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histoire

Il y a 75 ans : les armes de représailles V1 et V2 utilisés contre les Alliés

Par Dirk Van Assche, traduit par Jean-Philippe Riby
12 octobre 2019 6 min. temps de lecture

À la Libération, en septembre 1944, la plupart des Belges pensaient que la guerre serait finie l’année même. Ils ne pouvaient alors se rendre compte que les Allemands disposaient d’armes secrètes, les bombes V1 et missiles V2. Il y a exactement 75 ans, le 13 octobre 1944, le premier V1 tombait sur Anvers. Ce fut le début d’une longue période d’angoisse et de terreur.

À vrai dire, les Allemands avaient déjà lancé leur premier V1 sur Londres quelques jours après le débarquement en Normandie. Début juillet, certaines de ces bombes étaient aussi tombées, selon toute vraisemblance, en Flandre. Ni les Allemands ni les Alliés ne voulaient rien laisser filtrer. Ces derniers voulaient éviter, surtout, de voir la panique s’emparer de la population. Les Allemands, de leur côté, voulaient éviter de voir des débris de missile tomber aux mains de l’ennemi et ce dernier localiser les sites de lancement pour les bombarder ensuite.

Armes de représailles

L’Allemagne travaillait depuis très longtemps sur une arme secrète. Ce fut une compétition entre l’armée de l’air et l’armée de terre. La première développa un petit avion sans pilote muni d’un moteur à réaction (V1), la seconde un missile balistique (V2). En fait, le V2 fut prêt le premier.

Conçu par Wernher von Braun, il fut testé avec succès dès août 1942. Trois mois plus tard, le V1 fit à son tour l’objet d’essais (plus ou moins) concluants. Il s’avéra être plus rapide et moins cher à produire. Hitler n’était cependant pas un grand partisan de ces armes secrètes. Tant que les troupes au sol engrangeaient les succès et que les bombardiers allemands atteignaient leurs cibles, le besoin de mener des expériences coûteuses financièrement et matériellement ne se faisait guère sentir. Mais sur le front, le vent tourna et les troupes allemandes furent repoussées. Hitler saisit alors l’intérêt des nouvelles armes. Elles devaient être utilisées en représailles des bombardements alliés, qui avaient fait des milliers de victimes dans des villes allemandes comme Lubeck ou Hambourg. V est d’ailleurs l’abréviation de Vergeltungswaffen (armes de représailles).

Les deux armes furent développées au centre d’essais de Peenemünde, sur les bords de la Baltique. C’est là que furent tirés les premiers prototypes de V1, à partir de septembre 1942. La fiabilité n’était pas encore au rendez-vous. Lorsqu’en janvier 1943 Hitler assista à une démonstration, la bombe retomba au bout de quelques secondes seulement. De plus, les Alliés découvrirent la base par des vols d’espionnage alliés et la pilonnèrent dans la nuit du 17 au 18 août 1943 avec près de 600 bombardiers. Le centre d’essais ne fut que partiellement détruit, mais les Allemands savaient désormais que l’ennemi en connaissait l’existence et que d’autres bombardements allaient suivre. L’état-major allemand décida de transférer au plus vite l’ensemble de la production d’armes de représailles dans un complexe souterrain proche de Nordhausen. C’est là que fut créé le camp de concentration de Mittelbau-Dora, où les déportés durent poursuivre le creusement des galeries d’une ancienne mine. À partir de janvier 1944, le site devint le centre de production des V1 et des V2. Plus de 60 000 détenus y travaillèrent dans des conditions inhumaines. Le nombre précis de morts reste inconnu mais est estimé à 20 000. Des milliers de Belges et de Néerlandais furent déportés dans le camp de Dora. Leur sort et celui de leurs compagnons d’infortune français a fait l’objet de travaux historiques approfondis.

Les « bombes volantes » devaient semer la terreur dans la population civile, notamment à Londres et à Anvers. La ville belge, qui était pratiquement intacte au moment de sa libération et servait de port d’approvisionnement aux Alliés, devint l’un des principaux objectifs des bombes volantes allemandes. Liège constitua également un objectif important.

