygiène urbaine. Dans le premier cas, il s’agit d’ériger, sur le modèle britannique, des maisons ouvrières dotées d’un certain confort et entourées de verdure, tout en prévoyant des équipements collectifs. L’hygiène urbaine est quant à elle un mouvement né en France en vue de promouvoir les projets de réhabilitation et des conditions de vie saines.
© «Westhoek verbeeldt».
Traditionalistes versus modernistes
Le débat, déjà engagé avant la guerre, oppose essentiellement les «traditionalistes» aux «modernistes». Les premiers veulent reconstruire les communes de façon à restaurer leur physionomie historique. Tout ce qui n’est pas conforme à l’architecture traditionnelle de la région doit être reconstruit de la manière la plus historiquement correcte possible. Dans leur sillage, le régionalisme préconise l’utilisation de caractéristiques architecturales spécifiques à la région, tout en acceptant le recours à des techniques de construction modernes à l’intérieur des bâtiments.
Si les vues des modernistes sont moins précises, tous rejettent expressément la reconstruction traditionnelle. Par ailleurs, ils estiment qu’une reconstruction fidèle pose des problèmes d’ordre éthique et esthétique. Une telle approche est certes techniquement envisageable, mais elle ne procurera jamais au spectateur la même expérience esthétique qu’un édifice médiéval, avec ses marches de pierre ou ses sculptures patinées par le temps, pointe la critique moderniste. Sur le plan éthique, c’est l’attitude à l’égard de l’histoire qui pose problème. Une reconstruction d’après le modèle d’avant-guerre aspire en effet à une continuité historique que la guerre a rompue.
Toutefois, la réalité d’après-guerre dépasse tout ce que l’on avait pu imaginer, bouleversant les plans et préparatifs. De nombreuses communes sont officiellement déclarées détruites à cent pour cent et n’existent donc plus que sur le papier. Pourtant, cette steppe désolée retrouvera un visage quelques années plus tard.
Lois sur la reconstruction
Le principal cadre légal pour la reconstruction du Westhoek se compose de deux lois. Par l’arrêté-loi du 23 octobre 1918 relatif à la constatation et à l’évaluation des dommages résultant des faits de guerre, l’État belge s’engage à remettre dans leur état initial les biens sinistrés. Il est prévu que les dommages de guerre seront réglés avec chaque propriétaire séparément. L’adoption de ce principe fondamental exclut pratiquement toute restructuration englobant plusieurs immeubles, et l’on se base sur la situation d’avant-guerre en matière de propriétés. Par conséquent, le projet de créer de nouveaux noyaux urbains cède le pas à une politique d’embellissement.
© «Westhoek verbeeldt».
La loi du 8 avril 1919 sur «l’adoption nationale des communes» permet aux communes dont au moins dix pour cent des bâtiments ont été détruits de se faire adopter par l’État, si elles ne disposent pas de moyens suffisants pour réparer elles-mêmes les dommages. Un Office des régions dévastées voit le jour en vue de faciliter l’exécution de cette loi sur les plans administratif et financier. Soixante et onze des quatre-vingt-quinze communes de la région du Westhoek se font «adopter», confiant ainsi l’organisation de leur reconstruction à des Hauts Commissaires royaux qui approuvent les budgets, ainsi que les plans d’aménagement et d’alignement. C’est par le truchement de ce Haut-Commissariat royal à la reconstruction que Huib Hoste est nommé urbaniste-architecte pour les communes de Zonnebeke, Geluveld, Beselare, Wervicq et Geluwe.
L’influence des modernistes néerlandais
Hoste peut être qualifié de pionnier du modernisme en Belgique. Né le 6 février 1881 à Bruges, il grandit dans un milieu traditionnel, francophone et strictement catholique. Ses années de formation sont marquées par le néo-gothique et l’éclectisme. Toutefois, avant même la Première Guerre mondiale, il tombe sous le charme de l’architecture moderniste néerlandaise. Pendant la guerre, il s’enfuit aux Pays-Bas, restés neutres, où il adhère entièrement à ce mouvement. Il y découvre le travail de ses confrères Berlage, Van ’t Hoff, Kramer et De Klerk, ainsi que d’artistes comme Van Doesburg et Mondrian.
© «Fonds Huib Hoste, Sint-Lukasarchief», SOFAM - Belgique.
En 1916, alors qu’il est encore en exil, il réalise le projet du Monument belge à Amersfoort, un mémorial exprimant la reconnaissance des réfugiés belges envers les Pays-Bas. Le langage rectiligne et l’importance des volumes qui caractérisent déjà cet ouvrage jettent les bases de toute sa réflexion ultérieure. Il introduit l’esthétique cubiste dans l’architecture belge, attribuant par la même occasion un rôle essentiel à de nouveaux matériaux tels que le verre, l’acier et le béton. Hoste se lance dans des expériences en matière de formes et de couleurs, privilégiant les plans abstraits. La façade en elle-même forme la décoration, de sorte que tout détail ornemental devient superflu. Mais Hoste veille également à intégrer le mobilier dans l’ensemble.