Une pluie de bombes destructrices

Les V1 étaient catapultés à partir d’une rampe ou largués d’un avion. La plupart des installations de lancement se trouvaient en France, ainsi que dans l’ouest – et plus tard aussi dans l’est – des Pays-Bas. Pour les V2, les nazis construisirent au début d’immenses plateformes. L’Organisation Todt, qui était chargée des grandes infrastructures de guerre, reçut pour mission de construire dans le nord de la France 96 rampes de lancement V1 et 5 bunkers massifs, dont le plus connu est celui de Wizernes, qui abrite aujourd’hui le centre historique de La Coupole. Les Alliés ne tardèrent pas à découvrir ces constructions dans le nord de la France et à les bombarder lourdement. Aucune de ces installations ne devint vraiment opérationnelle. Finalement, les V2 furent lancés depuis des rampes mobiles, à partir des Pays-Bas en particulier.

En tout, plus de 22 000 V1 furent catapultés. 6500 atteignirent l’Angleterre et environ 7000 la Belgique. Ils firent au total 11 000 victimes, dont 4000 Belges. Environ 4000 V2 furent lancés. 1135 tombèrent en Angleterre et 1664 en Belgique, dont 1610 sur Anvers. Ils firent plus de 6000 morts, dont la moitié à Anvers.

Le 16 décembre 1944 fut le jour le plus meurtrier de l’histoire des bombes volantes. Un V2 s’abattit à 15 h 23 sur la salle, comble, du cinéma Rex. Des Anversois, mais aussi un grand nombre de soldats anglais assistaient à la projection du western The Plainsman (Une Aventure de Buffalo Bill, 1936). Bilan dramatique : 567 tués, 291 blessés. Ce bombardement fut l’un des plus terribles de la Seconde Guerre mondiale. Il y eut d’autres victimes dans la ville, ce qui porta le bilan total de la journée à 667 morts. Cette attaque provoqua une véritable psychose d’angoisse. Alors qu’on avait réagi jusqu’ici avec un certain flegme aux « bombes volantes », la vie publique changea à ce moment-là. Les rassemblements publics furent interdits, les enfants envoyés à la campagne et une grande partie de la vie quotidienne se déroula dans des abris souterrains.

Il n’est pas surprenant que la journée du 16 décembre 1944 ait été si meurtrière. Elle correspond au déclenchement de la bataille des Ardennes. Une pluie de V1 et de V2 devait s’abattre sur la Belgique pour que l’offensive allemande eût des chances de succès. Liège fut également la cible privilégiée des V1 du 16 décembre à la fin janvier 1945. Les V1 tombés sur Anvers provenaient de différents sites aux Pays-Bas situés dans le triangle Zwolle, Zutphen et Enschede. Ces lancements firent aussi pas mal de victimes dans ce pays. Les V1 n’étaient pas toujours bien réglés, de sorte qu’ils tombaient plus tôt que prévu. Par ailleurs, les bombardements alliés sur les sites de lancement tuèrent un grand nombre de personnes aux Pays-Bas. Le bombardement du 3 mars 1945 est resté célèbre. L’objectif était le Haagse Bos, le bois de La Haye, à partir duquel les Allemands lançaient des V2. Les pilotes alliés reçurent des renseignements inexacts et lâchèrent 61 tonnes de bombes sur Bezuidenhout, un quartier résidentiel de La Haye. Il y eut 550 morts et 3300 habitations détruites, et près de 50 000 personnes fuirent la ville.

Le dernier V1 s’abattit sur l’Angleterre le 29 mars 1945. Deux jours auparavant, la Belgique avait enregistré sa dernière victime. Après huit mois de terreur, les citoyens pouvaient ressortir des caves et abris. Les Américains investirent les sites de production des V1 et V2 en Allemagne. Ils découvrirent ainsi la réalité effroyable des camps de concentration. Ils filmèrent ce qu’ils virent pour montrer au monde ce qui s’était passé. Mais leur attitude vis-à-vis des principaux responsables et du développement et de la production des armes de représailles fut moins claire. Presque tous les ingénieurs et spécialistes de la technologie des fusées purent s’en tirer à bon compte et furent accueillis à bras ouverts par les Américains et les Russes. Wernher von Braun en est le meilleur exemple. Il joua un rôle majeur dans le programme spatial américain.

Au final, quel impact a eu l’offensive des V1 et des V2 ? En premier lieu, elle a provoqué une grande souffrance humaine. Des milliers de personnes ont perdu la vie, et parfois des familles entières ont été exterminées. Elle a aussi causé d’énormes dommages matériels. Par ailleurs, elle a retardé l’avancée des Alliés, de sorte que la guerre a duré bien plus longtemps. Les bombardements alliés ont également fait un grand nombre de victimes. Des milliers de citoyens ont payé de leur vie l’emploi d’une technologie militaire de pointe.

Dirk

Dirk Van Assche

ancien rédacteur en chef adjoint de Ons Erfdeel vzw

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