En 1920, Hoste réalise un magasin avec entrepôt à Wervicq. La quincaillerie Vandensteene – Plancke est le premier immeuble commercial en Belgique à être doté d’un squelette en béton.
© Wikipedia.
Symétrique, il se caractérise par une grande sobriété. Deux ans plus tard, on retrouve la même symétrie dans un bloc de maisons de la Roeselarestraat
(9-19) à Zonnebeke. Pour cette commune, Hoste réalise également un plan d’urbanisation, l’école communale avec la maison du directeur, ainsi que l’église et son presbytère.
L’église Notre-Dame de Zonnebeke est sans doute la première église moderniste de Belgique. Cependant, malgré l’utilisation de béton armé et de formes cubistes, l’édifice religieux continue à s’inscrire dans la tradition de l’église-halle, qui se distingue par des vaisseaux longitudinaux sensiblement de même largeur et de même hauteur, communiquant entre eux sur toute la hauteur.
© «Westhoek verbeeldt».
L’église de Zonnebeke présente aussi un vaisseau central et deux collatéraux, mais ces derniers sont réduits par Hoste à des couloirs de circulation. Toute la réflexion ultérieure de l’architecte restera imprégnée par sa foi catholique et par son attachement au nationalisme flamand, qui teintent sa démarche moderniste d’une note traditionnelle. Très vite, cette église s’avérera néanmoins dépassée en termes de plan et d’esthétique.
Ni cubisme ni «hollandisme»
Cela dit, il ne faut pas sous-estimer la soif d’innovation de Hoste. Les lettres qu’il échange en 1922 avec l’abbé Delrue, curé du village de Geluveld, prouvent que beaucoup restent hermétiques à ses idées novatrices. «Nous vous avons demandé une église gothique, c’est-à-dire, comme partout ailleurs, dans un gothique de chez nous. Ici, comme ailleurs, vous vous êtes obstiné dans vos vues et avez pris fait et cause pour le cubisme et le «hollandisme» (cubismus en hollandismus). Eh bien, il n’en est pas question. Nous, l’élite, ne voulons pas de deuxième Zonnebeke. Nous voulons un chœur triangulaire, un portail et une façade à trois grandes fenêtres, une tour surmontée d’une flèche et pas un four à briques, une nef et pas un hangar, pas même vu de l’extérieur. » Adapté à plusieurs reprises, le projet de Hoste est finalement rejeté. Jules Coomans, architecte de la ville d’Ypres, prendra le relais.
© «De Zonnebeekse Heemvrienden».
Étant donné que, dans les villes du front, la plupart des nouveaux bâtiments présentent les mêmes caractéristiques extérieures et le même style qu’avant la guerre, on parle de « vieux-neuf ». Toutefois, il serait inexact d’affirmer que le Westhoek a été reconstruit à l’identique. Souvent, cela concerne uniquement les édifices publics qui jouissent d’une certaine notoriété. Certains bâtiments disparaissent à jamais, d’autres sont adaptés, et d’autres encore sont reconstruits ailleurs. Là où l’approche régionaliste prédomine, on a toutefois affaire à une «architecture de façade»: la façade «ancienne» dissimule un aménagement intérieur moderne où il est fait usage de nouveaux matériaux. L’architecture moderne, dont Huib Hoste est l’un des chefs de file les plus connus, contraste vivement avec le «vieux-neuf». Mais ce style architectural novateur n’est appliqué que sporadiquement. Les quelques rares exemples d’architecture moderne, rari nantes in gurgite vasto, que l’on doit presque tous à Hoste, prouvent que l’on aurait pu faire quelque chose de beau, d’authentique, de novateur, de parfait, si on l’avait voulu.
Les années 1920 sont une période turbulente pour Hoste. À Zonnebeke, il quitte le chantier de l’église prématurément à la suite d’un accident mortel et d’un différend avec les autorités communales. Son projet particulièrement moderne pour la maison communale est refusé.
© «De Zonnebeekse Heemvrienden».
En 1929, le presbytère, terminé quelques années plus tôt, se voit doté d’un toit en bâtière parce que les toits plats fuyaient. Cela n’empêche pas l’architecte d’acquérir une renommée (inter)nationale dans la même période. Il est notamment récompensé pour son projet de « bureau-fumoir », et l’Institut supérieur des arts décoratifs à La Cambre lui offre une chaire en 1927. Un an plus tard, il fait partie des membres fondateurs des Congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM), principal forum de l’architecture moderne. Juste au moment où sa carrière prend son envol, un nouvel accident mortel se produit sur un chantier de construction à Bruges. Son parcours professionnel bat de l’aile. Hoste s’installe à Anvers, où il reste fidèle à ses idéaux, mais sans plus jamais obtenir la même reconnaissance.
En 2020, le Westhoek commémore les efforts de reconstruction. Divers partenaires de la région ont élaboré conjointement un programme complet d’expositions, d’événements et d’itinéraires en vue d’immerger les visiteurs dans l’histoire de la reconstruction de plusieurs sites emblématiques de la région. À Zonnebeke, l’accent est mis sur l’histoire singulière de l’architecte Huib Hoste.